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pour ne m'en avoir pu trouver d'autres, et que je dois pardonner à ceux qui disent que je n'ai point la bouche tout à fait régulière, quand ils conviennent en même temps que ce défaut est d'un agrément infini et me donne un air très-spirituel dans le rire et dans tous les mouvements de mon visage. J'ai enfin la bouche bien taillée, les lèvres admirables, les dents de couleur de perle, le front, les joues, le tour du visage beaux, la gorge bien taillée, les mains divines, les bras passables, c'est-à-dire un peu maigres; mais je trouve de la consolation à ce malheur par le plaisir d'avoir les plus belles jambes du monde. Je chante bien, sans beaucoup de méthode; j'ai même assez de musique pour me tirer d'affaire avec les connaisseurs. Mais le plus grand charme de ma voix est dans sa douceur et la tendresse qu'elle inspire; et j'ai enfin des armes de toute espèce pour plaire, et jusques ici je ne m'en suis jamais servie sans succès.

<< Pour de l'esprit, j'en ai plus que personne, je l'ai naturel, plaisant, badin, capable aussi des grandes choses, si je voulais m'y appliquer. J'ai des lumières et connais mieux que personne ce que je devrais faire, quoique je ne le fasse quasi jamais. »

On peut rêver devant un tel portrait toute une destinée de plaisir, de folie et de malheur. La jeune Sidonia était née un peu tard ou un peu tôt. Elle aurait dû naître à temps - pour être de la Fronde; elle y aurait pris place régulièrement après Mme de Chevreuse, Mme de Longueville et la Palatine, à côté de Mmes de Monbazon, de Châtillon et de Lesdiguières. Elle aurait pu naître un peu plus tard et être tout simplement Manon Lescaut.

La destinée se joua d'elle en la jetant au début de la grande époque de Louis XIV, de ce règne où tant de choses galantes étaient permises, mais où il fallait, jusque dans le désordre, une certaine régularité. Elle commença d'emblée par le plus scabreux de l'intrigue. Elle s'était brouillée, en repoussant Maulevrier, avec la famille des Colbert; elle sut plaire au grand rival de Colbert, à Louvois. Ce ministre, alors âgé de trente-six ans, la vit à l'Arsenal où M. de Courcelles était employé dans l'artillerie et où elle logeait.

La voir et l'aimer ne fut pour Louvois qu'une même chose. Il était venu un matin à l'Arsenal pour voir des canons; elle sortait pour aller à la messe aux Célestins : « Il me reconnut, dit-elle, à ma livrée, mit pied à terre et me mena à la messe, et l'entendit avec moi. Quoique je ne me connusse guère aux marques d'une passion naissante, je ne laissai pas de comprendre que cette démarche d'un homme aussi brusque et aussi accablé d'affaires me voulait dire quelque chose. » Le malheur voulut qu'elle prît aussitôt pour Louvois une aversion presque égale à celle qu'elle avait pour son mari, et qu'elle se mît en tête de le leurrer. Être mal avec les Colbert, et vouloir jouer au plus fin avec Louvois, c'était se préparer un périlleux avenir. Mais la jeune imprudente avait quinze ans et ne croyait qu'en sa fantaisie.

Deux choses nuisaient à Louvois dans son esprit, sans compter qu'il ne lui plaisait pas la première, c'est que toute sa famille et son mari lui-même conspiraient honteusement à le lui donner pour amant, afin de pousser leur fortune. La seconde raison, c'est qu'elle aimait déjà un cousin de son mari, l'aimable et séduisant marquis de Villeroy. Mais je m'aperçois que, si je n'y prends garde, je vais m'engager dans un récit de roman, ce qui n'est point de mon fait ici. J'avais en vue seulement de prouver que ces femmes du XVIIe siècle n'ont qu'à le vouloir pour écrire avec un charme infini, qu'elles ont toutes le don de l'expression, et que Mme de Sévigné n'est que la première dans une élite nombreuse. Quant à la marquise de Courcelles, il faut lire ses aventures dans le récit de M. Walckenaer, ou mieux encore chez elle-même. Ses imprudences la perdirent elle s'aliéna Louvois; Villeroy lui échappa; reléguée en province par son mari, elle y céda à une séduction vulgaire et se vit convaincue. Les restes de ménagements que son mari avait eus pour elle ne tenaient qu'à sa fortune, et, du moment qu'il y eut une preuve légale suffisante

