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QUINAULT l'aîné.

(Jean-Baptiste Maurice)

ON ne connaît pas aussi bien actuellement ce comédien que son frère Dufresne, peut-être parce qu'avec autant de talent, il n'avait pas les mêmes ridicules, et que des ridicules bien prononcés dans un homme dont la vie est aussi publique que celle d'un acteur, sont une excellente chose pour le graver dans la mémoire de la postérité.

Quinault l'aîné débuta le vendredi 6 mai 1712 par le rôle d'Hyppolite dans Phèdre, et fut reçu le 27 juin suivant. Tant que Beaubourg fut au théâtre, il ne joua que les seconds rôles tragiques et comiques; à sa retraite eu 1718, il entra en possession des premiers rôles du haut comique, et s'y distingua beaucoup. Quinault l'aîné fut regardé comme un excellent acteur pour la comédie; jamais personne ne mit plus de finesse et d'esprit dans son jeu ; quelquefois même il se donnait tant de peine pour paraître fin et spirituel, qu'il en devenait forcé.

Il joua d'original beaucoup de rôles importants; nous mentionnerons entr'autres le Cheva

lier dans la Réconciliation normande, et Momus Fabuliste, en 1719; le Faux Damis dans le Mariage fait et rompu, en 1721; Leandre dans le Babillard, et Damis dans l'Indiscret, en 1725; Ariste dans le Philosophe marié, et le Chevalier dans la Surprise de l'Amour, en 1727; Ariste dans le Procureur Arbitre, et le Marquis dans l'École des Bourgeois, en 1728; Socrate dans l'Alcibiade de Poisson, et Bayard dans la pièce d'Autreau, en 1731. Il termina sa carrière dramatique, en établissant le rôle du Complaisant, vers la fin de 1732.

Quinault l'aîné tirait parti de plusieurs pièces assez faibles, telles que le Flatteur de Rousseau, et l'Important de Cour de l'abbé Brueys, où il remplaça Devilliers, qui avait joué ces rôles d'original. Ce dernier acteur avait beaucoup de talent; en jouant après lui le rôle difficile du Chevalier à la mode, Quinault l'aîné ne le fit point regretter. Il excellait aussi dans les deux Ésopes.

Dans la tragédie il s'en tint constamment aux seconds rôles qu'il jouait sagement et faiblement. Voltaire le chargea de ceux de Philoctète dans OEdipe, de Philotas dans Artemire, et de Varus dans Mariamne. Il dut à Lamotte celui de D.Ro drigue dans Inès, à Crébillon celui d'Illirus dans Pyrrhus.

Quinault l'aîné était bon musicien, et chantait avec beaucoup de goût. Il composa la musique des divertissements adaptés à la plûpart des petites pièces jouées à la comédie française pendant le temps qu'il y resta. Un duo qu'il exécutait avec Mlle Legrand, dans la Nouveauté, contribua beaucoup au succès de cette pièce. Il eut trèssouvent la satisfaction d'être applaudi comme acteur, comme chanteur, et comme auteur de la musique des pièces dans lesquelles il jouait.

Cette réunion de talents ne semble plus nécessaire aujourd'hui, et nos acteurs ne daigneraient propeut-être pas répondre à quelqu'un qui leur poserait l'exemple de Quinault l'ainé. Cependant il semble que l'emploi qu'il en faisait variait fort agréablement les plaisirs du public, et rompait un peu la monotonie des représentations ordinaires dénuées aujourd'hui de tous ces accessoires.

Quinault l'aîné était un homme de beaucoup d'esprit : il avait dans la société de la finesse et de la gaîté. Se trouvant un jour à dîner chez M. de Crébillon, avec les pères Brumoy, de Tournemine et Bougeant, jésuites fameux, la conversation tomba sur le genre du mot amour. Quinault soutenait qu'il était féminin; les révérends pères soutenaient par beaucoup d'exemples tirés de nos meilleurs auteurs qu'il était masculin. Crébillon prétendait qu'il était des

deux genres. Quinault s'appuyait surtout de ces vers de Mithridate :

Je ne souffrirai point que ce fils odieux

Que je viens pour jamais de bannir de mes yeux,
Profitant d'une amour qui ne fut déniée,

Vous fasse des Romains devenir l'alliée.

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Les pères rapportaient d'autres passages de Racine où amour était du genre masculin. Excédé de toutes ces citations, Quinault termina la discussion, en disant aux convives, avec un sourire malin: Eh! Messieurs, un peu de complaisance; passons l'amour masculin en faveur de la Société.

Cet acteur se retira du théâtre le dimanche 22 mars 1733, avec la pension de mille livres, reparut le mardi 22 mars 1734 par le rôle du Complaisant qu'il avait établi, et qu'il joua trois fois, et quitta définivement le samedi 10 avril de la même année, jour de la clôture. Il mourut à Gien en 1744 on 1745.

QUINAULT-DUFRESNE.

(Abraham-Alexis )·

FRÈRE de l'acteur précédent, Dufresne était extrêmement jeune, quand il parut pour la pre

mière fois sur la scène française. Il y débuta le vendredi 7 octobre 1712 par le rôle d'Oreste dans l'Electre de Crébillon, et obtint beaucoup de succès. Une taille élevée et noble, des yeux éloquents, un organe enchanteur, n'étaient pas les seuls avantages qui le lui méritèrent; une grande intelligence, secondée par les leçons de Ponteuil, frappa le public accoutumé depuis quelque-temps à l'exagération de Beaubourg.

Depuis la retraite de Baron, le vrai goût de la déclamation s'était absolument perdu; ce comédien, homme de génie, avait frayé une route qui fut abandonnée de ses successeurs, soit qu'ils désespérassent d'imiter la noble et touchante simplicité de son jeu, soit qu'il y ait, dans presque tous les arts, des hommes insensibles aux beautés de la nature. C'était à ces beautés que Beaubourg et quelques autres avaient substitué une déclamation boursoufflée, emphatique, et des convulsions d'énergumène qu'ils prenaient pour de la chaleur. Baron s'était contenté de faire gémir Melpomène : ils s'attachaient à la faire hurler. Ponteuil, qui sentit le ridicule d'une déclamation si peu naturelle, résistait seul au torrent du mauvais goût, et sut garantir le jeune Dufresne de la contagion de l'exemple.

Cependant il ne faut pas croire que le public, gâté par l'exagération de Beaubourg, se soit

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