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técédents d'une vie marquée par soixante-quinze années de protestations et six serments de fidélité à la papauté, eut le triste courage de prononcer le

discours d'ouverture.

Ce document, remarquable par un style vigoureux, mais triste écho des doctrines impies et subversives, l'est plus encore par les contradictions dont il abonde. Le vieux ministre rebelle brûlait, sur le bord de la tombe, ce qu'il avait adoré dans sa jeunesse et dans l'âge mûr. Petit de taille, grêle de constitution, laid de visage, possédant cependant un certain air de distinction, Armellini avait alors soixante-quinze ans. Natif de Rome, élève du collége romain, il étudia la science théologique jusqu'au jour où, changeant de carrière, il quitta l'église pour le barreau. Théoricien habile, orateur brillant, suppléant par la spontanéité et le choix de l'expression au peu d'ampleur de sa voix, doué d'une intelligence peu commune subordonnée à ses grandes qualités, Armellini, avocat d'élite, mais beaucoup plus soucieux de sa fortune que de sa réputation, acceptait toutes les causes et recherchait de préférence celles d'usure, qu'il défendait toujours avec talent sinon avec succès. Sec, dur, sévère pour les autres autant que tolérant pour luimême, il ne connaissait des douleurs de l'humanité que ce qu'elles lui rapportaient en bénéfices. Cachant sous la neige de ses cheveux blancs les

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passions fougueuses de l'adolescence, il poussait l'effronterie du vice jusqu'au cynisme. La religion, pour lui, était un masque dont il se servait avec une habileté sans égale; nul mieux que lui ne savait simuler les apparences de la véritable piété. Cinq fois par année, en sa qualité d'avocat consistorial, il assistait et figurait en première ligne aux cérémonies de la messe pontificale. Alors, magnifiquement drapé dans sa robe de drap d'or, saintement agenouillé devant le souverain Pontife, il ressemblait plutôt à un saint qu'on vient de canoniser, qu'à un simple mortel dévoré par les passions humaines.

Armellini a débuté dans la vie politique par un magnifique sonnet en l'honneur de la papauté qu'il devait trahir à la fin de sa carrière. En voici la traduction mot à mot:

<<< Je rencontrai le Temps et lui demandai compte de tant d'empires, de ces royaumes d'Argos, de Thèbes et de Sidon, et de tant d'autres qui les avaient précédés ou suivis. Pour toute réponse, le Temps secoua sur mon passage des lambeaux de pourpre et de manteaux de rois, des armures en pièces, des débris de couronnes, et lança à mes pieds mille sceptres en morceaux.

« Alors je lui demandai ce que deviendraient les trônes aujourd'hui debout. Ce que furent les premiers, me répondit-il en agitant cette faux qui

nivelle tout sous ses coups impitoyables, les autres le deviendront. Je lui demandai si le sort de toutes ces choses était réservé au trône de Pierre....

Il se tut, et, au lieu du Temps, ce fut l'Éternité qui se chargea de la réponse.

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Cependant le catholique, devenu révolutionnaire, tenta ce que jadis il croyait impossible même à la faux du Temps, il s'attaqua à ce trône dont il avait chanté la durée éternelle, et il le renversa en trahissant la foi jurée, en violant ce serment sacré qu'il avait fait le jour de sa nomination d'avocat consistorial :

« J. C. Armellini, avocat de la haute Cour consistoriale, serai, dès à présent et à l'avenir, fidèle et soumis au bienheureux apôtre Pierre, à la sainte Église romaine, à mon seigneur le pape et à ses successeurs duement et canoniquement élus. Je ne ferai et ne conseillerai aucun acte; je ne consentirai à aucun projet qui aurait pour but leur mort, la perte d'aucun de leurs membres ou l'inique privation de leur liberté. Quelle que soit l'affaire que de bouche, ou par écrit ou par intermédiaire ils seront dans le cas de me confier, je ne m'en ouvrirai sciemment à leur dommage ou préjudice à personne, ni verbalement, ni par écrit et aucuns autres signes de même quant à leurs secrets que je saurais véritablement être tels, je les garderai en moi de manière à n'en faire de mon

plein gré, part à aucune personne au risque de leur déplaire. Si j'apprenais qu'il se prépare contre eux quelque trame, j'empêcherais de tout mon pouvoir qu'elle ne soit mise à exécution, et, si j'y étais insuffisant, j'aurais soin de les en instruire par message, ou par lettre ou par l'entremise de toute personne dans le cas de leur en donner avis, le plus promptement possible.

« Je m'appliquerai de toutes mes forces et en tout, à maintenir, garder et défendre la pápauté, les droits de saint Pierre et tout ce qui appartient à la sainte Église romaine. Autant que cela dépendra de mes forces, j'exécuterai tout ce qu'ils commanderont à notre corporation ou à moi pour bien d'Églises quelconques ou celui des pauvres.

le

<< Pour les souverains pontifes et le Saint-Siége, je conserverai une incessante vénération et je m'acquitterai fidèlement de tout ce qu'il sied et appartient de faire à un avocat consistorial. J'aurai égard, en tout ou partie, à tous les décrets qui sont émanés ou qui émaneront de notre corporation ou collége.

<< Je promets et je jure d'observer sans fraude et sans équivoque toutes ces promesses. Ainsi, Dieu me soit en aide et ses saints Évangiles.

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Jamais serment plus solennel ne fut plus ouvertement et plus perfidement violé! Armellini avait reçu de la Providence tout ce que peut ambition

ner sur la terre l'homme de bien pour marcher d'un pas sûr dans la voie de l'honneur et de la vertu. Uni par les liens sacrés du mariage à une femme remarquable par son éminente piété autant que par toutes les qualités du cœur, il avait reçu de ses entrailles bénies cinq enfants destinés à faire l'orgueil et la joie de sa vie : il fit le désespoir de la leur. D'une énergie égale à la force de sa volonté, madame Armellini posait nuit et jour devant son mari comme une divinité vengeresse; elle le poursuivait, jusque dans son sommeil, de la menace de la colère de Dieu. « Avocat consistorial, lui disait-elle sans cesse, qu'avez-vous fait de votre serment? >>

Quelque temps après le départ du Saint Père, Armellini donnait à dîner aux principaux chefs de la révolution; sa femme s'était retirée dans le fond de son appartement pour ne point souiller ses regards, avait-elle dit, de la vue des Sterbini, Mamiani, Galetti et autres. Ceux-ci demandaient la cause de son absence, lorsque tout à coup la porte s'ouvrit et livra passage à madame Armellini qui, pâle, l'oeil en feu, le geste menaçant et la main armée d'un rouleau de papier, s'écria : «Vous êtes tous des maudits! craignez les châtiments de Dieu, ô vous qui, au mépris de vos serments, ne pouvant le tuer, avez chassé son ministre. Redoutez la colère divine; Pie IX, du fond de son exil, en appelle

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