pour la lui ravir, il ne ménagea plus rien. La marquise de Courcelles commença alors une vie de Conciergerie et de procès, dont elle ne se releva jamais. Réfugiée à Genève, elle put séduire un moment par sa grâce et son hypocrisie charmante nobles, bourgeois et syndics, les plus graves calvinistes eux-mêmes. Elle avait trouvé alors un ami dévoué et fidèle dans un gentilhomme nommé Du Boulay, capitaine au régiment d'Orléans, qui fut son chevalier Des Grieux. Mais lui non plus, elle ne sut pas le conserver, et elle poursuivit le cours de ses inconstances. C'est Du Boulay qui eut l'idée de réunir, pour les faire lire en confidence à ses amis, les lettres et les papiers de Mme de Courcelles : « J'avais à me justifier, dit ce galant homme, d'avoir aimé trop fidèlement et trop fortement la plus charmante créature de l'univers, à la vérité, mais la plus perfide et la plus légère, et que je reconnaissais pour telle. Je me défiais trop de mon éloquence pour m'en rapporter à elle scule de cette justification, et les discours que je faisais tous les jours, pour bien représenter les charmes de son esprit (et c'était le fort de ma défense), me satisfaisaient si peu moi-même, que je voyais bien qu'ils ne persuaderaient personne. Dans cet embarras, dont je ne savais par où sortir, je m'avisai un jour heureusement que j'avais des moyens sûrs pour. cette persuasion, et que ce qu'elle m'avait écrit était si beau et si parfait qu'il ne fallait que le montrer pour persuader mieux que ce que je pouvais dire. » C'est ainsi que se sont conservés ces lettres et mémoires que Chardon de La Rochette retrouva en manuscrit à Dijon, dans les papiers du président Bouhier, et qu'il fit imprimer en 1808. — Infidèle à Du Boulay comme elle l'avait été à tous, et après quelques derniers éclats, Mme de Courcelles, devenue veuve, finit par faire ce qu'on appelle un sot mariage. Elle mourut en 1685, âgée seulement de trente-quatre ans.

Une comparaison s'établit naturellement entre elle et là duchesse de Mazarin, cette nièce du cardinal avec laquelle

elle avait été fort liée, qu'elle avait eue un moment pour compagne de réclusion, pour rivale ensuite, et qui est si connue elle-même par ses aventures conjugales, ses procès, sa fuite et ses pérégrinations galantes. Il y aurait à faire entre ces deux femmes (deux démons sous forme d'anges!) un parallèle suivi qui serait curieux pour l'histoire des mœurs du grand siècle. Mais sur un point important je voudrais qu'on marquât bien la conclusion à l'avantage de la duchesse de Mazarin. Celle-ci, en effet, au milieu de tout ce qui pouvait la faire déchoir, sut toujours tenir son rang et se concilier ce qu'il faut bien appeler (je ne sais pas un autre mot) de la considération. Elle la devait sans doute en partie à la mémoire de son oncle, à ses richesses, à ses grandes relations, mais aussi à son caractère et à son attitude : « Mme de Mazarin n'est pas plus tôt arrivée en quelque lieu, dit Saint-Evremond, qu'elle y établit une maison qui fait abandonner toutes les autres. On y trouve la plus grande liberté du monde; on y vit avec une égale discrétion. Chacun y est plus commodément que chez soi, et plus respectueusement qu'à la Cour. »> Voilà le mérite principal, l'art de vivre et de régner qui a immortalisé Hortense et sauvé son renom. Elle eut, après tout, de la justesse et de l'économie jusque dans la prodigalité de ses qualités et de ses dons; elle ne se contenta pas d'avoir de l'esprit, elle l'aima chez les autres; elle rechercha les lumières, chose alors nouvelle, et sut partout s'entourer d'un cercle d'hommes distingués; elle vécut enfin et mourut comme une grande dame, tandis que la pauvre Sidonia, avec tout son esprit et ses grâces, a fini comme une aventurière. Encore une fois, son nom est tout trouvé : c'est la Manon Lescaut du dix-septième siècle.

Dans un temps où il y aurait encore une librairie de luxe, on devrait bien réimprimer ce petit volume de Mme de Courcelles.

Lundi 29 octobre 1849.

RAPHAEL,

PAGES DE LA VINGTIÈME ANNÉE,

PAR

M. DE LAMARTINE.

Sous ce titre de Raphaël, M. de Lamartine a détaché de ses Confidences l'événement le plus considérable de sa jèunesse, ce grand événement de cœur qu'on n'a qu'une fois, et qui, dans la sphère de la sensibilité et de la passion, domine toute une vie. L'épisode de Graziella, quelque importance et quelque intérêt que le talent de l'auteur ait réussi à lui donner, sent la composition et l'art. La charmante corailleuse de Naples est en partie une création. Après tout, ôtez le ciel d'Italie et le costume de Procida, ce n'est qu'une aventure de grisette, embellie et idéalisée par l'artiste, élevée après coup aux proportions de la beauté, mais une de ces aventures qui ne laissent que trop peu de traces dans la vie, et qui ne se retrouvent que plus tard dans les Jointains de la pensée quand le poëte ou le peintre sent le

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