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S V.

Préoccupation.

92 (bis). Non-seulement les eaux qui ne sont pas une dépendance du domaine public peuvent être prescrites, sauf les exceptions marquées dans le paragraphe précédent, mais les usages qu'on peut avoir sur elles peuvent être modifiés et réduits par une possession plus courte que celle qui produit la prescription.

Nous voulons parler de la préoccupation qui diffère de la prescription en ce que celle-ci pour acquérir droit et former titre, exige le laps de temps déterminé par la loi, au lieu que celle-là acquiert le droit par le seul fait, pour si peu qu'il soit antérieur à celui d'un

autre.

La préoccupation a été pendant long-temps, sans doute, l'unique moyen d'acquérir le domaine des choses: mais elle ne trouve plus aujourd'hui à s'exercer que sur quelques objets, tels que les animaux les animaux sauvages, les oiseaux, les

poissons et les eaux.

Sur ces dernières, si on attachait encore à la préoccupation l'effet d'acquérir la propriété des choses, réduite, comme elle l'est, à s'exer

cer sur les objets sans propriétaires et cependant susceptibles de propriété, elle ne pourrait s'exercer sur aucune eau, parce qu'il n'en est aucune qui n'ait un maître (1).

Mais sur les eaux son effet est restreint à la priorité de l'usage. Elle n'acquiert point de droit absolu; elle ne donne qu'un droit relatif, une préférence sur les autres co-usagers ou co-propriétaires (2). Hoc portat in ventre privilegium preoccupationis, ut primo ille prœferatur qui primo occupavit, etiamsi noceat alio (3).

Quand l'eau suffit aux besoins de tous, la préoccupation ne confère que la priorité; quand elle est insuffisante, elle donne droit à une jouissance exclusive ou à un règlement, suivant les circonstances. Mais dans l'un et l'autre cas, son effet est toujours borné aux besoins du fonds.

Le droit de préoccupation n'est pas attaché à la qualité de riverain; il peut être acquis par tout le monde, quelle que soit la distance du fonds pour lequel on l'acquiert à l'eau qu'on y dérive. L'art. 644 du Code Civ. consacrant

(1) Suprà, no 4.

(2) Sirey, tom. 20. p. 483.

(3) Pecchius, de Aquæd, tom. 2, quest. 18. no 9.

les droits des riverains, n'a dérogé à aucun des moyens légaux d'acquérir la propriété des choses, ni pour le passé, ni pour l'avenir. Le riverain qui négligerait de profiter de ses dispositions, ne pourrait empêcher l'étranger d'utiliser les eaux s'il le laissait jouir pendant le temps nécessaire pour prescrire.

La préoccupation s'acquiert par tous les actes qui prouvent qu'on jouit de l'eau avant ceux qui la contestent. On n'y exige pas l'existence de signes extérieurs, parce qu'il ne s'agit pas d'établir une servitude sur le fonds d'autrui, mais seulement de prouver qu'on a usé plutôt qu'un autre d'une chose dont l'usage est commun à plusieurs, c'est-à-dire, qu'on a usé de son droit.

Le premier occupant est celui qui a usé le premier, et non celui qui est placé le plus près de la source (1); mais à égalité de possession et à défaut de titres ou d'ouvrages indicatifs de la priorité, elle est, dans les règlemens d'arrosages, accordée au voisin de la source: Propinquior fontis, prior in irrigatione(2).

(1) Brodeau sur Louet, lettr. M. somm. 17. n° 1.

Dupérier,

Mém. Ms. Vo Eau. Arr. du P. de Prov. du 21 mai 1743, au

profit du Sr Dellor, de la ville d'Hyères. (2) Pecchius, tom. 2. quest. 40.

Arr. de la Cour d'Aix du

21 mars 1813, en faveur de la dame Dellor, d'Hyères, contre le Sr Rioudet.

Il n'y a pas de préoccupation sur les eaux qui sont réparties par un règlement local, par la raison qu'elles doivent toujours être réparties selon l'usage et l'ancienne coutume, et que la préoccupation qui est un moyen d'acquérir, selon le droit naturel, le cède au droit civil résultant du règlement ou de la coutume.

93. C'est une conséquence de la nature de la préoccupation, qu'elle se perde par le nonusage. Des actes de possession la constituant, la non-jouissance doit la faire évanouir. Mais suffit-il d'une interruption quelconque pour la faire perdre, ou faut-il que cette interruption se soit prorogée pendant un certain espace de temps?

La moindre interruption suffirait, si on en décidait par la Loi Romaine, qui porte que celui qui a bâti sur le rivage d'un fleuve, perd tout droit sur le local si son bâtiment s'écroule ou est détruit (1).

Mais il faut dix ans de non-usage, suivant Gobius, de Aq., quest. 9. n° 11, et Pecchius, de Aquæd., liv. 1. ch. 4. quest. 6. no 38.

(1) L. 6. ff. de Divis. rer.; L. 14. ff. de Acquir. rer. domin.

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SECTION QUATRIÈME.

Servitudes et Charges relatives aux Eaux.

93 (bis). Les eaux coulent naturellement, ou sont amenées sur le fonds d'autrui par la main de l'homme.

Les premières frappent le fonds d'une servitude naturelle et inévitable.

Les secondes ne lui imposent qu'une servitude conventionnelle, lors même qu'elle est établie par la prescription, qui supplée le titre, ou par l'autorité, qui ne fait que supposer le consentement que les parties donneraient librement, si elles étaient justes.

Nous allons parcourir dans les paragraphes suivans les effets de ces deux servitudes relativement aux eaux.

94. Nous devons auparavant faire une remarque qui s'applique à l'une et à l'autre servitude. C'est qu'étant l'une et l'autre des servitudes passives, aucune ne peut d'elle-même devenir une servitude active du fonds servant sur le canal.

Ainsi, l'eau qui ne fait que suivre son cours naturel, ne peut jamais être acquise à l'infé

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