Images de page
PDF
ePub

entreprise pour reconquérir, au profit des nations civilisées, la liberté des mers? Et qu'étaient, après tout, ces pertes que les spéculateurs américains prétendaient avoir éprouvées, à côté des bénéfices énormes puisés dans une audacieuse violation des traités? Si l'Empire n'avait pas refusé d'admettre en principe la créance américaine, c'est qu'on était en 1814; c'est que l'Empire, accablé, ne voulait pas multiplier le nombre de ses ennemis; c'est qu'enfin l'Amérique avait ce titre à la reconnaissance de Napoléon, qu'elle pesait alors sur l'Angleterre. Et quant à la Restauration, invinciblement retranchée dans ses fins de non-recevoir, n'avait-elle pas bien prouvé le cas qu'elle faisait des réclamations des États-Unis ? Sans doute il était du devoir et de l'honneur d'un peuple de remplir ses engagements; mais le soin de sa dignité lui commandait impérieusement de ne pas payer ce qu'il ne devait pas, surtout lorsque, pour l'y contraindre, on lui montrait la pointe d'une épée. Et il n'était pas vrai que le congrès eût désavoué les insolentes paroles du président des États-Unis : le congrès s'était borné à ajourner l'expression de ses sentiments, dans l'espoir que le roi des Français l'emporterait sur la Chambre française. On osait citer le traité de 1831 comme ayant engagé la nation d'une manière irrévocable? comme si ce traité lui-même n'était pas une atteinte cynique portée au principe fondamental du régime constitutionnnel! Le droit du parlement avait-il été réservé? Non. La nation n'avait donc pas donné sa signature. Dire que les ÉtatsUnis, en échange des 25 millions qu'ils nous demandaient, ne refuseraient pas de nous payer 4 million 500 mille francs, c'était vraiment se moquer. La réduction de droits promise à nos vins constituait un avantage réel; mais

pourquoi ne rappelait-on pas à ce sujet le traité par lequel la France avait cédé, en 1803, la Louisiane aux ÉtatsUnis, et les stipulations consenties en notre faveur par l'article 8, et leur violation? Car enfin, l'Amérique était notre débitrice, loin d'être notre créancière. Et en effet, sur la somme de 260 millions à laquelle la Louisiane fut estimée, 80 millions seulement nous avaient été payés par les États-Unis; de sorte que les avantages stipulés pour la France, et dont elle s'était vue indignement frustrée, représentaient une somme de 180 millions; il nous était loisible d'en réclamer à notre tour le remboursement. La guerre! on ne devait pas la désirer; mais il n'était pas dans les habitudes du peuple français de la craindre, et c'est par la lâcheté qu'on l'attire. Le marché américain! Un peuple aussi intelligent en affaires que celui des ÉtatsUnis n'aurait garde de repousser nos produits, sachant bien que par là il avilirait les siens. L'émeute! Si, pour la déchaîner dans nos villes, l'étranger n'avait qu'à nous infliger l'humiliation de ses exigences injustes ou de ses menaces, nous serions le plus misérable et le dernier des peuples.

Tels furent, en substance, les arguments présentés de part et d'autre, soit dans la presse, soit dans la Chambre des députés, où la discussion s'ouvrit le 9 avril (1835). Elle donna lieu, entre le duc de Fitz-James et M. Thiers, à une joûte oratoire d'un grand éclat. Soutenu avec chaleur par MM. de Broglie, président du Conseil, Ducos, Tesnières, Jay, Anisson, de Tracy, Dumon, de Lamartine, Réalier-Dumas, le projet fut attaqué puissamment par MM. Desabes, Glaiz-Bizoin, Charamaule, Lacrosse, Auguis, Isambert, Mauguin. Mais nul ne lui porta des coups plus

terribles que M. Berryer. Il nous semble le voir encore : tantôt, penché sur la tribune et les deux bras étendus sur l'assemblée, il forçait ses adversaires à subir la domination de sa parole; tantôt, saisissant d'une main les documents fournis à l'appui du traité, et de l'autre marquant pour ainsi dire sur le marbre, chaque erreur de chiffres, chaque mensonge d'appréciation, chaque double emploi, il faisait passer devant les yeux de l'assistance éblouie je ne sais quelle arithmétique vivante. Jamais Mirabeau fulminant contre la banqueroute n'avait paru plus véhément, plus indigné, et n'avait exercé d'une façon plus souveraine le pouvoir de l'éloquence. Tout fut inutile. Le 18 avril (1835), 289 voix contre 437 votaient l'adoption du traité. Il fut adopté aussi, deux mois après, par la Chambre des pairs, malgré les énergiques attaques du duc de Noailles. La gravité du vote, en ce qui concernait l'honneur de la France, ne se trouvait atténuée que par un amendement de MM. Valazé et Legrand, lequel avait prévalu, et portait qu'il ne serait fait aucun paiement, que lorsque le gouvernement français aurait reçu des explications suffisantes sur le message du président Jackson.

CHAPITRE X.

Procés d'avril.- La Chambre des pairs constituée en Cour de justice. - Congrès républicain convoqué à Paris. Luttes intellectuelles dans l'intérieur des prisons. - Réunions de défenseurs; leur physionomie. - Visite à M. Pasquier. Droit de libre défense violé; protestation du barreau de Paris et de la plupart des barreaux de France. - Sympathies qu'excitent les détenus. Dissidence entre ceux de Paris et ceux de Lyon. Entrevue à Sainte-Pélagie des deux comités de défense; ses résultats. Vifs débats entre la majorité des défenseurs et M. Jules

Favre.

[ocr errors]

MM. Jules Favre, Michel (de Bourges) et Dupont.

débats devant la Cour des pairs.

Le jugement sur pièces proposé. Lettre des défenseurs.

Ouverture des Protestations des accusés; scènes étranges. La Chambre engagée dans la lutte; MM. de Cormenin et Audry de Puyraveau incriminés. -- Portrait de M. de Cormenin. Débats parlementaires.-M. Audry de Puyraveau livré à la Cour des pairs par la Chambre élective; son attitude. Division dans le camp des défenseurs; MM. Dupont et Armand Carrel. Procès des défenseurs; son caractère; incidents; discours de MM. Trélat et Michel (de Bourges); condamnations. La Cour des pairs s'abandonnant à toutes les conséquences de l'arbitraire; arrêt de disjonction; évasion des prisonniers de Sainte-Pélagie. — Continuation du procés des accusés d'avril. - Plaidoirie de M. Jules Favre. Condamnations des accusés des diverses catégories. - Le parti républicain.

Lorsqu'un gouvernement a le désir et le pouvoir de tout oser, s'il parle de justice en ne suivant que les inspirations de sa haine, et s'il invoque la sainteté des lois en les foulant aux pieds, il y a dans le mensonge d'une telle attitude quelque chose qui attriste la conscience des gens de bien. Et pourtant, l'homme d'État qui aime le peuple Y puise un sujet d'orgueil et d'espérance. Car c'est un

« PrécédentContinuer »