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Après 1830, l'état social étant ce qu'on l'avait fait en 1789, le problème restait évidemment tel que l'auteur de la définition précédente l'avait posé : la grande question était toujours de rendre les prolétaires libres de fait, ce qui revenait à leur donner des moyens de développement, des instruments de travail. Or, qui leur donnerait tout cela sinon un gouvernement démocratique asssez fort pour faire prévaloir l'association sur la concurrence, et la commandite du crédit de l'État sur celle du crédit individuel?

C'était donc à la réhabilitation du principe d'autorité que les démocrates devaient s'employer de préférence, ou, si l'on veut, ils devaient se préoccuper beaucoup moins de chercher des garanties aux libertés existantes que d'appeler le peuple à en faire usage.

Ces doctrines étaient celles de la Société des Droits de l'Homme; c'étaient les bonnes, et elles survécurent dans le parti aux attaques dirigées contre elles par des hommes droits et sincères, mais qu'aveuglaient les traditions de cette école libérale qui avait fait du mot droit une déception sans exemple, et du mot liberté la plus lâche tyrannie qui fût jamais.

Quoi qu'il en soit, l'émotion produite par le manifeste se révéla non-seulement par une polémique ardente, mais par des scènes d'un caractère étrange. Le gouvernement aurait voulu faire exclure de la Chambre comme indignes, deux députés, signataires du manifeste: MM. Voyer-d'Argenson et Audry de Puyraveau. Ils furent, en effet, dé

aîné (consultation contre les Jésuites): « La liberté est le droit de faire tout ce que la loi ne défend pas. >

Et si la loi défendait tout!

noncés du haut de la tribune. Mais, par l'énergie de leur langage, par la fermeté de leur attitude, ils continrent les haines soulevées contre eux; et le parti auquel ils appartenaient fut si peu intimidé par ce déchaînement des passions ennemies, qu'un autre député, M. De Ludre, se hâta de faire connaître, par la voie des journaux, l'adhésion qu'il avait donnée au manifeste.

Le procès intenté quelque temps après à vingt-sept membres de la Société des Droits de l'Homme montra mieux encore combien la lutte était implacable, combien les cœurs étaient ulcérés. Les vingt-sept comparaissaient devant la cour d'assises sous la prévention d'avoir formé, lors du dernier anniversaire des trois journées, un complot contre la sûreté de l'État. Les témoins entendus, M. Delapalme commence son réquisitoire. Il discute les faits généraux de l'accusation, et, bientôt, examinant les doctrines des prévenus, il leur reproche d'avoir demandé la loi agraire. L'injustice de cette accusation était flagrante, et, après les débats qui duraient depuis si long-temps, rien ne pouvait servir d'excuse à une pareille calomnie. Un frémissement d'indignation parcourt le banc des prévenus, et, se levant tout à coup, un témoin s'écrie d'une voix forte: « Tu en as menti, misérable! » A ces mots, une confusion inexprimable règne dans l'assemblée. On demande le coupable. « C'est moi, dit M. Vignerte. » Et les accusés de s'écrier: « C'est bien, Vignerte! Il a raison, « nous pensons comme lui. Accusez-nous, frappez-nous, <<< mais ne nous calomniez pas. » M. Vignerte est conduit au pied de la Cour ainsi qu'un autre membre de son parti, M. Petit-Jean. Le président à celui-ci : « Est-ce vous qui << avez interrompu M. l'avocat général? Non. -Pour

<< quoi vous a-t-on arrêté? — Parce que je pense comme « M. Vignerte. Ce qu'a dit l'accusateur public est faux. << Nous avons nos bras pour travailler et ne voulons de la « propriété de personne. » Se tournant alors vers M. Vignerte: « Est-ce vous, lui dit le président, qui avez pro<< noncé ces paroles: Vous en avez menti! « Tu en as menti, misérable!

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J'ai dit :

Qu'avez-vous à répondre

Je ne me justifie pas. » La

Cour délibère, et, après quelques minutes, séance tenante, condamne Vignerte à trois ans de prison. Défendus avec beaucoup d'éloquence et d'énergie par MM. Dupont, Moulin, Pinard et Michel (de Bourges), les accusés furent déclarés non coupables par le jury. Mais la Cour, dont cette décision enchaînait la sévérité à l'égard des prévenus, la Cour, sur les réquisitoires de M. Delapalme, frappa les avocats comme ayant outragé le ministère public; et MM. Dupont, Pinard, Michel (de Bourges) furent suspendus de l'exercice de leur profession : le premier pour une année, les deux autres pour six mois.

Le même jour, MM. Voyer d'Argenson et Charles Teste étaient acquittés. On les avait traînés devant les tribunaux pour avoir publié une brochure qui respirait l'amour du peuple et le sentiment de la charité évangélique.

Voilà dans quel déplorable état de trouble vivait la société. Heureuse encore si elle n'avait pas été condamnée à un plus sombre destin! Car à tant de convulsions, qui, du moins, annonçaient la vie, devaient succéder un abattement honteux et un lourd sommeil semblable à la mort.

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CHAPITRE III.

Politique extérieure.

-

Question d'Orient. Progrès alarmants de la Russie. Situation de l'empire ottoman sous Mahmoud.Situation de l'Egypte sous Méhémet-Ali. Impossibilité de maintenir, soit par le Sultan, soit par le Pacha, l'intégrité de l'empire ottoman. Système qu'il aurait fallu suivre après 1830.— Fautes du gouvernement français. — La Syrie conquise par Ibrahim. Efforts de M. de Varennes pour écarter la Russie de Constantinople. - Arrivée à Constantinople de l'amiral Roussin; sa politique. L'ambassadeur français à Constantinople protége Mahmoud; le consul français à Alexandrie favorise Méhémet-Ali. - Une escadre russe entre dans le Bosphore. Sommation hautaine adressée à Méhémet-Ali par l'amiral Roussin. — Refus de Méhémet-Ali. Note diplomatique. - Affaire de Smyrne. - Arrangement de Kutaya. - Ibrahim évacue l'AsieMineure. -Départ des Russes. — Traité d'Unkiar-Shelessi; son véritable caractère. Le droit de visite. La politique française à l'égard du Portugal. — Lutte de don Miguel et de don Pedro. Mort du roi d'Espagne. — Le gouvernement français reconnaît la reine d'Espagne, pourquoi. — Discussion dans le Conseil : le maréchal Soult et le roi. — Effet produit en Espagne par la nouvelle des dispositions du Cabinet des Tuileries. — Coup-d'œil général sur la politique extérieure du gouvernement français en 1833.

La France, en 1833, a été appelée par les événements şur divers points de la scène du monde

Portugal, en Espagne.

en Orient, en

Pour donner une idée plus nette de sa politique extérieure, sous le règne de Louis-Philippe Ier, peut-être est-il bon d'en séparer le moins possible les épisodes : c'est ce que nous avons fait. La même pensée ayant présidé à tous les actes de la France, soit à Lisbonne et à Madrid, soit à

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