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melles s'accroupissant d'une manière singulière ; la disjonction est très brusque, le mâle se renversant de côté en jetant un petit cri. Ce qui fait douter de la monogamie réelle du lapin, c'est qu'un mâle suffit fort bien pour huit ou dix femelles, qu'ils sont très coureurs et se livrent entre eux à de meurtriers combats... La mangouste d'Egypte vit en famille... Le loup, qui vit en couple, comme le renard, assiste sa femelle et la nourrit, mais il ne connaît pas ses petits et les dévore aussitôt, quand ils tombent sous sa patte. Certains grand singes, les gibbons, les orangs, sont temporairement monogames.

La polygamie s'expliquerait par la rareté des mâles ce n'est pas le cas pour les mammifères, où les mâles sont presque constamment plus nombreux. Mais ni la surabondance ne détermine les mœurs, ni probablement la pénurie. Il y a si peu de mâles chez les cousins que Fabre a été le premier à les reconnaître la proportion serait environ d'un mâle pour dix femelles. Cela n'engendre nullement la polygamie, attendu que ces bestioles périssent sitôt après la pariade. Sur dix femelles, il y en a neuf qui meurent vierges, et même sans jamais avoir vu de mâles, et même sans savoir qu'il existe des mâles : peut-être que le célibat augmente leur férocité, car ce sont elles, et elles seules, qui nous sucent le sang. On suppute également que les femelles araignées sont de dix à vingt fois plus nombreuses que les mâles peut-être le mâle qui a échappé aux mâchoires de sa compagne a-t-il le courage d'aller risquer une seconde fois sa vie ? C'est possible, l'araignée survivant à ses amours et vivant même plusieurs années. La polygamie semble exister dans sa forme la plus raffinée, chez une araignée, où les

måles sont particulièrement rares: la cténize. La femelle se creuse en terre un nid où le mâle descend; il y séjourne quelque temps, puis s'en va, revient : il a plusieurs ménages entre lesquels il partage équitablement son temps.

La polygamie d'un curieux petit poisson, l'épinoche, est du même genre, quoique plus naïve. Le mâle, avec des herbes, construit un nid, puis il part, en quête d'une femelle, « l'introduit », l'invite à pondre; à peine sa première compagne s'est-elle éloignée qu'il en amène une autre. Il ne s'arrête que quand les œufs amoncelés font un trésor suffisant ; alors il les féconde selon le mode ordinaire. Ensuite il garde le nid contre les malfaiteurs, surveille l'éclosion...

Il ne faut pas vouloir corriger la nature. Il est déjà si difficile de la comprendre un peu, telle qu'elle est ! Quand elle veut établir la responsabilité absolue du père, elle établit le couple strict, et surtout la polygamie absolue. Le pigeon n'est déjà plus certain d'être le père de ses enfants; le coq ne saurait en douter, seul mâle entre toutes les femelles. Mais la nature n'a pas d'intentions secondes ; elle veille à ce que, temporaires ou durables, fugitifs ou permanents, les couples soient féconds, et c'est tout.

Les gallinacés et les palmipèdes renferment quelques-uns des oiseaux qui nous sont connus et le plus utiles. Presque tous sont polygames. Le coq a besoin d'une douzaine de poules; il peut en servir un bien plus grand nombre, mais son ardeur finit alors par s'épuiser. Non seulement le canard est polygame, mais tout lui est bon... Un jars suffit à dix ou douze femelles ; le faisan à huit ou dix. Il en faut bien davantage au tétras lyrure: il mène

après lui un harem de sultan. Dès l'aube, en la saison des amours, le mâle se met à siffler avec un bruit semblable à celui de l'acier sur la meule; en même temps il dresse et ouvre l'éventail de sa queue, écarte et gonfle ses ailes. Quand le soleil se lève, il rejoint ses femelles, danse devant elles, cependant qu'elles le boivent des yeux, puis les coche, selon son caprice, avec une grande vivacité.

