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ayant été reconnues douteuses, il fallut recourir à un scrutin dont le résultat ne donna en faveur de l'adjonction que la faible majorité de 12 voix (161 voix contre 149). Le reste de la discussion n'amena rien de remarquable, et la Chambre, après avoir accueilli seulement un amendement de M. Salverte, ayant pour objet de déclarer que l'article 3, relatif aux maréchaux-des-logis et brigadiers de gendarmerie, cesserait d'être en vigueur,. s'il n'était renouvelé dans la session de 1835, adopta l'ensemble du projet à une majorité considérable (212 voix contre 57).

Porté à la Chambre des pairs, ce projet de loi, à l'adoption duquel la commission chargée de l'examiner, conclut purement et simplement, par l'organe de M. le comte Abrial (18 février), ne rencontra guère d'opposition, aux débats, que dans sa disposition relative à l'adjonction des brigadiers. M. le comte d'Ambrugeac en proposa le retranchement, la condition des brigadiers ne lui semblant pas telle qu'on pût mettre sans crainte à leur discrétion la liberté individuelle et le domicile des citoyens. L'orateur insistait en outre, pour appliquer à la loi la qualification de loi d'exception, dont la commission et son rapporteur avaient cherché à l'affranchir. M. le baron Mounier parla dans le même sens. Mais le ministre de la guerre et le ministre de l'intérieur s'attachèrent à prouver que les dispositions proposées ne constituaient pas une loi d'exception, et l'amendement fut rejeté; après quoi la Chambre, votant sur l'ensemble du projet (21 février), l'adopta à une grande majorité (110 voix contre 19).

Quoiqu'il ne fût pas étranger à la politique, le projet de loi, dont nous venons de résumer la discussion, ne devait pas mettre en présence les deux grandes divisions de la Chambre des députés; celui qui vint ensuite à l'ordre du jour était d'une nature toute différente.

Dans la séance du 25 janvier, le garde-des-sceaux présenta à la Chambre des députés un projet de loi tendant à assujettir l'exercice de la profession de crieur public à la formalité

d'une autorisation préalable que donnerait l'autorité municipale (avec faculté de la révoquer), et à soumettre au droit de timbre tout écrit de deux feuilles d'impression et au dessous, crié, vendu ou distribué publiquement. Voici comment le ministre motivait ce projet de loi :

« L'émeute vaincue s'est retirée de nos rues et de nos places publiques; mais l'esprit d'anarchie s'efforce d'y conserver une position; il ne néglige rien pour y faire encore entendre sa voix s'il est tombé dans l'impuissance d'y agir à force ouverte, il veut du moins y proclamer hautement la diffamation, l'outrage et la provocation à tous les désordres, en s'y tenant aux aguets de toutes les espérances de troubles, afin de profiter des mouvemens populaires après les avoir provoqués.

» Il n'est personne de vous qui n'ait été témoin de ce débordement de honteux pamphlets, auxquels un honnête homme rougirait de répondre, et qui, chaque jour, sont criés et distribués dans nos villes et dans nos campagnes. Les lois, la constitution du pays, la personne du prince, la morale publique, rien n'est respecté dans ces écrits, adressés aux plus mauvaises passions, et distribués avec un cynisme égal à leur immoralité. Ce sont presque toujours les manifestes de ces associations politiques, dont l'existence est un complot permanent contre les institutions fondamentales du pays. Cet opprobre ne peut durer plus long-temps. Il importe, sous peine des désordres les plus graves, de faire cesser un scandale qui pénètre les bons citoyens d'indignation et de douleur. Le mépris ne suffit pas pour donner satisfaction à la morale publique outragée.

