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En exécution de la loi du 24 avril 1833, relative aux demandes de crédits supplémentaires, loi qui recevait pour la première fois son application, le ministre des finances avait communiqué, le 10 janvier, à la Chambre des députés, un projet de loi portant allocation, tant en crédits supplémentaires qu'en crédits extraordinaires, d'une somme excédant le budget de 1835 de 26,614,982 fr. Cette somme diminuée d'ailleurs de 6,083,000, par une réduction égale opérée sur des crédits ouverts aux ministres des finances et de la guerre, était absorbée en très-grande partie par le ministère de la guerre : le reste se répartissait entre les autres ministères, à l'exception de celui de la marine, qui s'était renfermé dans les limi tes de son budget. Ces demandes d'autorisation de dépenses déjà faites pour la plupart, étaient toujours reçues par la Chambre, avec d'autant plus de mécontentement, qu'elle ne pouvait guère refuser de les sanctionner. Cette fois encore, bien qu'elle proposât, sous l'empire de la nécessité, d'allouer, sauf une mince réduction, la somme réclamée, la commission fit entendre (18 février) un langage sévère par l'organe de M. Pelet (de la Lozère), son rapporteur.

« Si nous ne proposons pas le rejet de ces crédits, disait-il, c'est qu'en' définitive un service plus ou moins utile a été fait, que la dépense est payée, et qu'il est bien difficile de revenir sur des faits accomplis.

»Tel est en effet l'inconvénient d'avoir à délibérer sur des dépenses faites, qu'il faut pour en refuser le paiement des motifs bien autrement puissans qu'il n'aurait fallu pour refuser de les autoriser. Vous l'avez éprouvé cent fois, lorsque vous avez eu à voter les lois des comptes,

ou lorsque, sous le régime du provisoire, on venait vous apporteus

budgets qui n'étaient que la sanction des dépenses effectuées.

êtes plaints de n'avoir pas votre libre arbitre, et vous avez fait cesser le plus tôt possible cette fausse position à l'égard des budgets. On ne saurait la faire cesser pour les crédits supplémentaires et extraordinaires autorisés par ordonnance, et consommés dans l'intervalle des Chambres. Toujours ils placeront la législature dans l'alternative de les approuver, ou de prononcer un rejet dont les conséquences légales ne sont pas encore réglées.

» Nous avons cherché à suppléer au rejet par des représentations fondées sur les principes qui doivent servir de règle en matière de dépenses. Ces représentations seront-elles efficaces? On peut craindre qu'elles ne le soient pas, en considérant combien de fois elles ont été faites en vain. Cependant, il faut remarquer que c'est ainsi qu'ont été préparées et amenées toutes les dispositions de nos lois qui régissent les budgets. Une recommandation négligée finit par se convertir en prescription législative. Ce n'est pas immédiatement, et de plein saut, qu'on a établi la spécialité

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des chapitres; c'est après s'être plaint long-temps de ce que le gouvernement abusait de la faculté d'employer des fonds d'un chapitre à un autre. Long-temps on a réclamé contre la trop grande extension donnée à l'étatmajor-général de l'armée, avant d'introduire dans le budget une disposition qui lui a assigné des limites. Le gouvernement jouit du droit de créer des dépenses dans l'intervalle des Chambres, par voie de crédits supplémentaires ou extraordinaires, mais à de certaines conditions et seulement dans les cas que la loi a déterminés. Qu'il abuse de ce droit, et certainement on en soumettra l'exercice à de nouvelles entraves, et le gouvernement ne pourra s'en prendre qu'à lui-même des embarras qu'il éprouvera. C'est donc à lui d'user avec la plus grande circonspection de ses prérogatives. »

La Chambre, qui consacra les séances des 24, 25 et 26 février à la discussion du projet, ne put que voter comme sa commission avait conclu: 85 voix seulement sur 256 votans protestèrent contre les infractions au budget. La Chambre des pairs se montra moins rigoureuse encore; le projet de loi y fut adopté, le 22 mars, sans discussion, et à la presque unanimité (82 voix contre 4).

La Chambre des députés eut à statuer, vers la même épo que, sur plusieurs autres projets qui, n'ayant pas reçu le complément législatif, ne doivent obtenir ici qu'une rapide mention. Elle adopta, le 19 et le 20 février, deux projets de loi qui réglaient la composition des états-majors des armées de terre et de mer. C'était pour satisfaire à un vœu exprimé par la loi des finances du 21 avril 1832, que ces projets avaient été présentés; mais la convenance, la constitutionnalité même de l'intervention législative dans cette matière, n'étaient pas généralement reconnues; aussi le premier des projets, qu'avaient d'ailleurs modifié des amendemens vivement contestés par le ministère, ne fut-il adopté qu'à la majorité de 185 voix sur 305 votans.

La Chambre rejeta ensuite (21 février) une proposition de MM. Devaux et Taillandier, tendant à l'abolition de la mort civile, puis elle mit en délibération une question qui, grave en elle-même, l'était devenue plus encore par le dissentiment qu'elle avait fait éclater et qu'elle prolongeait entre les deux Chambres; nous voulons parler de la question du divorce.

