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nière véritablement grossière, mais que la simplicité de ces tems-là semblait rendre pathétique. Ils chantaient les miracles des saints, leur martyre, et certaines fables à qui la créance des peuples donnait le nom de visions. Ces pélerins allant par troupes et s'arrêtant dans les places publiques, où ils chantaient le bourdon à la main, le chapeau et le mantelet chargé de coquilles et d'images, peintes de différentes couleurs, faisaient une espèce de spectacle qui plut, et qui excita quelques bourgeois de Paris à former des fonds pour élever dans un lieu propre, un théâtre où l'on représenterait ces moralités les jours de fête, autant pour l'instruction du peuple que pour son divertissement. L'Italie avait déjà montré l'exemple; l'on s'empressa de l'imiter.

Ces sortes de spectacles parurent si beaux dans ces siècles ignorans, que l'on en fit les principaux ornemens des réceptions des princes quand ils entraient dans les villes ; et comme on chantait noël, noël, au lieu des cris de vive le roi, on représentait dans les rues la Samaritaine, le mauvais Riche, la Conception de la sainte Vierge, la Passion de Jésus-Christ, et autres mystères, pour les entrées des rois. On allait en procession au-devant d'eux avec les bannières des églises : on chantait à leur louange des cantiques composés de passages de l'Écriture sainte, cousus ensemble, pour faire allusion aux actions principales de leurs règnes.

Telle est l'origine de notre théâtre, où nos acteurs, qu'on nommait confrères de la passion, commencèrent à jouer leurs pièces dévotes en 1402; cependant, comme elles devinrent ennuyeuses à la longue, les confrères, intéressés à réveiller la curiosité du peuple, entreprirent, pour

y parvenir, d'égayer les mystères sacrés. Il aurait fallu un siècle plus éclairé pour leur conserver leur dignité; et, dans un siècle éclairé, on ne les aurait pas choisis. On mêlait aux sujets les plus respectables, les plaisanteries les plus basses, et que l'intention seule empêchait d'être impies car ni les auteurs, ni les spectateurs ne faisaient une attention bien distincte à ce mélange extravagant, persuadés que la sainteté du sujet couvrait la grossiéreté des détails. Enfin, le magistrat ouvrit les yeux et se crut obligé, en 1545, de proscrire sévèrement cet alliage honteux de religion et de bouffonnerie. Alors naquit la comédie profane, qui, livrée à elle-même et au goût pcu délicat de la nation, tomba, sous Henri III, dans une licence effrénée, et ne prit le masque honnête qu'au commencement du siècle de Louis XIV.

Le Chevalier DE JAUCOURT.

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MYTHOLOGIE.

MYTHOLOGIE. (Belles-lettres.) Histoire fabuleuse des dieux, des demi-dieux, et des héros de l'antiquité,

me son nom même le désigne.

Mais nous considérons encore, sous ce nom, tout ce qui a quelque rapport à la religion païenne; c'est-à-dire, les divers systèmes et dogmes de théologie, qui se sont établis successivement dans les différens âges du paganisme; les mystères et les cérémonies du culte dont étaient honorées ces prétendues divinités; les oracles, les sorts, gures, les auspices et aruspices, les présages, les prodiges, les expiations, les dévouemens, les évocations, et tous les genres de divination qui ont été en usage; les pratiques et les fonctions des prêtres, des devins, des sybilles, des vestales; les fêtes et les jeux; les sacrifices et les victimes; les temples, les autels, les trépieds, et les instrumens des sacrifices; les bois sacrés, les statues, et généralement tous les symboles sous lesquels l'idolâtric s'est perpétuée parmi les hommes durant un si grand nombre de siècles.

La mythologie, envisagée de cette manière, constitue la branche la plus grande de l'étude des belles-lettres. On ne peut entendre parfaitement les ouvrages des Grecs et 'des Romains que la haute antiquité nous a transmis, sant une profonde connaissance des mystères et des coutumes religieuses du paganisme.

Les gens du monde, ceux mêmes qui se montrent les

moins curieux de l'amour des sciences, sont obligés de s'initier dans celle de la mythologie, parce qu'elle est devenue d'un usage si fréquent dans nos conversations, que quiconque en ignore les élémens, doit craindre de passer pour être dépourvu des lumières les plus ordinaires à une éducation commune.

Son étude est indispensable aux peintres, aux sculpteurs, surtout aux poëtes, et généralement à tous ceux dont l'objet est d'embellir la nature et de plaire à l'imagination. C'est la mythologie qui fait le fond de leurs productions, et dont ils tirent leurs principaux ornemens. Elle décore nos palais, nos galeries, nos plafonds et nos jardins. La fable est le patrimoine des arts; c'est une source d'idées ingénieuses, d'images riantes, de sujets intéressans, d'allégories, d'emblêmes, dont l'usage plus ou moins heureux dépend du goût et du génie. Tout agit, tout respire dans ce monde enchanté, où les êtres intellectuels ont des corps, où les êtres matériels sont animés, où les campagnes, les forêts, les fleuves, les élémens ont leurs divinités particulières; personnages chimériques, je le sais, mais le rôle qu'ils jouent dans les écrits des anciens poëtes, et les fréquentes allusions des poëtes modernes, les ont presque réalisés pour nous. Nos yeux y sont familiarisés, au point que nous avons peine à les regarder comme des êtres imaginaires. On se persuade que leur histoire est le tableau défiguré des événemens du premier âge: on veut y trouver une suite, une liaison, une vraisemblance qu'ils n'ont pas.

La critique croit faire assez de dépouiller les faits de la fable d'un merveilleux souvent absurde, et d'en sacrifier les details pour en conserver le fond. Il lui suffit d'avoir

réduit les dieux au simple rang de héros, et les héros au rang des hommes, pour se croire en droit de défendre leur existence, quoique peut-être de tous les dieux du paganisme, Hercule, Castor, Pollux, et quelques autres, soient les seuls qui aient été véritablement des hommes. Evhémère, auteur de cette hypothèse qui sappait les fondemens de la religion populaire, en paraissant l'expliquer, eut dans l'antiquité même un grand nombre de partisans; et la foule des modernes s'est rangée de son avis.

Presque tous nos mythologistes, peu , peu d'accord entre eux à l'égard des explications de détails, se réunissent en faveur d'un principe que la plupart supposent comme incontestable. C'est le point commun d'où ils partent, et leurs systèmes, malgré les contrariétés qui les distinguent, sont tous des édifices construits sur la même base, avec les mêmes matériaux combinés différemment. Partout on voit dominer l'év hérisme, commenté d'une manière plus ou moins plausible.

Il faut avouer que cette réduction du merveilleux au naturel, est une des clefs de la mythologie grecque; mais cette clef n'est ni la seule, ni la plus importante. Les Grecs, dit Strabon, étaient dans l'usage de proposer, sous l'enveloppe des fables „ les idées qu'ils avaient nonseulement sur la physique, et sur les autres objets relatifs à la nature et à la philosophie, mais encore sur les faits de leur ancienne histoire.

Ce passage indique une différence essentielle entre les diverses espèces de fictions qui formaient le corps de la fable. Il en résulte que les unes avaient rapport à la physique générale, que les autres exprimaient des idées mé

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