De toutes parts s'élevaient des réclamations, la notoriété publique dénonçait au législateur ce nouveau principe de perturbation, et le gouvernement devait y porter remède sous peine de manquer à son devoir. Tel était le but de la loi proposée : «< Amis sincères de nos institutions, ajoutait le garde-des-sceaux en terminant, vous savez que l'ordre est nécessaire à leur développement et au progrès de la prospérité publique. Ainsi vous n'hésiterez pas à mettre un terme à ces écarts si peu compatibles avec la véritable liberté et avec notre civilisation. >>

La commission, à l'examen de laquelle la Chambre des députés renvoya ce projet de loi, y donna une complète approbation; car le seul amendement qu'elle proposa tendait à l'aggravation des peines portées contre les contrevenans. Rapprochant les abus qu'entraînait l'entière liberté laissée à la profession de crieur public des mesures par lesquelles on voulait y remédier, le rapporteur, M. Persil,

jugeait (3 février) que le gouvernement avait su concilier ce qu'il devait à la liberté en général avec la protection que réclamait la société.

Le garde-des-sceaux, en déclarant dans l'exposé des motifs que la liberté de la presse n'était nullement mise en péril par la loi, M. Persil, en s'efforçant de prouver dans son rapport que les dispositions de cette loi ne présentaient point le caractère d'une censure, avaient deviné et indiqué le terrain où les adversaires du projet transporteraient la discussion. La défense de la presse fut, en effet, le mot de ralliement de l'opposition.

5 février. Avant de créer la monarchie de juillet, disait M. Pagès, qui ouvrit les débats par une violente attaque contre le projet, la Charte avait créé la liberté de la presse. Porter la main sur l'article qui fondait cette liberté, c'était autoriser à toucher par représailles à celui qui constituait la monarchie. Sous prétexte de prévenir la licence, on demandait que la liberté de la presse fût livrée à la police et au fisc. C'était la démence de la restauration dans ses jours les plus malheureux et sous ses plus mauvais ministres. La police allait devenir le tyran de la presse populaire. Le crieur servile serait maintenu, le crieur indépendant révoqué.

« Ainsi, messieurs, continuait M. Pagès, la police est maîtresse des écrits qu'elle fera vendre, maîtresse des hommes qui les vendront. Ainsi, pour réfréner la licence, elle revendique le privilége, le monopole, l'exploitation exclusive et à son profit de la presse populaire. Elle réclame pour elle seule le droit d'éclairer le peuple, et elle vous demande le timbre pour que la lumière lui coûte plus cher.

>> Le ministre de la justice déshérite la justice pour donner ses dépouilles à la police. Entre un magistrat et un espion, c'est l'espion qu'il préfère, c'est à lui qu'il confie le droit de garantir la liberté, de nous préserver de la licence. >>

La loi avait une portée plus grande que celle qu'on avouait : à travers les crieurs publics c'était à l'imprimerie, à la librairie qu'elle s'attaquait. « Ce qu'on ose penser, il faut oser le dire, ajoutait M. Pagès; c'est le système préventif accolé au système répressif, c'est l'arbitraire légal venant détruire la

justice légale, c'est la route funeste de la dynastie tombée qu'on voit ouvrir devant la dynastie régnante. » Les hommes d'une opposition consciencieuse et ferme devaient répéter à la branche cadette ce qu'ils avaient dit à la branche aînée : que la monarchie était au prix de la liberté, que les lois d'exception minaient les trônes, qui chancelaient dès qu'ils s'appuyaient sur l'arbitraire.

M. de Sade qui occupa la tribune, après que M. Augustin Giraud eût appuyé le projet de loi comme une œuvre de raison et de prudence, en ce qu'il tendait à déblayer les voies publiques de tous les élémens, de tous les agens de corruption et d'anarchie dont elles étaient encombrées, M. de Sade n'attribuait pas tout-à-fait à la loi la même portée que M. Pagès, mais il y voyait un premier empiétement sur la liberté de la presse, et un premier essai de mesures préventives. L'orateur ne reconnaissait pas la gravité des dangers qu'elle était destinée à combattre : il la jugeait enfin petite, mesquine et indigne d'un gouvernement éclairé, qui devait avoir plus de confiance dans ses propres forces et dans le bon sens de la nation.