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Prononcé une première fois par la Chambre des députés, le rétablissement du divorce avait été repoussé par la Chambre des pairs; voté une seconde fois par la Chambre élective, il avait encore été repoussé par une commission de l' Chambre, dont un inembre, M. le président Boyer, avait alors émis une proposition sur les effets de la séparation de corps, tendant à conjurer le rétablissement du divorce. Au commencement de la session les deux propositions se reproduisirent en concurrence, chacune au sein de la Chambre qui l'avait déjà accueillie, et le 22 février les pairs adoptèrent celle du président Boyer, mais à une très faible majorité. Quant à la proposition de rétablir le divorce, présentée par M. Bavoux, et à l'adoption de laquelle la commission d'examen avait unanimement conclu, elle fut dans la Chambre des députés combattue, au fond, par M. Merlin, et préjudiciellement, par M. Voysin de Gartempe, et n'obtint qu'une majorité, relativement faible, de 91 voix (191 contre 100). Aucun rapport n'intervint dans la Chambre des pairs sur cette proposition, bien qu'elle lui cût été communiquée le 27 février. La résolution relative aux effets de la sépararation de corps fut, au contraire, l'objet d'un rapport favorable dans la Chambre élective, mais elle n'arriva point à l'ordre du jour avant la clôture de la session.

Il faut enfin ajouter à ces travaux, demeurés sans résultats, malgré leur importance, la discussion d'un projet de loi sur les attributions municipales, qui, présenté dès le 13 janvier, subit la même destinée qu'il avait déjà éprouvée dans la session précédente. Les partisans des libertés municipales trouvaient que, cette fois encore, le gouvernement n'avait pas assez tenu compte des réclamations reproduites de session en session contre la part trop large faite au pouvoir central; aussi la commission, dans son travail d'examen, et la Chambre dans la discussion, tendirent-elles à ôter à l'autorité administrative pour ajouter à l'autorité municipale. Sans entrer dans les détails de cette discussion, qui se prolongea Ann. hist, pour 1834.

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du 27 février au 10 mars, nous remarquerons qu'elle ne tourna pas toujours à l'avantage du ministère, que la Chambre maintint plusieurs décisions qu'elle avait prises en 1833, malgré lui, et qu'enfin quelques votes partiels furent remportés en dépit de son opposition assez vive; de sorte que l'on doutait dès lors qu'il fût donné suite au projet. Quoi qu'il en soit, le ministre de l'intérieur le présenta (11 avril) à la Chambre des pairs, un mois après son adoption par la Chambre des députés; mais il ne cacha point que son assentiment n'était pas acquis aux changemens introduits dans les dispositions primitives, et la Chambre des pairs regarda sans doute le projet comme non avenu, car il n'y fut pas même l'objet d'un rapport.

Tels furent en resumé les travaux successifs par lesquels la Chambre des députés arriva à la plus importante loi poli. tique qui ait été rendue pendant le cours de la session, à la loi contre les associations. Mais, avant d'aborder ce grave sujet, nous devons revenir un moment sur quelques faits qui ne lui sont pas absolument étrangers et qui d'ailleurs avaient amené au sein de la Chambre des députés un débat où l'on peut aussi puiser quelques lumières sur l'état du pays à cette époque.

On avait prévu que la loi contre les crieurs publics ne recevrait pas son application sans devenir une cause ou un prétexte de troubles. En effet, sa mise en vigueur, coïncidant avec une vague inquiétude jetée dans les esprits par des agitations manifestées sur plusieurs points de la France et notamment à Lyon, fut l'occasion de quelques rassemblemens tumultueux, de quelques scènes de désordre, qui interrom pirent la tranquillité de la capitale pendant les journées des 21, 22 et 23 février. De nombreuses réclamations s'élevèrent contre la violence des moyens de répression employés par l'autorité dans ces journées, et bientôt (3 mars) M. Salverte demanda à être entendu dans des interpellations qu'il voulait adresser au ministre de l'intérieur sur les événemens.

4 et 5 mars. Cette demande souleva, sur l'exercice de ce droit d'interpellation emprunté à l'Angleterre et introduit seulement depuis 1830 dans nos habitudes parlementaires, une question de forme qui n'était pas sans intérêt. MM. Mauguin, Garnier-Pagès, Odilon-Barrot, soutinrent que le droit d'interpeller appartenait à chaque député, indépendamment de toute intervention de la Chambre; MM. Jaubert, Viennet, le président de la Chambre et le ministre de l'instruction publique pensaient, au contraire, qu'il était dans les prérogatives de la Chambre de régler l'exercice du droit individuel d'interpeller. Après une discussion animée, qui occupa en partie deux séances, la Chambre se rangeà à la dernière opinion; puis elle autorisa, M. Salverte à présenter ses interpellations, et fixa le jour où elle consentait à les entendre.

6 mars. Les débats auxquels ces interpellations donnèrent lieu, furent soutenus de part et d'autre avec vigueur, mais ils ne produisirent, ainsi qu'on pouvait s'y attendre, aucun résultat positif. On cita d'une part (MM. Salverte, Cabet, Baude, Mauguin) des faits et des témoignages pour accuser l'autorité d'avoir laissé commettre, contre des personnes inoffensives, les violences les plus odieuses et les plus barbares, par des individus sans mission, sans responsabilité, sans caractère légal. M. Odilon-Barrot insista sur la nécessité de n'employer dans la répression des perturbateurs que des moyens légaux, que des agens légaux, revêtus de leurs signes distinctifs : cela suffisait à toute répression possible, et c'est la résistance à cette répression seule qui était une rébellion punissable.

Le ministre de l'intérieur démentit fortement les faits allégués et les témoignages invoqués. Il reconnut qu'une partie des sergens de ville envoyés contre les agitateurs du 23 février, portait l'habit bourgeois, selon l'usage, parce qu'autrement il serait impossible d'opérer l'arrestation des coupables; mais on avait expressément enjoint à ces agens de n'user de la force qu'à la dernière extrémité, pour le cas

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