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Ainsi de M. de Sévigné. Sa fille hérita de toutes les épargnes de ce cœur si riche et si sensible, et qui avait dit jusqu'à ce jour : J'attends. Voilà la vraie réponse à ces gens d'esprit raffinés qui ont voulu voir dans l'affection de Mme de Sévigné pour sa fille une affectation et une contenance. Mme de Grignan fut la grande, l'unique passion de sa mère, et cette tendresse maternelle prit tous les caractères en effet de la passion, l'enthousiasme, la prévention, un léger ridicule (si un tel mot peut s'appliquer à de telles personnes), une naïveté d'indiscrétion et une plénitude qui font sourire. Ne nous en plaignons pas. Toute la correspondance de Mme de Sévigné est comme éclairée de cette passion qui vient s'ajouter à tous les éclairs déjà si variés de son imagination et de son humeur.

Et sur ce dernier point, c'est-à-dire le tempérament et l'humeur, connaissons bien Mme de Sévigné. En parlant d'elle, on a à parler de la grâce elle-même, non pas d'une grâce douce et molle, entendons-nous bien, mais d'une grace vive, abondante, pleine de sens et de sel, et qui n'a pas du tout les pàles couleurs. Elle a une veine de Molière en elle. Il y a de la Dorine dans Me de Sévigné, une Dorine du beau monde et de la meilleure compagnie; à cela près, la même verve. Quelques mots de Tallemant caractérisent bien cette charmante et puissante nature de femme, telle qu'elle se déclarait toute jeune dans l'abondance de la vie : après avoir dit qu'il la trouve une des plus aimables et des plus honnêtes femmes de Paris, « elle chante, ajoute-t-il, elle danse et a l'esprit fort vif et agréable; elle est brusque et ne peut se tenir de dire ce qu'elle croit joli, quoique assez souvent ce soient des choses un peu gaillardes... » Voilà le mot qu'il ne faut pas perdre de vue avec elle, tout en le recouvrant ensuite de toute la politesse et de toutes les délicatesses qu'on voudra. Il y avait de la joic en elle. Elle vérifiait de sa personne le mot de Ninon : « La joie de l'esprit en marque la force. » Elle était de cette race d'es

prits dont étaient Molière, Ninon elle-même, Mme Cornuel un peu, La Fontaine, d'une génération légèrement antérieure à Racine et à Boileau, et plus vivace, plus vigoureusement nourrie. « Vous paraissez née pour les plaisirs, lui disait Mme de La Fayette, et il semble qu'ils soient faits pour vous. Votre présence augmente les divertissements, et les divertissements augmentent votre beauté lorsqu'ils vous environnent. Enfin la joie est l'état véritable de votre àme, et le chagrin vous est plus contraire qu'à qui que ce soit. >> Elle disait elle-même, en se souvenant d'un ancien ami : « J'ai vu ici M. de Larrei, fils de notre pauvre ami Lenet, avec qui nous avons tant ri; car jamais il ne fut une jeunesse plus riante que la nôtre de toutes les façons. » Sa beauté un peu irrégulière, mais réelle, devenait rayonnante en ces moments où elle s'animait; sa physionomie s'éclairait de son esprit, et l'on a pu dire, à la lettre, que cet esprit allait jusqu'à éblouir les yeux. Un homme de ses amis (l'abbé Arnauld), qui avait aussi peu d'imagination que possible, en a trouvé pour la peindre, lorsqu'il nous dit : « Il me semble que je la vois encore telle qu'elle me parut la première fois que j'eus l'honneur de la voir, arrivant dans le fond de son carrosse tout ouvert, au milieu de monsieur son fils et de mademoiselle sa fille: tous trois tels que les poëtes représentent Latone au milieu du jeune Apollon et de la jeune Diane, tant il éclatait d'agrément dans la mère et dans les enfants! » La voilà bien au naturel dans son cadre et dans son épanouissement: une beauté, un esprit et une grâce à découvert, qui reluit en plein soleil. Il faut noter pourtant une nuance. Sa joie si réelle n'était pas pour cela à tout propos ni hors de saison, et, sans jamais s'éteindre, elle s'adoucit sans doute avec les années. Parlant d'un voyage qu'elle faisait en 1672, et où elle regrettait la compagnie de son aimable cousin de Coulanges : « Pour avoir de la joie, écrivait-clle, il faut être avec des gens réjouis. Vous savez que je suis comme on veut, mais je n'invente

rien. » Cela veut dire que ce charmant esprit avait tous les tons et savait s'accommoder aux personnes. Toujours est-il que, même au milieu des tristesses et des ennuis, elle demeurait la plus belle humeur de femme et l'imagination la plus enjouée qui se pût voir. Elle avait un tour à elle, le don des images les plus familières et les plus soudaines, et elle en revêtait à l'improviste sa pensée comme pas une autre n'eût su faire. Même quand cette pensée est sérieuse, même quand la sensibilité est au fond, elle a de ces mots qui la déjouent et qui font l'effet d'une gaieté. Son esprit ne put jamais se priver de cette vivacité d'éclairs et de cette gaieté de couleurs. Elle est tout le contraire de ses bons amis les jansénistes, qui ont le style triste.