Les inculpations lancées par M. Pagès exigeaient une réponse du ministère le garde-des-sceaux se chargea de la donner. Il nia que la Charte fût attaquée dans son article 7, qui assurait à tout Français la liberté de publier son opinion en se conformant aux lois.

Il y a, messieurs, disait le ministre, deux manières d'entendre cet article. Il y a une manière absolue qui consiste à dire que le droit de publier son opinion, en se conformant aux lois, est le droit de mettre en question la Charte elle-même, la royauté constitutionnelle, que la Charte donne le droit de provoquer au renversement de la Charte.

>> Cette théorie, nous convenons que le gouvernement ne l'accepte pas.

» A entendre certains orateurs, la liberté de la presse est tout entière dans la question; et si vous ne laissez pas crier dans les rues librement, par des hommes non soumis à une autorisation, toute espèce d'écrits, ils vous disent que la Charte est en péril.

» Mais, messieurs, il faudrait aller plus loin, avec ce système que le droit de publier s'étend à toute espèce de formes. Il faudrait à l'instant déclarer, par exemple, ce qu'on a soutenu à cette tribune, que les représentations dramatiques, que le droit de fonder des établissemens de cette

nature, ne sont soumis à aucune formalité. En un mot, tout mode de publication quel qu'il fût, alors même qu'il serait diamétralement opposé à toute espèce d'ordre, il faudrait l'adopter sans règle, sans frein, sans qu'il fût possible aux législateurs de mettre la liberté de la presse en barmonie avec les conditions de morale et de paix publique qui sont le besoin de tout pays.

» Peut-on croire que le droit de publier son opinion sera compromis lorsque la profession de crieur public sera soumise à quelques formalités ? Mais ne reste-t-il pas, je ne dirai pas seulement les livres, les brochu res, mais les journaux, indépendamment des distributions à domicile, tous les autres modes de publication. Je demande si en présence de cette multiplicité de publications, il y aura une seule pensée morale ou politique qui manquera d'organe? Non, messieurs, ce n'est pas la vérité des choses.

Mais il est tel mode de publications qui, compromettant la paix du pays, n'étant propre qu'à troubler l'ordre, étant entièrement inutile au droit de publier ses pensées, doit nécessairement être soumis à des garanties particulières. »

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Ainsi l'avait compris la Chambre, lorsqu'en 1830 elle avait rendu une loi contre le mode de publication par affi ches et par afficheurs, mode de publication en faveur duquel, alors, on invoquait aussi la Charte. Le garde-dessceaux réfutait ensuite cette opinion que les dangers causés par les publications criées étaient peu graves et que le mépris public suffisait contre les excès de la presse des rues. Toute la sollicitude du gouvernement devait être éveillée devant des provocations à la révolte, à la guerre civile; lorsque les fonctionnaires publics, les gardes nationaux, les jurés étaient outragés; lorsque l'honneur des femmes était attaqué; lorsque la pudeur publique était blessée par des obscénités. Le mépris public faisait beaucoup, mais il ne pouvait pas tout faire: on ne gouvernait pas avec le dédain seulement, il fallait aussi réprimer.

« Oui, disait le garde des-sceaux en terminant, nous voulons les institutions dans toute leur sincérité ; mais nous ne voulons rien de ce qui est contraire à leur libre exercice; que rien de ce qui peut les salir ne soit maintenu et protégé. C'est pour cela qu'en proclamant ces institutions, nous vous demandons d'en écarter, je le dirai, ces saletés, qui, au lieu de les fortifier, les affaibliraient dans les esprits. (Voix nombreuses: Très-bien! très-bien ! ) »

Les argumens auxquels le ministre venait de répondre n'en furent pas moins reproduits par M. Garnier-Pagès. La loi proposée était, selon l'orateur, un nouveau pas que le gouvernement faisait dans sa voie progressivement excep

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