Images de page
PDF
ePub

Insensé! qui te crois au-dessus des humains!
Pour creuser un tombeau Dieu forma-t-il tes mains?
Pour songer à la mort t'a-t-il donné la vie?

Eh! songe à tes devoirs; sers l'homme et ta patrie;
Ce sont là les tributs qu'au ciel on doit offrir:
Apprends, apprends à vivre, et tu sauras mourir.
Crois-tu charmer le ciel, quand ta voix fanatique
Heurle, durant la nuit, un barbare cantique,
Tandis qu'autour de toi les humains endormis
Jouissent du repos que Dieu leur a permis?

Ton plain-chant vaut-il mieux que leur sommeil tranquille?
Dors pour savoir veiller, veille pour être utile.
Ainsi tu sauras plaire au Dieu qui t'a formé.
Et toi, sexe charmant, comme nous opprimé,
Sexe que j'ai chéri sans connaître tes charmes,
Toi pour qui j'ai versé d'involontaires larmes,
Combien l'humanité doit s'attendrir sur toi!
Quoi! des mêmes rigueurs vous subissez la loi,
Vous objets si touchans, vous dont la voix si tendre,
Dont l'organe enchanteur ne devait faire entendre
Que l'aveu de l'amour et l'accent des plaisirs;
Vous qu'un Dieu bienfaisant offrit à nos désirs!
Je vous entends gémir dans vos tristes asiles,
De tyrans en surplis victimes trop dociles.
Le cilice meurtrit vos membres délicats;
Vous implorez un Dieu qui ne vous venge pas.
La nature se cherche et n'ose se connaître ;
Vos cœurs n'osent parler... Ah! quelque jour peut-être

Nous reprendrons nos droits indignement ravis!...
Tombeaux où les vivans se sont ensevelis,
Antres du fanatisme, où languit l'esclavage,
Où Dieu n'est invoqué que par des cris de rage,
Quand serez-vous détruits? quand faut-il l'espérer?
Humains faits pour l'erreur, peut-on vous éclairer?

Ah! depuis que mon cœur, en cette solitude,
De la captivité s'est fait une habitude,
J'ai médité sur l'homme en gémissant sur moi;
J'ai médité sur Dieu, j'ai recherché sa loi.

Elle est dans tous les cœurs, et le mien croit l'entendre;
Son tribunal m'attend; la tombe attend ma cendre.
Si le remords m'accuse aux pieds du Tout-Puissant,
C'est de m'être imposé ce joug avilissant

Fait pour outrager l'homme, et le Dieu qu'il croit suivre;
D'avoir perdu le droit de jouir et de vivre.

Quand nos frères, la nuit, rassemblés dans le chœur,
Prolongent de leurs chants la pieuse langueur,
Je dis: Loin de me joindre à leur concert bizarre,
O Dieu, pardonne-moi de t'avoir cru barbare!
Pour toi qui dans ces lieux, plein d'un sombre transport,
Apportas l'épouvante, et le deuil et la mort,
Toi qui creusas le piége ouvert à la faiblesse;
Va, ce Dieu dont tu crains l'équité vengeresse,
Que tu voulus servir et méconnus toujours,
Punira tes fureurs bien plus que tes amours.
Mais j'entends de l'airain le lugubre murmure....
Il faut aller encor fouiller ma sépulture.

Puissé je m'y traîner pour la dernière fois!

Je t'obéis encore en détestant tes lois.

Il le faut; mais, hélas! si trente ans de misère,

Mes pleurs, mes cheveux blancs souillés dans la poussière,
Si les gémissemens d'un cœur né vertueux,

Obtenaient du Très-Haut, attendri par mes vœux
Que l'homme, dégagé d'un indigne esclavage,
Ne lui présentât plus qu'un libre et pur hommage,
Avec ce doux espoir en son sein rappelé,
Dans ma tombe aujourd'hui j'entrerais consolé.

LA HARPE.

[ocr errors]

DIDON A ÉNÉE.