Mme de Sévigné, Mme de La Fayette et Mme de Maintenon sont les plus distinguées entre les femmes du XVIIe siècle qui ont écrit. Les deux dernières ont su concilier dans une rare mesure l'exactitude et l'atticisme; mais la première seule nous offre cette imagination continue, cette invention de détail qui anime tout ce qu'elle touche et dont on jouit également chez La Fontaine et chez Montaigne. C'est cette veine d'imagination perpétuelle dans le détail de l'expression plutôt que dans l'ensemble, qui nous ravit surtout en France. On a remarqué, d'ailleurs, qu'à cette époque de Louis XIV, toutes les femmes du monde écrivent avec charme; elles n'ont pour cela qu'à écrire comme elles causent et à puiser dans l'excellent courant d'alentour. C'est ce qu'on a dit bien souvent, mais je puis le prouver aussitôt par un piquant exemple et tout à fait neuf, que me suggère M. Walckenaer lui-même. Parmi les personnes qu'il rencontre sur son chemin, dans son quatrième volume, est une marquise de Courcelles qui eut une célébrité fàcheuse, et dont Mme de Sévigné parle dans ses lettres. M. Walckenaer a consacré tout un chapitre à cette beauté romanesque; mais il s'est appliqué à la traduire, et il ne la laisse pas assez parler elle-même. Pourtant Mme de Cour

cèlles a écrit; elle a raconté avec une ingénuité singulière une partie de ses aventures dans une confession adressée à-l'un de ses amants; elle a laissé des lettres écrites à ce même amant. C'est la personne la moins semblable au moral à Mme de Sévigné, mais elle peut en être rapprochée sans injure pour l'esprit et pour la grâce.

La marquise de Courcelles, née Sidonia de Lenoncourt, d'une illustre famille de Lorraine, orpheline de bonne heure, fut élevée chez une tante abbesse, dans un couvent d'Orléans, et tirée de là à l'âge de moins de quatorze ans, par ordre de Louis XIV, pour être mariée comme riche héritière à Maulevrier, un des frères de Colbert. Ce mariage manqua par l'habileté de cette jeune fille, qui, à peine sortie de l'enfance, savait des manéges et des ruses qui eussent fait honneur à une héroïne de la Fronde. Elle crut avoir meilleur marché d'un mari en épousant le marquis de Courcelles, qui n'avait pour lui que d'être neveu du maréchal de Villeroy, et qui surtout lui offrait de s'engager, dans le contrat de mariage, à ne jamais la mener à la campagne (clause capitale), à ne jamais lui faire quitter la Cour. C'était le seul théâtre que la jeune femme jugeât digne de ses triomphes. Elle n'eut qu'à se montrer pour y réussir. Le soir même du mariage, qui s'était célébré à grande pompe, et où la reine avait fait à la mariée l'honneur de lui donner la chemise (style du temps), à peine tout ce monde retiré, Sidonia comprit dès les premiers mots qu'elle avait affaire, dans M. de Courcelles, à un homme grossier et vil, et elle le méprisa. Elle prit sur elle de dissimuler pendant huit jours, eu égard à l'équipage qu'on lui faisait et aux cadeaux; puis elle ne se contint plus : « Je crus, dit-elle, qu'il y allait de ma gloire de ne point paraitre entêtée d'un homme que personne n'estimait, et je donnai un si libre cours à mon aversion pour lui, qu'en un mois toute la France en fut informée. Je ne savais pas encore que haïr son mari et pouvoir en aimer un autre,

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n'est presque que la même chose. Dans cette erreur, beaucoup de gens prirent le soin de me le dire. » On comprendra qu'étant de cette humeur, elle ne devait pas manquer sur ses pas de téméraires et d'indiscrets; on le comprendra mieux encore, quand on aura su d'elle-même quelle était sa beauté; et il ne paraît pas qu'elle l'ait exagérée en aucun trait. On me permettra de citer cette page tout entière, l'une des plus gracieuses qui soient sorties de la plume d'une femme assise devant son miroir. C'est un portrait de plus à ajouter à ceux de la galerie de Versailles, ou, si vous l'aimez mieux, c'est comme un émail de Petitot:

« Pour mon portrait, écrivait-elle à un homme qui l'aimait, je voudrais bien le faire sur l'idée que vous en avez conçue, et qu'on voulût s'en rapporter à vos descriptions; mais il faut dire naïvement ce qui en est. J'avouerai que, sans être une grande beauté, je suis pourtant une des plus aimables créatures qui se voient; que je n'ai rien dans le visage ni dans les manières qui ne plaise ni qui ne touche; que, jusqu'au son de ma voix, tout en moi donne de l'amour, et que les gens du monde les plus opposés d'inclination et de tempérament sont d'un même avis là-dessus, et conviennent qu'on ne me peut voir sans me vouloir du bien.

« Je suis grande, j'ai la taille admirable et le meilleur air que l'on puisse avoir; j'ai de beaux cheveux bruns faits comme ils doivent être pour parer mon visage et relever le plus beau teint du monde, quoiqu'il soit marqué de petite vérole en beaucoup d'endroits. J'ai les yeux assez grands; je ne les ai ni bleus ni bruns; mais, entre ces deux couleurs, ils en ont une agréable et particulière; je ne les ouvre jamais tout entiers, et quoique, dans cette manière de les tenir un peu fermés, il n'y ait aucune affectation, il est pourtant vrai que ce m'est un charme qui me rend le regard le plus doux et le plus tendre du monde. J'ai le nez d'une régu→ larité parfaite. Je n'ai point la bouche la plus petite du monde, je ne l'ai point aussi fort grande.

« Quelques censeurs ont voulu dire que, dans les justes proportions de la beauté, on pouvait me trouver la lèvre du dessous un peu trop avancée. Mais je crois que c'est un défaut qu'on m'impute

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