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dans le Sicilien, Léandre apothicaire dans le Médecin malgré lui, et Cléante maître de musique dans le Malade imaginaire.

Si Clitandre se déguise en médecin, c'est que sa bienaimée Lucinde est malade ou feint de l'être; on aura donc commencé par appeler auprès d'elle des médecins authentiques, on aura essayé de divertir par divers moyens sa

mélancolie.

A l'imitation du Médecin volant ajoutez des réminiscences, plus ou moins volontaires, du dramaturge espagnol Tirso de Molina et peut-être de Lope, du comique français Cyrano de Bergerac, du romancier Charles Sorel. Fondez tout cela avec une logique bouffonne, et la pièce, dans son ensemble, est faite. A vrai dire, c'est une farce.

Et voici les jeux scéniques, les plaisanteries de la farce qui se multiplient. Sganarelle, père de Lucinde, se plaint que sa fille ne lui révèle pas la cause de sa tristesse; elle la lui révèle cependant, et Lisette, la suivante, la crie dans les oreilles de Sganarelle: Sganarelle arpente la scène en feignant de ne rien entendre, et Lisette l'arpente après lui en criant de plus en plus fort. plus fort. Dix minutes plus tard, cette scène a une contre-partie: Lisette a une mauvaise nouvelle à annoncer à Sganarelle, et cette fois c'est elle qui feint de chercher partout son maître pendant que son maître la suit en criant: Lisette! Lisette! me voici. Le contrat de mariage, si vite bâclé au dénouement par un notaire que Clitandre présente au père comme un secrétaire chargé d'écrire ses ordonnances, est aussi un moyen de farce sur lequel il est difficile de se faire illusion. Et voulez-vous

une plaisanterie caractéristique?

LISETTE. Votre fille, toute saisie des paroles que vous lui avez dites, et de la colère effroyable où elle vous a vu contre elle, est montée vite dans sa chambre, et, pleine de désespoir, elle a ouvert la fenêtre qui regarde sur la rivière.

SGANARELLE. Hé bien !

LISETTE. Alors, levant les yeux au ciel : « Non, a-t-elle dit, il m'est impossible de vivre avec le courroux de mon père, et puisqu'il me renonce pour sa fille, je veux mourir. >>

SGANARELLE. Elle s'est jetée.

LISETTE.

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Non, Monsieur, elle a fermé tout doucement la fenêtre, et s'est allée mettre sur son lit1.

Les facéties ont la vie dure, et vous avez certainement entendu celle-ci dans maints vaudevilles et dans maintes opérettes.

La partie de la pièce où sont satirisés les médecins a le même ton et la même allure. C'est Lisette disant aux médecins: « Quoi? Messieurs, vous voilà, et vous ne songez pas à réparer le tort qu'on vient de faire à la médecine? Un insolent a eu l'effronterie d'entreprendre sur votre métier et, sans votre ordonnance, il vient de tuer un homme d'un grand coup d'épée au travers du corps 2. » C'est Sganarelle payant d'avance nos quatre docteurs, qui empochent l'argent en faisant de grands gestes de refus. Ce sont nos docteurs se faisant force politesses, refusant de parler avant leurs collègues, enfin se décidant et parlant tous quatre à la fois. C'est Clitandre tâtant le pouls à Sganarelle afin de reconnaître, «< par la sympathie qu'il y a entre le père et la fille », jusqu'à quel point Lucinde est malade.

Ce n'est certes pas là de la haute comédie; mais il y a des scènes d'une drôlerie impayable. Quand M. Macroton et M. Bahys délibèrent devant Sganarelle effaré, l'un fait un sort à chaque syllabe, l'autre bredouille lamentablement: « l'un va en tortue, l'autre court la poste ». Ce qui est remarquable surtout, et ce qui distingue une farce comme l'Amour médecin d'œuvres aussi plaisantes auxquelles on pourrait la comparer, c'est que la forme adoptée par Molière ne l'a nullement empêché de peindre çà et là les mœurs avec une vérité profonde et de jeter dans l'âme

1. Acte I, scène vi.

2. Acte III, scène II.

humaine des coups de sonde qui révèlent le génie. A cet égard, on a vu tout ce que nous pourraient fournir les consultations des médecins. La première scène de l'acte premier est célèbre aussi et a donné à la langue un mot proverbial. Sganarelle, inquiet du marasme où se trouve sa fille, consulte sur ce qu'il doit faire pour la rappeler à la gaieté et à la santé ses voisins M. Josse et M. Guillaume, sa voisine Aminte et sa nièce Lucrèce. M. Josse soutient que rien ne peut guérir une jeune fille comme des bijoux; M. Guillaume propose qu'on réjouisse la vue de Lucinde avec une belle tapisserie représentant des arbres et des feuillages; Aminte veut qu'on la marie avec un jeune homme qui l'a demandée récemment ; et Lucrèce, la trouvant peu faite pour le mariage, croit qu'il faut la mettre dans un couvent. Alors Sganarelle:

