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Je m'arrête... ma main tremble... ma plume tombe...
Mon cœur m'échappe encore; il te suit dans la tombe.
Un éclair de bonheur vient de luire pour moi;
J'ai cru te voir, j'ai cru converser avec toi...
Mais le charme est détruit, et je dis à ta cendre
Un éternel adieu... que tu ne peux entendre!
LUCE (de Lancival).

L'AMANT

AU TOMBEAU DE SA MAITRESSE.

DANS

ANS la nuit des tombeaux, ma muse gémissante Evoque par ses cris l'ombre de mon amante: Enhardi par l'amour, je m'avance, et je sens Des os s'entre-choquer sous mes pas chancelans! Je vous salue, ô terre! ô dépouille sacrée ! Restes infortunés d'une femme adorée ! Tranquilles ossemens, pour charmer ma douleur, Ecartez-vous je vois la place de son cœur, Ce cœur sensible et pur, où la douce tendresse Partageait le pouvoir de l'austère sagesse ; Mais, hélas! où trouver ce souris caressant, Cette bouche, ces traits, cet air intéressant, Ce regard tour à tour indulgent et sévère?... Je ne recueillerai qu'une froide poussière

Du corps le plus charmant débris bien précieux,
Et que la mort voudrait disputer à mes vœux.
Ah! du moins si les pleurs qu'ici je viens répandre
Pouvaient en l'arrosant vivifier sa cendre;

Par un prétexte heureux si ces froids ossemens
Pouvaient s'électriser sous mes baisers brûlans!
Dans l'écho des tombeaux mon oreille attentive
Retrouverait encor sa voix douce et plaintive;
Mon cœur, depuis long-temps insensible au désir,
D'un sentiment lugubre aimerait à jouir ;
Mais j'entrevois la mort, et sa faux dévorante
M'ôte jusqu'au plaisir d'une erreur consolante.
De mes yeux égarés la lumière s'enfuit;
Le sommeil effrayant d'une éternelle nuit
S'empare de mes sens, et des objets funèbres
S'offrent à mes regards dans l'horreur des ténèbres.
Chère amante! en ces lieux est-ce toi que je vois?
Que je t'embrasse, hélas! pour la dernière fois!
Tu me fuis!..... O regrets! une vapeur légère
A pris de ton beau corps la forme passagère;
Mais il me reste encor, en l'excès du malheur,
L'image que l'amour sut graver dans mon cœur ;
J'aime à l'y retrouver de grâces entourée :
De ce temple vivant, déesse révérée,
Tu recevras l'encens, les soupirs et les vœux
Du plus fidèle amant et du plus malheureux.
Dans ce temple, jamais une altière rivale
N'osera sans trembler se dire ton égale,

Et tu conserveras des droits sur mes amours
Jusqu'à l'instant fatal où finiront mes jours.
Mais lorsqu'arrivera ce jour si redoutable,
Des vengeances d'un Dieu monument mémorable,
Mes bras se rouvriront à tes bras caressans;

Dieu verra notre amour dans leurs embrassemens:
Saisis d'un sain respect, attendant en silence
L'irrévocable arrêt dicté par sa puissance,
Dans le séjour heureux de l'éternelle paix,
Nous unirons nos voix pour chanter ses bienfaits.

COLARDEAU,

ÉLÉGIE

DANS LE GOUT ANCIEN.

PLEUREZ, doux Alcyons! ô vous, oiseaux sacrés,
Oiseaux chers à Thétis; doux Alcyons, pleurez!
Elle a vécu, Myrto, la jeune Tarentine!
Un vaisseau la portait aux bords de Camarine:
Là l'Hymen, les chansons, les flûtes, lentement,
Devaient la reconduire au seuil de son amant.
Une clef vigilante a, pour cette journée,
Sous le cèdre enfermé sa robe d'hyménée,
Et l'or dont au festin ses bras seront parés,
Et pour ses blonds cheveux les parfums préparés.

Mais, seule sur la proue invoquant les étoiles,
Le vent impétueux qui soufflait dans ses voiles
L'enveloppe : étonnée, et loin des matelots,

Elle tombe; elle crie, elle est au sein des flots:
Elle est au sein des flots, la jeune Tarentine!

Son beau corps a roulé sous la vague marine!

Thétis, les yeux en pleurs, dans le creux d'un rocher,
Aux monstres dévorans eut soin de le cacher.

Par son ordre bientôt les belles néréïdes
S'élèvent au-dessus des demeures humides,
Le poussent au rivage, et dans ce monument
L'ont au cap du Zéphir déposé mollement;

Et de loin, à grands cris appelant leurs compagnes,
Et les nymphes des bois, des sources, des montagnes,
Toutes, frappant leur sein, et traînant un long deuil,
Répétèrent hélas autour de son cercueil:

Hélas! chez ton amant tu n'es point ramenée,
Tu n'as point revêtu ta robe d'hyménée,

L'or autour de ton bras n'a point serré de nœuds,
Et le bandeau d'hymen n'orna point tes cheveux !
ANDRÉ CHÉNIer,

LA GRÈCE,

ÉLÉGIE QUI A REMPORTÉ LE PRIX, LE 3 MAI 1812, A L'ACADÉMIE DES JEUX FLORAUX.

Plectuntur Achivi. HOR.

SUR les pas glorieux du chantre de René,
Aux bords de l'Ilissus je me sens entraîné.
Plein de sa poétique ivresse,

De cette belle et docte Grèce
Mes pieds pressent le sol jadis si fortuné.
Cette terre aujourd'hui froide, silencieuse,
D'une terreur religieuse

A saisi mon cœur consterné.

Où sont-ils ces héros dont la valeur brillante
Fit fleurir, en ces lieux, la sainte liberté?
Entendez les accens de ma voix gémissante:
Venez voir de vos dons le Grec déshérité
Aux fers du Musulman livrant sa main tremblante,
Et la mère des arts esclave obéissante
Des caprices cruels de la stupidité;

Sous un joug de fer accablée,
La Grèce apparaît à mes yeux,
Comme une veuve désolée,

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