Images de page
PDF
ePub

études à Sainte-Barbe, où il enseigna même, pendant quelques années, la philosophie et la théologie, il avait traversé la Révolution avec dignité, avec constance, subissant toutes les persécutions qui honoraient les victimes. En 1801, jeune encore et déjà mûr, il se retrouva tout prêt pour les Lettres et la société renaissante. Il en jouit beaucoup. Il vivait dans le meilleur monde, qui le recherchait extrêmement. Les matins, il relisait ces auteurs qu'on réimprimait alors et qui sont les maîtres de la vie, La Bruyère, Montesquieu, Don Quichotte, Hamilton, l'abbé Prévost. Il écrivait d'un ton aisé, sans parti-pris, ce qu'un esprit juste et fin trouve là-dessus à une première lecture. Ses connaissances classiques lui permettaient de parler des auteurs. latins, des traductions alors à la mode, d'une manière à satisfaire les gens instruits, et il y mettait l'amorce pour les gens du monde. Ses connaissances théologiques et philosophiques le rendaient capable aussi d'aborder, à l'occasion, des sujets sérieux. Il touchait à tout; ce qu'il n'approfondissait pas, il l'effleurait non sans malice. Sa politesse extrême, que ses nombreuses relations entouraient de mille liens, n'empêchait pas la raillerie, quand elle avait à sortir, de se glisser dans ses articles je ne sais comment, dans le tour, dans la réticence; il savait faire entendre ce qu'il ne disait pas. Le grain de sel venait à la fin, dans une citation, dans une anecdote. Il avait dans la manière de finir, dans le jet de la phrase, certain geste de tête que nous lui avons bien connu; il avait de l'abbé Delille en prose. Les sujets qui convenaient le plus à ses habitudes et à ses goûts, et dans lesquels il réussissait le mieux, étaient ceux qui avaient trait à la société du xvIIe siècle. Sur les Lettres de Mme Du Deffand, de Mlle de Lespinasse, sur les Mémoires de Mme d'Épinay et la Correspondance de l'abbé Galiani, il a écrit des pages justes qu'on relit avec plaisir. Il a surtout bien jugé Mme Du Deffand, l'aveugle clairvoyante, comme on l'appelait, cet esprit beaucoup trop pénétrant pour être indul

gent. A propos des exactes et sévères critiques qu'elle fait de ses contemporains : « Mme Du Deffand, disait M. de Feletz', eût été, sans contredit, un excellent journaliste, quoiqu'un peu amer... Le tableau qu'elle présente de sa société décèle un esprit qui ne voit pas en beau, mais qui voit juste; un pinceau qui ne flatte pas, mais qui est fidèle; ses traits malins vous peignent un homme depuis les pieds jusqu'à la tête. » Lui, le journaliste malin, mais sans amertume, il savait bien qu'on ne peut faire ainsi. C'est déjà trop du buste dans bien des cas. Deux ou trois traits au plus et qu'on affaiblit encore, voilà tout ce qu'autorisent les convenances. Au plus vif du jeu, il les observa toujours. M. de Feletz, à son heure, était, à proprement parler, le critique de la bonne société.

Dans cette vie doucement occupée et où le travail luimême ne semblait qu'un ornement du loisir, sans autre ambition que celle de cultiver ses goûts et ses amitiés, M. de Feletz, en vieillissant, arriva tout naturellement aux honneurs littéraires. Le genre de critique qu'il représentait fut, pour la première fois, couronné en lui. La personne, non moins que l'écrivain, méritait ce choix. J'ai eu, pour mon compte, le bonheur de le connaître et au sein de l'Académie et à la Bibliothèque Mazarine, dont il était alors administrateur. C'est en l'approchant de plus près qu'il m'a été donné d'apprécier tout à fait cet esprit resté jeune, nourri d'anecdotes, d'agréables propos, rempli des souvenirs de son temps, nullement fermé aux choses du nôtre. Il ne se pouvait voir de vieillesse moins morose et moins chagrine, et qui fût plus de bonne compagnie, dans le sens où on le disait autrefois. Presque aveugle depuis des années, il n'allait plus dans le monde, mais on venait à lui. Il était aveugle comme Me Du Deffand, comme Delille, comme celui-ci surtout, en se prêtant aux derniers agréments de la vie. Il fallait voir comme il jouissait de tout, de lui-même et des autres, comme son visage aussitôt s'é

clairait d'un souvenir, d'un trait heureux, que ce fût lui ou un autre qui l'eût dit. Ces dehors aimables cachaient une fermeté qui est le propre de cette race des hommes du XVIIIe siècle. Menacé dans sa position d'administrateur au lendemain de la Révolution de février, et finalement frappé par M. de Falloux, de qui, moins que de tout autre, il devait attendre une telle mesure, il a écrit à ce sujet, il a dicté plusieurs lettres pleines de dignité, de vigueur, de malice, qui n'annonçaient certes pas une pensée défaillante. Il ne permit point qu'on enveloppât sous des formes plus ou moins gracieuses un acte au fond inique. Le coup pourtant lui fut pénible et sensible, surtout à titre de procédé : ce fut la seule douleur de ses dernières années, si consolées d'ailleurs et si heureuses. La vérité seule nous a obligé de noter ce point douloureux que tout le monde taira.