Tous ces conseils sont admirables assurément; mais je les tiens un peu intéressés, et trouve que vous me conseillez fort bien pour vous. Vous êtes orfèvre, Monsieur Josse, et votre conseil sent son homme qui a envie de se défaire de sa marchandise. Vous vendez des tapisseries, Monsieur Guillaume, et vous avez la mine d'avoir quelque tenture qui vous incommode. Celui que vous aimez, ma voisine, a, dit-on, quelque inclination pour ma fille, et vous ne seriez pas fàchée de la voir la femme d'un autre. Et quant à vous, ma chère nièce, ce n'est pas mon dessein, comme on sait, de marier ma fille avec qui que ce soit, et j'ai mes raisons pour cela; mais le conseil que vous me donnez de la faire religieuse, est d'une femme qui pourroit bien souhaiter charitablement d'être mon héritière universelle. Ainsi, Messieurs et Mesdames, quoique tous vos conseils soient les meilleurs du monde, vous trouverez bon, s'il vous plaît, que je n'en suive aucun. Voilà de mes donneurs de conseils à la mode 1.

soit; mais la mode

<< Donneurs de conseils à la mode »>, ne change guère, et l'on trouvera longtemps, quand on aura un conseil à prendre, des gens qui vous conseilleront fort bien..... pour eux.

Vous avez sans doute remarqué la bonhomie narquoise

1. Acte I, scène 1.

de Sganarelle. Elle lui inspire en plusieurs endroits des réflexions mémorables, celle-ci, par exemple, au sujet de feu sa femme:

Elle est morte, Monsieur mon ami. Cette perte m'est très sensible, et je ne puis m'en ressouvenir sans pleurer. Je n'étois pas fort satisfait de sa conduite, et nous avions le plus souvent dispute ensemble; mais enfin la mort rajuste toutes choses. Elle est morte je la pleure. Si elle étoit en vie, nous nous querellerions 1.

Sans doute aussi vous avez remarqué sa résolution de ne point marier Lucinde : le bonhomme est un égoïste, comme il y en a, dit-on, un certain nombre, qui veut, puisqu'il a de l'argent, ne point s'en dépouiller en faveur de sa fille, et, puisqu'il a une fille, la garder auprès de lui pour le soigner. Au diable les prétendants qui viennent brusquement vous enlever l'un et l'autre ! Sganarelle est bien résolu à ne jamais accueillir de pareils fâcheux ; et, si on lui en parle, le voilà qui prouve admirablement par son exemple la vérité du vieux dicton: «< il n'y a point de pires. sourds que ceux qui ne veulent point entendre ». Longtemps il a supplié sa fille (qui, connaissant l'humeur de son père, aimait mieux souffrir son mal en silence) de lui révéler quel chagrin la ronge. Mais, dès qu'elle est prète à révéler qu'elle veut se marier, dès que la suivante Lisette dit nettement au père: « mariez-la », notre homme renonce à son enquête et feint de ne plus entendre un mot.

SCANARELLE. Va, fille ingrate, je ne te veux plus parler, et je te laisse dans ton obstination.

LUCINDE.

la chose...

toi.

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Mon père, puisque vous voulez que je vous dise

SGANARELLE. Oui, je perds toute l'amitié que j'avois pour

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SCANARELLE.

Monsieur, sa tristesse...

C'est une coquine qui me veut faire mourir. LUCINDE. Mon père, je veux bien...

1. Acte I, scène 1.

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Ce n'est pas la récompense de t'avoir élevée

Mais, Monsieur...

Non, je suis contre elle dans une colère épou

Mais, mon père...

SGANARELLE. Je n'ai plus aucune tendresse pour toi.

LISETTE. Mais...

SGANARELLE. C'est une friponne.

LUCINDE. Mais...

SGANARELLE. Une ingrate.

LISETTE. Mais...

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SGANARELLE. Une coquine, qui ne qu'elle a.

LISETTE. C'est un mari qu'elle veut.

me veut pas dire ce

SGANARELLE, faisant semblant de ne pas entendre. Je l'aban

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SGANARELLE. Je la déteste.

LISETTE. Un mari.

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SGANARELLE. Et la renonce pour ma fille.
LISETTE. Un mari.

SGANARELLE. Non, ne m'en parlez point.
LISETTE. Un mari.

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SGANARELLE. Ne m'en parlez point.
LISETTE. Un mari.

SGANARELLE. Ne m'en parlez point.
LISETTE. Un mari, un mari, un mari1!

Comment venir à bout d'un pareil homme? Ce serait malaisé sans doute, si Clitandre, l'amant, était moins avisé. Mais le faux médecin proclame bien haut devant Sganarelle qu'il ne comprend pas ces envies qu'on a de se marier, et que Lucinde doit être folle pour donner dans ce travers. Et dès lors, chatouillé à l'endroit sensible, le bourgeois finaud, le père terrible devient (comme nous tous en pareil cas) la plus commode des dupes: il était volontairement sourd tout à l'heure, il est involontairement aveugle maintenant. Il consent que Clitandre, pour flatter la manie de la malade et la mieux guérir, lui fasse une

1. Acte I, scène III.

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