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>> blie rien aussi facilement que les talents qu'il >> a le plus admirés ». (Laharpe, corresp. let. 97 ).

Sans être beau ni bien fait, Beaubourg avait l'air noble. Son visage était susceptible des grandes impressions; on oubliait sa laideur et ses genoux cagneux en faveur de ses bonnes qualités : d'ailleurs, on ne pouvait trouver rien de bas dans

ses manières.

Il se fit une grande réputation, peut-être parce qu'il n'y eut point d'acteurs, de son temps, que l'on pût mettre en parallèle avec lui; cependant son jeu était outré, ses gestes forcés, sa déclamation peu naturelle, ses inflexions désagréables. D'ailleurs, il joignait à ces défauts celui d'une intelligence si commune, qu'il confondait habituellement les endroits médiocres d'une pièce avec les plus beaux, et ne mettait pas moins d'enthousiasme à déclamer les uns que les autres (1).

(1) La plupart des défauts que nous reprochons à Beaubourg, se trouvent relevés d'une manière bien piquante par Le Sage dans son premier volume de Gilblas.

« Vous devez être charmé de celui qui a fait le personnage d'Enée. Ne vous a-t-il pas paru un grand >> comédien, un acteur original? Fort original, répondit » le censeur : il a des tons qui lui sont particuliers, et » il en a de bien aigus. Presque toujours hors de la nature, il précipite les paroles qui renferment le senti

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On voit qu'il eût été difficile de ressembler moins à Baron, dont le jeu noble, les gestes simples, le débit naturel, les inflexions justes et l'intelligence supérieure avaient fait l'admiration de ses contemporains.

Par un système tout opposé à celui de Baron, lorsque Beaubourg jouait Néron dans Britannicus, c'était avec des cris affreux et tout l'emportement de la férocité qu'il disait à Burrhus en parlant d'Agrippine:

Répondez-m'en, vous dis-je; ou sur votre refus,
D'autres me répondront et d'elle et de Burrhus.

» timent, et appuye sur les autres. Il fait même des » éclats sur des conjonctions. Il m'a fort diverti, et par» ticulièrement lorsqu'il exprimait à son confident la » violence qu'il se faisait d'abandonner sa princesse. >> On ne saurait témoigner de la douleur plus comique

"

>> ment.

» Tout beau, cousin, repartit don Alexo. Sais-tu bien » que l'acteur, dont nous parlons, est un sujet rare. » N'as-tu pas entendu les battements de mains qu'il a >> excités ? cela prouve qu'il n'est pas si mauvais. Cela ne >> prouve rien, repartit don Pompeyo. Laissons-là, je » vous prie, les applaudissements du parterre ; il' en » donne souvent aux acteurs fort mal-à-propos. Il a » plaudit même plus rarement au vrai mérite qu'au » faux, comme Phèdre nous l'apprend dans une fable fort ingénieuse. »>

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Cette manière paraît, au premier examen, un grossier contre-sens. Il semble que ces deux vers exigent un ton tout différent; ils semblent demander uniquement la dignité d'un empereur et la tranquillité cruelle d'un fils dénaturé. Cependant le comédien mettait, dans sa façon de les dire, ou plutôt de les hurler, tant de force et de véhémence, que le public en était frappé de terreur, et se sentait entraîné à les applaudir, comme s'il les eût débités dans la plus exacte vérité. Cet exemple prouve bien qu'au théâtre il s'agit bien souvent, moins de frapper juste, que de frapper fort aussi voyons-nous tous les jours des acteurs frénétiques usurper, en criant, des succès encore moins mérités.

:

On n'oubliera point la politesse hors de saison dont il fit preuve dans les Horaces. Me Duclos y jouait Camille. Elle se laissa tomber sur la scène après son imprécation, par suite de la précipitation qu'elle mit dans sa fuite; un acteur intelligent, jouant le rôle d'Horace, n'aurait sans doute pas manqué de saisir cette occasion pour la poignarder dans sa chute même. Au lieu de cela, Beaubourg ôta son chapeau d'une main, lui présenta l'autre fort civilement pour la relever, et un instant après alla froidement l'assassiner dans la coulisse. Suivant la remarque de l'abbé Nadal, la singularité de cet

accident, bien saisi, eût corrigé peut-être l'atrocité de l'action.

Après ce détail des défauts de Beaubourg, il paraîtrait étonnant qu'il eût passé pour un grand comédien, si l'on ne savait pas qu'il mettait beau coup d'âme dans son débit, et qu'il avait quelquefois des inflexions touchantes qui allaient au coeur. Il se pénétrait vivement, et l'impression qu'il avait reçue il la faisait passer dans l'âme du spectateur, qui se sentait ému, quelquefois à tort, mais toujours avant le temps de la réflexion. Enfin, quand le hasard ou l'habitude d'un rôle lui faisaient rencontrer la véritable expression, il était admirable, et tous ses défauts disparaissaient. Au nombre des grands rôles joués d'original par Beaubourg pendant les vingt-sept années qu'il resta au théâtre, on distingue: Valère dans le Joueur (c'était son triomphe); Léandre dans le Distrait; Rhadamiste; Absalon; Joad (on n'a pas oublié la plaisanterie de Lefevre, ni le jugement de Louis Racine, rapportés à l'article de Baron); Agenor dans la Sémiramis de Crébillon.

Beaubourg parut pour la dernière fois, le dimanche 3 avril 1718, dans Polyeucte, où il jouait le rôle de Sévère, et reçut sa retraite à la clôture de la même année, avec la pension ordinaire de 1000 livres dont il jouit jusqu'à sa mort,

arrivée le jeudi 17 décembre 1725, à soixantetrois ans. On prétend que depuis la rentrée de Baron il avait été tenté d'imiter son exemple. Que ce projet ait été réel ou supposé, toujours est-il certain qu'il resta sans exécution.

Sa femme, comédienne du même théâtre, se nommait Louise Pitel; elle était fille de Beauval et de Jeanne Olivier-Bourguignon.

BEAUCHATEAU.

(François-Châtelet)

On sait bien peu de chose sur cet acteur. Il paraît qu'il était gentilhomme, et qu'entraîné par un penchant irrésistible, il débuta en 1633 à l'hôtel de Bourgogne dans la Comédie des comédiens, tragi- comédie de Gougenot, qui fut jouée en cette année. On le reçut pour les seconds rôles tragiques et comiques; mais il faut que par la suite il se soit élevé jusqu'aux premiers, ou bien que celui de Rodrigue dans le Cid fût alors regardé comme un second rôle. Il est certain que Beauchâteau le jouait, puisque dans l'Impromptu de Versailles Molière critique la manière am

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