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Dans la dernière phase du procès, les accusés s'étaient montrés en général fort calmes. Cependant MM. Caussidière, Kersausie et Beaumont firent revivre, par leur indomptable énergie, des scènes dont le souvenir était resté palpitant 1.

Le procès d'avril fut, pour le parti républicain que la révolution de juillet avait engendré, une défaite éclatante, mais non pas décisive. Quelques-uns exagérant le bien, la plupart se plaisant à outrer le mal, ce parti a été jugé d'une manière aussi fausse que diverse. S'il n'eut pas assez de loisir et de maturité pour pénétrer par l'étude dans les profondeurs de l'ordre social, de manière à en tirer la solution des grands problèmes, il contribua du moins puissamment à les soulever. Il sema l'agitation autour de lui, mais non sans entretenir dans la nation de généreuses ardeurs. Il sut ennoblir le désordre par le dévoûment, il ne s'épuisa qu'à force de se prodiguer, et il lutta si bien contre l'abaissement systématique de la France, qu'il fut au moment de la forcer à se tenir de

Les débats du procès d'avril ayant été coupés, comme on l'a vu, plusieurs révélations importantes qui devaient y trouver place sont restées dans l'ombre. Voici, par exemple, un fait sur lequel l'illustre M. Arago se proposait d'appeler l'attention publique.

Un jour, il se trouvait chez M. David (d'Angers) le statuaire, occupé dans ce moment à faire la statue de Mme de Staël. La conversation s'étant engagée sur les combats de la rue Transnonain, la femme qui servait de modèle raconta que, le 13 avril, regagnant avec une de ses compagnes sa demeure située près de la fontaine Maubuée, elle avait aperçu son amant, sergentde-ville, qui travaillait aux barricades. Elle court à lui et témoigne son étonnement. Retirez-vous, malheureuses, s'écrie le sergent-de-ville furieux, si vous dites un mot de ceci, vous êtes perdues. >

M. Arago se rendit au lieu désigné, demanda des renseignements et fut pleinement édifié sur l'exactitude du récit. Le nom du sergent-de-ville est Chenedeville.

bout. Par lui fut ajourné dans ce pays le règne des spéculations sordides, de la bassesse mercantile, le règne du génie carthaginois; et il eut cette gloire, qu'il fit horreur à tous les vieux ennemis du nom français. Dans l'affaire du procès d'avril, ses adversaires se montrèrent si petits, et ils employèrent pour le combattre des armes tellement déloyales et fragiles, qu'il aurait vaincu sans nul doute, si tous les membres qui le composaient avaient été plus étroitement unis par le lien des convictions et des idées. Mais le parti républicain s'était ouvert, par malheur, à certains hommes indignes d'y prendre place. De là un mélange sans exemple : le désintéressement, l'ardeur de connaître, l'ignorance, l'habitude de dénigrer, l'envie, le courage, le mépris de la mort, le désir de briller, la modestie du dévoùment poussée jusqu'à l'héroïsme. Un pareil amalgame d'éléments opposés pouvait-il ne pas entraîner la ruine du parti ? Par les vices des uns les vertus des autres étaient ou frappées d'impuissance, ou calomniées. Si donc le parti républicain succomba, c'est que ses ennemis l'emportérent sur lui par l'habile combinaison de leurs vices et l'ensemble de leur corruption. Et voilà comment il en vint à se disperser, à se dissoudre, ne laissant après lui, pour le juger, que l'intolérance de la sottise ou de la haine. Du reste, les individus ne sont que des instruments destinés par Dieu à s'user et à se rompre au service des idées. Au moment même où l'on croyait le parti détruit en France pour jamais, il se trouva que l'opinion qu'il avait personnifiée se déployait avec une puissance nouvelle. Pourquoi s'en étonner? Parmi les républicains, nous l'avons dit, plusieurs étaient des hommes spirituels, brillants, d'une bravoure chevaleresque, toujours prêts à se

