Images de page
PDF
ePub

on jouit sans préalable ni formalité, il y aura beaucoup plus de difficultés, surtout dans les communes où l'usage du troupeau commun n'est pas établi, où il n'y a ni règlement, ni répartition des pâturages, ni même fixation de la quantité de bêtes que chacun peut y envoyer. Dans ce cas, il n'y a que la preuve testimoniale d'une jouissance récente de moins de trente ans.

Mais, s'agissant d'un droit qui appartient aux habitans, non ut universi, sed ut singuli (1), les habitans et possédans biens ne seraient pas reçus à témoigner, parce que Nemo idoneus testis in re propria (2). Comment donc prouver, dans ce cas, cette jouissance sans laquelle le droit sera perdu?

Il semble, au premier coup d'œil, bien rigoureux de déclarer prescrit un droit clairement établi par un titre, la commune allègue avoir conservé par des actes posses

(1) Suprà, no 11.

et que

(2) Guypape, Décis. 193.-Depeisses, tom. 2. p. 486. no 14.— Decormis, tom. 2. col. 971. Boniface, tom. 4. page 804.

[ocr errors]

Mornac, ad L. 6. § 1. ff. de Rer. divis. M. De Clapiers, Caus. 35. quest. 1. no 6. Arr. du Parl. d'Aix du 13 janv. 1781; dans Janety, même année, p. 177. Il s'agissait d'un droit de dime sur les agneaux et les chevreaux. Les dépositions des habitaps furent rejetées de l'enquête de la cominune. - M. Pardessus, des Servit., p. 332. no 216, dit que la suspicion s'étend jusques aux habitans des communes voisines, quand elles ont intérêt à la contestation.

soires récens, dont elle offre d'administrer la preuve par ceux même qui les ont faits. Mais, en réfléchissant, cette rigueur disparaît entièrement.

D'abord, c'est la faute de la commune d'avoir laissé ses pâturages dans un tel état d'abandon, qu'elle ne puisse pas montrer un seul acte de possession légitime. Si cet abandon lui faisait perdre injustement un droit qu'elle aurait entretenu, elle ne devrait l'imputer qu'à son incuric.

Le plus grand effet que puisse produire l'allégation de sa jouissance, est le doute; mais dans le doute pro libertate respondendum, la cause de la commune qui veut tenir dans l'asservissement l'héritage d'un particulier, est, à tous égards, infiniment moins favorable que celle du propriétaire qui en réclame la liberté.

Celui-ci, à qui la loi offre tant de moyens de restreindre ou d'abolir la compascuité, a la présomption pour lui, lorsqu'au lieu d'en user, il excipe de la non-possession pendant le temps nécessaire pour prescrire.

En excluant le témoignage des habitans quand la cause de leur commune les intéresse individuellement, la loi a bien su qu'elle privait les communes du témoignage le plus commode; que, par cette exclusion, elle exposait souvent

les communes à ne pouvoir pas remplir la preuve qu'elle exigeait d'elles. Cet inconvénient ne pouvant être mis en parallèle avec l'inconvénient plus grave de constituer les habitans juges dans leur propre cause, n'a pas arrêté le législateur; il ne doit pas arrêter les tribunaux, qui ne peuvent avoir la prétention d'être plus sages et plus justes que la loi.

57. Il est encore un moyen d'éteindre la servitude de dépaissance : c'est le cantonnement. Il n'est pas spécial aux pâturages; il éteint aussi les droits de bûcherage et autres usages dont les bois sont grevés. Par ce motif, et pour éviter des répétitions quand nous traiterons de la législation forestière, nous allons lui affecter un paragraphe distinct, où nous examinerons le droit et l'exécution des cantonnemens ancien et moderne, tant dans leur rapport avec les pâturages que dans leur rapport avec les bois.

57 (bis). Nous devons, auparavant, réparer

une omission essentielle. Nous avons dit, n° 32, que chacun ne pouvait envoyer dans les pâturages communs qu'un nombre de bêtes proportionné à ses possessions. Nous devons ajouter que cette règle est inapplicable aux marais. Les pâturages n'y sont pas répartis à raison des possessions, mais par feux; ce qui donne à

chaque chef de famille un droit égal indépendant de la quantité de terrain qu'il possède (1).

S V.
Cantonnement.

58. Le cantonnement, tel qu'il est aujourd'hui, n'est autre chose qu'un partage entre le propriétaire et les usagers.

Son objet est de faire cesser l'indivision dans laquelle nul n'est obligé de demeurer éternellement, et de régler et restreindre au lieu le moins dommageable la servitude dont le fonds. est affecté dans toutes ses parties.

Son avantage pour le propriétaire du fonds est de tirer sa propriété de l'inertie dans laquelle la tiennent les usages et les abus dont ils sont l'occasion.

Pour les usagers, cet avantage est aujourd'hui d'intervertir le titre primitif, et de convertir leurs droits sur la totalité du fonds en une propriété déterminée. En sorte qu'ils gagnent en solidité ce qu'ils perdent en étendue, et qu'ils ne sont plus soumis aux gênes et aux restrictions auxquelles leur qualité d'usagers les assujettissait (2).

[ocr errors]

(1) Déc. du 20 juin 1806. Autre du 2 février 1808. (2) On a vu dans ce chapitre en quoi consistent ces gênes, quant aux pâturages; on verra dans le chapitre suivant celles qui entourent les usages dans les bois, et dans le tit. 3. ch. 2 et 3, celles qui accompagnent les usages en particulier et les servitudes en général.

59. Autrefois, et jusqu'au commencement

du dix-huitième siècle, le cantonnement n'était qu'un règlement, une restriction des usages qu'on resserrait dans une portion déterminée, pour que le droit de propriété ne fût pas vain et illusoire on l'appelait aussi aménagement.

Tout ce qui était hors de la circonscription devenait libre de tout asservissement, et le propriétaire conservait la nue propriété sur la portion affectée aux usagers qui la possédaient seulement en toute jouissance (1). Dans les deux arrêts que rapporte M. Bouhier (2), il est dit expressément que le propriétaire n'aura sur la portion assignée aux habitans en plein usage, que la propriété nue, et que les habitans en jouiront, sans pouvoir y prétendre aucun droit de propriété.

60. Ce ne fut qu'au commencement du dix huitième siècle que s'introduisit l'usage de remplacer la servitude acquise aux habitans par la désemparation d'une portion en propriété (3).

61. Avant la loi de 1790, nous ne connaissions point en Provence le cantonnement en fait

(1) Voy. les Arrêts que rapportent Papon, liv. 4. tit. 3. nos 1 et 2.- Salvaing, de l'Usage des Fiefs, part. 2. ch. 96. p. 219. Fréminville, Pratiq. des Terriers, tom. 3. p. 382.

(2) Observations sur la Cout. de Bourgogne, ch. 62. nos 86 et 88. (3) Sirey, tom. 7. suppl. p. 812.

« PrécédentContinuer »