Didon assoupie se réveille en fureur.

Il est donc vrai qu'Énée a résolu sa fuite ;
Qu'il délaisse Didon, après l'avoir séduite.

Il fuit!... Volez, soldats; des glaives, des flambeaux,
Égorgez les Troyens, embrasez leurs vaisseaux;
Leur roi, son fils; que tout sous vos armes succombe,
Et qu'à leurs corps sanglans la mer serve de tombe.....
Arrêtez ; j'aime Énée; on court l'assassiner!

Malheureuse et c'est moi qui viens de l'ordonner!

Non... « Mais avec regret je te fuis, chère amante,
» Dit-il; le ciel le veut, il faut que j'y consente. »
Eh! que me fait ce ciel, et son ordre odieux?
Amant, je t'aurais vu désobéir aux Dieux !

Va, tu n'es qu'ur ingrat qui m'abuse et m'offense....
Moi, j'abhorre le ciel, s'il prescrit l'inconstance;
Et dût-il m'accabler du poids de son courroux
Avant de te trahir j'aurais bravé ses coups.

Ton âme, pour répondre aux feux de ta maîtresse,
Trop promptement aux dieux immole sa tendresse.
Non, tu n'aimas jamais... Mais lis, lis, inconstant!
A qui t'a donné tout, donne au moins un instant.

Vois comme au loin des mers la fureur se déploie ; Vois ces montagnes d'eau rouler, chercher leur proie, S'élancer à grand bruit dans le vide des airs, Se briser, retomber sur l'abîme des mers:

Vois ces rocs, dont le front semblait braver l'orage,
Arrachés par les vents, fondre sur le rivage.

Rien n'est calme; tout meurt; le jour est sans flambeau;
L'hiver a fait du monde un immense tombeau;
Et tu fuis! et tu crois voguer en assurance,
Toi qui cent fois des flots éprouvas l'inconstance!
Ah! revole vers moi.... Tout va dans ce séjour
Partager mes plaisirs, causés par ton retour.
Mon peuple, qui, charmé de l'ardeur qui m'inspire,
Espérait sous tes lois voir fleurir son empire;
Tes sujets qu'ont lassés les courses, les travaux,
Que tu conduis encore à des périls nouveaux;

Un fils qui peut périr sur cette onde irritée;
Une Reine, dirai-je une amante agitée ?

Tout te retient ici; viens, je t'ouvre mes bras;

Plein d'espoir, mon cœur vole au-devant de tes pas:
Des pleurs qu'elle a versés viens venger ta maîtresse ;
Réparons tant de jours ravis à ma tendresse:
Viens, je languis; je veux, dans nos embrassemens,
Faire envier ton sort aux plus heureux amans.
Mais non tu rougiras de céder à mes larmes ;
Les paisibles douceurs pour toi n'ont point de charmes;
Le tumulte des camps, les horreurs des combats,
Voilà les seuls plaisirs qui t'offrent des appas.
Rien ne peut assouvir la soif qui te dévore;
Maître du monde entier, tu te plaindrais encore.
Insensé! de quel prix peut donc être à tes yeux
Cet empire brillant où t'appellent les dieux,
S'il te faut, au milieu des écueils, des orages,
Le chercher sur des mers couvertes de naufrages?
Que sont ces biens peu sûrs, près des plaisirs du cœur ?
Tout l'univers vaut-il un instant de bonheur?

Cher Énée, où fuis-tu? n'expose point ta vie;
C'est ton amante en pleurs, c'est Didon qui t'en prie.
Ces vents, ces mers, leur bruit, tout me glace d'effroi.
Dieux! si jamais les flots s'entr'ouvraient devant toi!
Si, prêts à t'engloutir... Quelle horrible pensée !
Non... d'un tel trait jamais Didon ne fut blessée...
Énée est tout pour moi; c'est mon bien, mon époux;
Il mourrait !... Ah! sur lui, dieux, suspendez vos coups!

« PrécédentContinuer »