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Mais que t'a fait, hélas ! un mortel plein de charmes?
Epargne mon amant, et respecte mes larmes ;
Redoute la fureur de l'amour outragé,

Et souviens-toi, surtout, qu'il peut être vengé.
Léandre, garde-toi, c'est Héro qui t'en prie,
De confier aux flots mon espoir et ma vie :
Demeure, je le veux; et toi, fille des mers,
Que le plaisir forma pour charmer l'univers;
Toi qui sais, au milieu des horreurs de la guerre,
Du tyran de la Thrace enchaîner le tonnerre;
Toi que l'on vit brûler pour le jeune Adonis,
Et porter dans ton cœur tous les feux de ton fils;
Nous aimons toutes deux, notre cause est commune;
Protége mon amour contre Eole et Neptune.
Ces dieux, ces dieux si fiers sont soumis à tes lois :
Parle, ordonne, ô Déesse! ils entendront ta voix.
Mais si Léandre enfin, plein d'un feu moins timide,
S'était laissé tromper par un calme perfide;
Si, frappé de la foudre... Ah ciel! quel jour affreux
Vient percer le nuage épaissi sur mes yeux !
Me trompé je?... Écoutons... J'entends sur cette rive
Des accens d'une voix douloureuse et plaintive:
D'une secrète horreur tous mes sens sont saisis...
Qui m'appelle ?... Est-ce toi, Léandre? je te suis...
Ah! dans ce moment même, englouti par l'abîme,
Il expire peut-être, et sa mort est mon crime!
Tombeau de mon amant, effroyable séjour,
Rends-le-moi tel qu'il est; obéis à l'amour.

Héroïdes.

11

Ciel mes baisers brûlans vont, malgré ta furie,
Ranimer dans son cœur les germes de la vie;
Ou je pourrai du moins, le serrant dans mes bras,
Expirer de douleur, et venger son trépas!

Où suis-je ?... Je succombe à cette horrible image...
Déjà je ne vois plus le ciel ni le rivage...

Léandre!... Je ne puis... tous mes efforts sont vains ;... Je me meurs et la plume échappe de mes maius.

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DORAT.

CALYPSO A TÉLÉMAQUE.

AINSI donc le destin, dans les murs de Salante,
Fixe pour un moment ta fortune flottante!
Tu triomphes, ingrat; et ta crédulité

S'est de tous tes forfaits promis l'impunité!

Que sais je? en ce moment ta coupable imprudence
Peut-être ose accuser ma haine d'impuissance.
Je veux avec le jour t'arracher ton erreur :
Par mon amour passé juge de ma fureur !
Nou, tu ne verras point cette Ithaque chérie,
Ce séjour que je hais, cette obscure patrie,
Pour qui ton cœur jadis, d'un vain espoir flatté,
Méprisa mon amour et l'immortalité.

Grands dieux! si vos décrets permettent qu'il la voie,
Puisse-t-il ne goûter qu'une trompeuse joie!
Oui, traître, qu'aussitôt un nuage cdieux,
Abusant ton espoir, la dérobe à tes yeux;
Qu'à te persécuter la fortune constante,
Promène sur les mers ta destinée errante;
Que les vents, échappés de leurs sombres cachots,
De la mer contre toi soulèvent tous les flots;
Et, pour combler mes vœux, qu'un funeste naufrage
M'offre ton corps mourant poussé vers mon rivage;
Que ta nymphe, en pleurant sur ton malheureux sort,
Par ses cris douloureux appelle en vain la mort !
Dieux ! quel plaisir de voir ma rivale plaintive
Rappeler vainement ton ombre fugitive!

Mes yeux, au lieu des tiens, jouiront de ses pleurs,
Et ma présence encore aigrira ses douleurs.
Sans me déplaire alors, de cyprès couronnée,
Elle pourra gémir à tes pieds prosternée;
Et je n'envirai plus ni ses gémissemens,
Ni ses tendres regards, ni ses embrassemens.
Mais je frémis; mon cœur, mon faible cœur soupire :
Dieux! serait-ce d'amour?... Ah! ma fureur expire!
Malheureuse! je l'aime et le hais tour à tour.
Que dis-je ? cette haine est un transport d'amour.
Télémaque! je cède; oui, c'est ma destinée;
Sous le joug de l'amour ma haine est enchaînée :
N'en crois pas les transports où j'ai pu me livrer :"
Ne crains rien; Calypso ne peut que t'adorer.

Grands dieux! n'exaucez pas ma funeste prière;
C'était contre moi-même armer votre colère.

Quand mon cœur pour l'ingrat tremble au moindre danger,
Hélas! que je suis loin de vouloir me venger !
Quelle était ma fureur! Oui, dieux, je vous implore;
Mais ce n'est qu'en faveur de l'objet que j'adore ;
Et, s'il faut éprouver sur lui votre pouvoir,
Consultez mon amour, et non mon désespoir.
Mais, hélas! que dis-tu, malheureuse déesse?
Arrête; où t'emportait une indigne faiblesse?
Songes-tu que le traître, au mépris de ta foi,
Ose former des voeux qui ne sont pas pour toi?
Oui, tandis que pour lui, lâchement suppliante,
Je fais des vœux... l'ingrat en fait pour son amante,
Et son farouche orgueil, que je n'ai pu dompter,
Ne se souvient de moi que pour me détester.
Ah! quand tu vins tremblant, au sortir du naufrage,
M'offrir de tes malheurs l'attendrissante image,
Moi-même je devais, prévenant tes affronts,
Te replonger vivant dans ces gouffres profonds,
Dans ces gouffres affreux que le sort te prépare,
Habités par la mort, et voisins du Ténare.
Dans ton cœur ennemi pourquoi mon faible bras
Hésita-t-il alors de porter le trépas ?

Sur la tête du fils, offert à ma colère,
Ma main devait venger la trahison du père ;
Et ta mort, m'épargnant un fatal entretien,
Devait punir son crime et prévenir le tien.

Mon orgueil, offensé des mépris d'un parjure,
Se croyait désormais à l'abri d'une injure :
Je défiais l'Amour, auteur de tous mes maux;
Je jurai d'immoler au soin de mon repos
Tous les infortunés que leur destin funeste
Conduirait vers ces bords que Calypso déteste :
Leur sang a cimenté cet horrible serment;
J'ai cru, dans chacun d'eux, immoler un amant :
Tu parus,
mon courroux s'armait pour ton supplice;
Tu t'avances, je vois... j'aime le fils d'Ulysse ;
A la tendre pitié j'abandonne mon cœur;

J'y laisse entrer l'amour, au lieu de la fureur.
Au meurtre dès long-temps ma main accoutumée,
Ma main par un mortel se vit donc désarmée;
Je n'osai la porter dans ton coupable flanc!
Sanglante, je craignis de répandre le sang.
Cette divinité dont le mâle courage

Jadis se nourrissait de meurtre et de carnage,
Dont la rage guidait les farouches transports,
Dont le bras tant de fois ensanglanta ces bords,
A l'aspect d'un mortel, désarmée et tremblante,
Soupire, et n'est déjà qu'une timide amante.
Calypso ne hait plus en ce funeste jour :
Le poignard à la main, elle implore l'Amour.
Qu'aisément tu surpris ma raison égarée!
De mon cœur imprudent je te livrai l'entrée.
Je respectai ces jours, ces jours infortunés,
Des piéges du trépas sans cesse environnés.

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