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La vieillesse de loin poursuivant mes beaux ans,
Hâte en vain la lenteur de ses pas chancelans:
Ma vie à peine a passé son aurore.
Pourquoi d'une main sans pitié

Dépouiller le rameau de son fruit jeune encore?
Ou pourquoi fouler sous son pié

La grappe en fleur qui vient d'éclore?

O vous, dieux souterrains, dieux de la sombre cour!
Oh! suspendez l'arrêt de mon heure fatale!
Je ne refuse point de connaître à mon tour
Le Cocyte, et Caron, et la barque infernale.
Aux bois de l'Élysée, heureux si quelque jour
Des poëtes fameux j'habite le séjour!
Attendez seulement que de ses doigts livides,
Sur mon front décrépit, l'âge ait gravé ses rides:
Qu'entouré d'un cercle d'enfans,

Je puisse, d'une voix cassée,

Raconter à leur troupe, à m'entendre empressée,
Les histoires du bon vieux temps.

Et vous, à l'amitié si chers et si fidèles,
Vivez, soyez heureux; la vie a ses douceurs;
Vivez; et soit qu'enfin Lachésis et ses sœurs
Me soient propices ou cruelles,

Que Tibulle à jamais vive au fond de vos cœurs !
DE SAINT-ANGE.

ÉROTIQUES.

PORTRAIT DE SULPICIE,

A MARS.

IMITATION DE TIBULLE.

SULPICIE, heureux Mars, aujourd'hui s'est parée.
Laisse donc, dieu charmant, laisse aux cieux Cythérée,
Et viens, à son insu, contempler mille attraits
Que l'Olympe et Paphos ne t'offriront jamais.
Hâte-toi vois, ô Mars, s'avancer Sulpicie
Entre les cieux charmés et la terre embellie.
Une grâce invisible accompagne ses pas;
Chacun d'eux lui dérobe et lui rend mille appas;
Et l'Amour, qui sourit en marchant sur ses traces,
Lui-même s'y méprend, et croit suivre les Grâces.
O front noble! ô front pur! moins belle, aux bords des mers,
Cythérée, en naissant, enchanta l'univers.

Cependant, prends bien garde, en contemplant ses charmes:
Je vois déjà ta main laisser tomber tes armes :
Prends garde: quand l'Amour veut enflammer les dieux,
Le feu dont il les brûle, il l'allume à ses yeux.

Mais, quoi! de tant d'atours crains-tu quelque artifice? Mars! elle embellit tout, sans que rien l'embellisse.

Quand sa main, sur son front, a tressé ses cheveux,
Quel éclat brille alors sur son front radieux!
Que sa main, à l'instant, les rende à la nature :
Cet heureux abandon suffit à sa parure.

Tous les cœurs sont émus, quand d'un lin argenté
infidèle a voilé sa beauté;

Le

nuage

Tous les cœurs sont émus, quand la pourpre éclatante
Veut cacher d'un sein pur la neige éblouissante.
C'est ainsi qu'à jamais, et semblable, et nouveau,
Qu'à jamais jeune et vieux, Vertumne est toujours beau.
Oui, sans doute, à vos pieds, on devrait, Sulpicie,
Consumer tout l'encens que cueillit l'Arabie ;
La toison qui, dans Tyr, boit la pourpre à grands frais,
N'aurait dû colorer que vos nobles attraits;

Et le noir Africain pour eux seuls dut encore
Ramasser les rubis sous le char de l'Aurore.

O Phébus! ô neuf Soeurs! faites, dans vos concerts,
Briller les seuls appas qui brillent dans mes vers.
O Phébus! ô neuf Sœurs! votre lyre attendrie
Doit aimer dans l'Olympe à chanter Sulpicie.

SUR LA SÉPARATION

DE TIBULLE ET DE NÉMERA ;

ESSAI DE TRADUCTION LIBRE.

Oui, tu fus un barbare; oui, ton cœur fut d'acier,
Toi qui, dans ta fureur, arrachas, le premier,
La maîtresse à l'amant, l'amant à la maîtresse.
Mais celui qui, perdant l'objet de sa tendresse,
Peut se résoudre à vivre, à vivre loin de lui,
Qui l'aime faiblement, il est cruel aussi !
Moi, nuit et jour, hélas! j'appelais mon amante;
De mes bras abusés, je la pressais absente :
Je la cherchais partout! la douleur dans mes yeux,
Par des pleurs supplians, a lassé tous les dieux;
Et, je n'en rougis point, j'en conviens, je confesse
L'excès de mon amour, l'excès de ma faiblesse.
Pourquoi donc en rougir? tous les jours la douleur,
D'un trait moins irrité, fait saigner un grand cœur.
Ainsi, quand ton amant ne sera plus qu'une ombre,
Errante avec les morts perdus dans la nuit sombre,
Qu'autour de mon bûcher la flamme éclatera,
Ah! du moins, viens alors, ma chère Néæra;

Viens! qu'on puisse te voir, pâle, morne,

Ta longue chevelure au hasard épandue,

abattue,

Tremblante, avec ta mère, à pas lents, t'avancer;
Elle, versant des pleurs; toi, n'en pouvant verser;
Et tandis qu'à tes pieds la mère la plus tendre
Religieusement recueillera ma cendre,

Toi, plongeant ton œil morne au fond du monument,
A grands cris, mon amante, appelle ton amant:
Et puis, en t'en allant, dis à la terre: «O terre!
» Prends soin de le couvrir! qu'il te trouve légère! »
Enfin, sur mon tombeau, si venaient tes douleurs
Répandre quelquefois des parfums et des fleurs;
Si coulait de tes yeux quelque larme fidèle,
Oui, tu pourrais alors, dans la nuit éternelle,
Consoler, Néæra, mes mânes désolés.

Mais, ô ma Néæra! mes vœux seront comblés,
Si le sensible amant sur mon tombeau peut lire
Ces vers, que ces regrets y prendront soin d'écrire,
Ces vers que sans pleurer ses yeux ne liront pas :

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Ici, de Néæra l'amant repose: hélas !

» Il n'a pu, séparé d'une beauté chérie,

» Endurer son absence, et supporter la vie! »

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