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Le vin d'Est, est, est.

Un évêque allemand du nom de Fuger, voyageant en Italie, faisait prendre les devants à son secrétaire. Celui-ci était chargé de goûter le vin de tous les lieux de repos, et devait indiquer sur le mur de l'auberge par le mot Est que dans cette maison se trouvait le meilleur vin. Arrivé à Montefiascone, petite ville des États du pape, sur la route de Florence à Rome, le secrétaire trouva le vin si bon qu'il répéta trois fois le mot. Mais ce fut pour notre gourmet allemand un mot fatal, car il mourut pour avoir trop bu de ce vin.

On voit à Montefiascone la tombe de l'évêque voyageur. De chaque côté de sa mitre et de ses armes, le secrétaire a fait sculpter un verre à boire renversé. On lit l'épitaphe suivante sur la pierre: Est, est, est, et propter nimium est Johannes de Fuger dominus meus mortuus est. L'explication de cette épitaphe et des emblèmes a été donnée dans le récit de l'anecdote ci-dessus par un prélat romain à feu Valery, bibliothécaire du roi, qui l'a mentionnée dans le tome IV de ses Voyages en Italie.

Le tombeau de l'évêque Fuger pourra être visité par les voyageurs dans l'église S.-Flavien de Montefiascone, devenue bien plus récemment la demeure du cardinal Mauri. C'est là que furent ensevelies dans un repos forcé les facultés autrefois si fortes et si brillantes de cet autre prélat, dont on accuse aussi le vin d'EST, EST, EST d'avoir hâté la fin.

Le pied de mule.

Boileau, en parlant du fameux comte du Broussin, qui, en fait de repas, se vantait d'avoir acquis la plénitude de la science, disait que chaque jour il prétendait faire de nouvelles découvertes dans le pays de la bonne chère, jusqu'à faire trouver aux

mets ordinaires un tout autre goût que leur goût naturel. Quand il avait à donner quelque repas d'érudition ( ce sont ses termes), comme, par exemple, au duc de Lesdiguières et au comte d'Olonne, il était sur pied dès quatre heures du matin. Il commençait par prendre un compas pour faire poser la table du festin, afin quelle ne penchât pas plus d'un côté que de l'autre. Il ne parlait pas moins que de condamner au fouet ou d'envoyer au carcan des valets qui se seraient mépris sur l'ordre des services. Un jour il s'avisa de dire à ses convives: Sentez-vous, messieurs, le pied de mule dans cette omelette aux champignons? Chacun d'eux fut surpris de l'apostrophe. « Pauvres ignorants, leur dit-il, faut-il que je vous apprenne que les champignons employés dans cette omelette ont été foulés par le pied d'une mule? Cela met un champignon au dernier degré de la perfection.

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Louis XVIII et les truffes.

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Un jour que Louis XVIII se régalait de ce précieux tubercule, on vint lui annoncer la visite de son premier médecin. Eh bien, docteur Portal, que pensez-vous des truffes? Je gage que vous les défendez à vos malades. Mais, sire, je les crois un peu indigestes; et peut-être ne devrait-on en faire usage qu'à titre d'assaisonnement. Le prince lui réplique alors d'un ton solennel, et en parodiant le fameux vers de Voltaire :

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Les truffes ne sont pas ce qu'un vain peuple pense!

Le docteur parut un peu déconcerté, le roi sourit et acheva son plat de truffes.

Les hôtes en Angleterre.

En Angleterre, un particulier ne peut aller dîner nulle part, même chez son ami, sans être obligé de donner, en sortant, de

l'argent aux domestiques de la maison, plus ou moins, selon la qualité du maître.

Un officier, quoique très-gourmand, ennuyé de payer fort cher les dîners qu'il prenait, de temps en temps, chez un lord, lui demanda un jour les noms de tous ses gens. Le gentleman, étonné de la question, en voulut savoir la raison. Milord, répondit l'officier, comme je ne suis pas en état de payer pour tous les excellents dîners que je prends chez vous, et de soutenir en même temps mon équipage sans lequel je ne pourrais pas y venir, je veux me ressouvenir de ces messieurs dans mon testament. >>

Le lièvre.

Les Romains attribuaient aux lièvres les vertus de la fontaine de Jouvence, et croyaient qu'une personne qui en avait mangé pendant sept jours était beaucoup embellie. Alexandre Sévère, qui apparemment avait un grain de coquetterie, mangeait un lièvre à chaque repas.

Où la coquetterie va-t-elle se nicher?...

Louis XIV et Molière.

Louis XIV aimait la bonne chère, tout dévot qu'il était, ou peut-être à cause de sa dévotion même. Son appétit était robuste: il y avait quatre services à sa table, et il faisait honneur à tous les plats. Dangeau dit qu'il lui est arrivé souvent de voir le roi manger quatre assiettées de soupes différentes.

Avec un tel naturel, on ne doit pas s'étonner que ce roi ait accompli à table le plus beau trait de courage de sa vie, en y bravant l'étiquette, tyran absolu de sa cour, cent fois plus redoutable que le canon ennemi. C'est du moins le jugement qu'a

porté jusqu'à présent la postérité sur un fait que, bien qu'il soit généralement connu, nous nous plaisons à rappeler ici.

Les officiers de la bouche du roi, contrôleurs, aides de service et autres, tous gens nobles et titrés, faisaient mauvaise mine à Molière parce qu'il mangeait avec eux. Le roi le sut, et, faisant appeler le grand poëte, il lui dit : « On prétend que les officiers de ma chambre ne vous trouvent pas fait pour manger en leur compagnie : mettez-vous à cette table, et qu'on m'apporte à déjeuner. » Et le roi servit une aile de poulet à Molière.

Assurément Louis XIV fut plus grand en ce moment, assis en face de l'immortel comédien, que par ses exploits plus ou moins contestés du Rhin et de l'Escaut.

Les pigeons consolateurs.

Le maréchal de Mouchy prétendait que la chair du pigeon a une vertu consolante. Lorsque ce seigneur avait perdu un ami ou un parent, il disait à son cuisinier : « Vous me servirez à dîner des pigeons rôtis. J'ai remarqué, ajoutait-il, qu'après avoir mangé deux pigeons, je me lève de table beaucoup moins chagrin. »

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