Il sera mieux loué bientôt par d'autres. Je n'ai voulu ici que rappeler, à son sujet, quelques souvenirs d'une génération désormais disparue. Ces critiques distingués qui signalèrent l'ouverture du siècle furent utiles; ils eurent leur originalité dans le bon sens net et vigoureux avec lequel ils résistèrent à des admirations prolongées, et qui allaient s'égarant sur des écrivains de second ou de troisième ordre : ils coupèrent court à la suite du XVIII® siècle. Les suites en littérature ne valent jamais rien. Sans doute ils montrèrent en général plus de résistance que d'inspiration, plus de veto que d'initiative. A mesure qu'ils s'éloignèrent de leur point de départ de 1800, ils perdirent de leur utilité d'action et de leur netteté de vue; ils avaient eu besoin d'une crise décisive qui les éclairàt, et ils tâtonnèrent un peu, quand survinrent des complications nouvelles. Pourtant, une juste reconnaissance doit s'attacher à leurs noms. Nous aussi, nous sommes revenus à une de ces époques où l'on sent très-bien que la critique, celle même qui se bornerait à résister au faux et au déclamatoire, aurait son prix:

[merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small]

En sa qualité de Secrétaire perpétuel de l'Académie de médecine, M. Pariset eut à prononcer, soit dans les séances publiques, soit dans les cérémonies funèbres, les Éloges des principaux médecins qui étaient membres de cette Académie et qui moururent de 1820 à 1847. C'est le recueil de ces divers Discours ou Éloges que publie en ce moment son honorable successeur, M. Dubois (d'Amiens), et il y a joint comme introduction un remarquable Éloge de M. Pariset lui-même. Je dirai, à cette occasion, quelques mots et du genre et de ceux qui l'ont mis en honneur parmi nous. J'entends ici le genre de l'Éloge académique en tant qu'il s'applique uniquement aux sciences et aux savants.

C'est Fontenelle qui en donna le premier l'exemple et le modèle, un modèle inimitable. Les soixante-dix Éloges qu'il prononça dans l'espace de quarante ans forment le recueil le plus riche et le plus piquant qui se puisse imaginer. La manière n'est qu'à lui, et ce serait manquer de goût que de prétendre luf en rien dérober. Cette manière est aussi académique par la politesse, qu'elle l'est peu par le reste des qualités ou même des légers défauts qui la composent. L'Éloge ne s'y monte jamais au ton oratoire, et y affecte constamment celui d'une Notice nette et simple. Mais la simplicité de Fontenelle, dans sa rare distinction, ne ressemble à nulle autre: c'est une simplicité tout exquise, à laquelle on revient à force d'esprit et presque de raffinement. L'expression, chez lui, est juste, d'une propriété extrême, toujours exacte à la réflexion, spirituelle, quelquefois jolie, volontiers épigrammatique, même dans le sérieux. Ce qui frappe surtout, c'est le contraste de cette expression, bien souvent un peu mince, avec la grandeur de l'esprit qui embrasse et parcourt les plus hauts sujets. Il en résulte une sorte de disproportion qui déconcerte bien un peu, mais avec laquelle on se raccommode quand on est fait à l'air et aux façons de ce guide supérieur. Fontenelle voulut et sut préserver tout d'abord les Éloges des savants de l'inconvénient presque inhérent au panégyrique littéraire, je veux dire l'emphase et l'exagération. Il avait pour principe qu'il ne faut donner dans le sublime qu'à la dernière extrémité et à son corps défendant.

Condorcet, dans ses Éloges, se préserva également de la pompe littéraire, mais pas toujours de la déclamation philosophique. Esprit supérieur lui-même et ami de la vérité, mais ami ambitieux, et bien moins à l'abri que Fontenelle des intempéries et des contagions de son temps, Condorcet a ses propres idées qu'il ramène trop complaisamment à travers l'exposé qu'il fait de celles des autres. Il traite ses sujets plus à fond, c'est là son mérite; mais aussi il inter

« PrécédentContinuer »