dévouer, pleins de gaîté dans le péril, et reproduisant avec plus de fidélité, plus d'éclat que le parti légitimiste lui-même, l'ancien type national; mais, à côté de ceuxci, on put compter quelques absurdes tribuns, quelques gens sans aveu, des traîtres dont la police salariait la turbulence; et ces derniers, quoique formant la minorité, suffirent pour discréditer la cause républicaine, en rendant le parti tout entier responsable de leurs folles prédications, de leur ignorance, de leur orgueil, de leur penchant à parodier, sans les comprendre, les passions de 4793. Ainsi, parce qu'il était arrivé à un petit nombre d'agitateurs dépourvus d'intelligence et incapables de modération, de se proclamer au hasard républicains, et de définir la république au gré de leurs aveugles colères, on mit en doute si la république n'était pas une chimère ou ne serait pas une calamité. Pour que les esprits sages fussent ramenés à une saine appréciation des choses, il fallait que le parti fût ou parût momentanément dissous, et qu'il se reformât plus homogène, plus studieux, plus calme, plus avancé dans la science des révolutions sociales. Or, à ce parti-là, certes, l'avenir pouvait sourire. Car, nous ne saurions trop le répéter le principe monarchique mis face à face avec le principe électif doit tôt ou tard le dévorer ou être dévoré par lui. Et ce dénoûment, un habile emploi de la corruption peut l'ajourner, non l'empêcher. «Que force reste à la loi!» disent les gouvernements de fait, dans l'ivresse de leur fortune. Mais à cela, les hommes qui ne croient qu'à l'immortalité de la justice, les hommes droits et sincères répondent : « Qui << sait si la loi d'aujourd'hui sera celle de demain? Il fau<< dra bien que force reste à la vérité. »

CHAPITRE XI.

Première demande d'intervention, de la part de l'Espagne. Politique extérieure

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Secrètes dissidences; lutte

de M. Thiers; en quoi elle diffère de celle du roi. entre le roi et M. Thiers. Le roi défini par M. Thiers. Scepticisme politique de M. Guizot. - L'Angleterre consultée au sujet de l'intervention. - Attitude de P'Ambassade anglaise à Madrid. —La demande d'intervention est repoussée. — Complots à l'intérieur. - Bruits sinistres. Attentat du 28 juillet. Sang-froid Arrestation de l'assassin; machine infernale. - Impression produite par l'attentat. — Physionomie du Château. - Indigne arrestation d'Ar

de Louis-Philippe.

mand Carrel. Exploitation de l'attentat par les ministres.

Discours de l'archevêque de Paris au roi.

Lois de septembre.

Funérailles.

L'Espagne commençait à haleter sous le poids de la guerre civile. Les carlistes croissaient en force, et les destinées de la révolution espagnole semblaient sérieusement compromises. Le général Cordova, hardi et brillant officier, n'avait point dissimulé au Cabinet de Madrid, que la situation était très-critique et rendait presqu'absolument nécessaire l'intervention des Français. Mais le chef du ministère espagnol, M. Martinez de la Rosa, éprouvait, pour l'intervention d'une armée française, la plus vive répugnance. L'idée que l'Espagne était trop faible pour pourvoir elle-même à son salut offensait ses susceptibilités d'Espagnol, et il tremblait d'acheter la liberté de ses concitoyens au prix de leur indépendance. Le mal s'ag

gravait cependant de jour en jour, les périls se multipliaient autour du trône de la jeune Isabelle, et il fallait prendre un parti. Il arriva donc que, malgré la résistance de M. Martinez de la Rosa, le Cabinet de Madrid résolut de s'adresser à la France. M. Martinez dut consentir à adresser au ministère français la demande d'intervention : il s'y résigna, mais il déclara en même temps à la reine Christine qu'il déposait son portefeuille et désirait qu'on lui trouvât le plus tôt possible un successeur.

La demande d'intervention embarrassa et troubla LouisPhilippe. Dans l'excès de son ardeur pour la paix, il s'inquiétait du moindre mouvement. Mais, parmi ses ministres, il y en avait un dont la demande d'intervention servait merveilleusement les vues politiques.

Élevé dans les idées de l'Empire et facilement tenté par l'éclat des grandes choses, M. Thiers gémissait en secret du rôle subalterne auquel la France était condamnée par la politique opiniâtrément craintive du Château. Recommencer, après 1830, la grandeur impériale, opposer à une plus longue domination des insolents traités de 1815 le veto de la France révolutionnaire, revendiquer la ligne du Rhin, accepter la Belgique, qui s'offrait, ou, du moins, provoquer dans un congrès un nouveau règlement des affaires du monde, M. Thiers n'avait cru rien de cela possible. Il sentait bien, au fond, que toute partie héroïque jouée en 1830 par son pays faisait tomber la monarchie dans les chances du hasard. Or, il y avait dans l'avènement des idées démocratiques quelque chose dont s'émouvait l'incertitude de son cœur. Mais si M. Thiers n'avait pas jugé la France assez forte pour se relever de cette humiliation profonde qui avait duré quinze ans, assez

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