La polygamie est la règle parmi les herbivores; taureaux, boucs, étalons, bisons sont faits pour régner sur un troupeau de femelles. La domesticité change leur polygamie permanente en polygamie successive. Les cerfs vont de femelles en femelles sans s'attacher à aucune; les biches suivent cet exemple. Une espèce immédiatement voisine donne au contraire l'exemple du couple : le chevreuil et la chevrette vivent en famille, élevant leurs petits jusqu'à l'âge de l'amour. Il faut au mâle de certaine antilope d'Asie plus de cent femelles dociles. Ces harems ne peuvent naturellement se former que par la destruction des autres mâles. Cent femelles, cela représente peut-être plus de cent mâles mis hors de combat, les mâles étant toujours en plus grand nombre parmi les mammifères... Des combats entre femelles s'établissent aussi sans doute: combats de coquetterie, d'agaceries, de féminités et c'est le triomphe final du mâle le plus fort et le plus mâle et des femelles les plus femelles.

Virey, dans le « Nouveau dictionnaire d'histoire naturelle » de Déterville, a prétendu que les grands singes polygames s'entendent fort bien avec les femmes indigènes. C'est possible, mais aucun produit n'est jamais né de ces aberrations, qu'il faut laisser dans le chapitre théologique de la bestialité...

Il y a cependant un rapport entre les hommes et les singes c'est qu'ils se divisent, les uns et les autres, en polygames et en monogames, au moins temporaires; mais cela ne les différencie pas de la plupart des autres familles animales.

Dans la plupart des espèces humaines, il y a une polygamie foncière, dissimulée sous une monogamie d'apparence. Ici, les généralisations ne sont plus possibles; l'individu surgit qui, avec sa fantaisie, fausse toutes les observations et annihile toutes les statistiques. Celui-ci est monogame; son frère est polygame. Cette femme n'a connu qu'un seul homme et sa mère appartenait à tous. On peut constater l'usage universel du mariage et en conclure à la monogamie. Cela sera vrai ou cela sera faux, selon l'époque, le milieu, la race, les tendances morales du moment. La morale est essentiellement instable, puisqu'elle ne représente qu'une sorte de manuel idéal du bonheur; comme cet idéal, la morale se modifie.

Physiologiquement, la monogamie n'est aucunement requise par les conditions normales de vie humaine. Les enfants? Mais si l'assistance du père est nécessaire, elle peut s'exercer sur les enfants de plusieurs femmes aussi bien que sur les enfants d'une seule femme. La durée de l'élevage chez les civilisés est d'ailleurs excessive; elle se prolonge, quand il s'agit de certaines carrières, jusqu'au voisinage de l'âge mûr. Normalement la puberté devrait libérer le petit de l'homme, comme elle libère le petit des autres mammifères. Le couple pourrait n'avoir alors qu'une durée de dix à quinze ans ; mais la fécondité de la femme accumule les enfants à un an d'intervalle, si bien que, tant que du

rera la virilité du père, il y a au moins un être falble en droit d'exiger sa protection. La polygamie humaine ne pourrait donc que par exception être successive, si l'homme était un animal obéissant, soumis aux règles sexuelles normales, et toujours fécond; mais, en fait, elle est fréquente et le divorce l'a légalisée. L'autre et vraie polygamie, la polygamie actuelle, temporaire ou permanente, est moins rare encore chez les peuples de civilisation européenne, mais presque toujours secrète et jamais légale; elle a pour corollaire une polyandrie exercée dans les mêmes conditions. Cette sorte de polygamie, fort différente de celle des Mormons et des Turcs, des gallinacés et des antilopes, n'est pas non plus la promiscuité. Elle ne dissout pas le couple; elle en diminue la tyrannie, le rend plus désirable. Rien ne favorise le mariage, et, par suite, la stabilité sociale, comme l'indulgence en fait de polygamie temporaire. Les Romains l'avaient bien compris, qui légalisèrent le concubinat. Pour résumer d'un mot la réponse que l'on voudrait faire à cette question, on dirait que l'homme, et principalement l'homme civilisé, est voué au couple, mais qu'il ne le supporte qu'à condition d'en sortir et d'y rentrer à son gré. Cette solution semble concilier ses goûts contradictoires; plus élégante que celle que donne ou ne donne pas le divorce, toujours à recommencer, elle est conforme non seulement aux tendances humaines, mais aussi aux tendances animales. Elle est doublement favorable à l'espèce en assurant à la fois l'élevage convenable des enfants et la satisfaction entière d'un besoin qui, dans l'état de civilisation, ne se sépare ni du plaisir esthétique, ni du plaisir sentimental. >>

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