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celle des Calas et s'est empressé de faciliter et d'éclairer mes recherches. Plus tard M. Gaberel, ancien pasteur, auteur d'une Histoire de l'Église de Genève, d'un ou vrage intitulé Voltaire et les Genevois, etc., a pris la peine de copier dans le dépôt de l'État civil, quelques renseignements qui m'étaient nécessaires.

J'ai trouvé aussi à Londres, dans le British Museum, quelques notes utiles.

Mais nulle part à l'étranger je n'ai reçu autant de secours qu'en Hollande, où un ancien et vénérable ami de mon père, M. L.-C. Luzac, Curateur de l'Université de Leyde, ancien ministre de l'instruction publique et de l'intérieur, a bien voulu mettre à contribution pour ce travail sa vaste bibliothèque, me communiquer deux lettres inédites de Voltaire, ainsi que d'autres pièces tirées de sa riche collection d'autographes, et enfin faire prendre, pour mon livre, à la Haye, des informations et des copies dans les Archives de l'État.

On peut juger, d'après ces détails, qu'il n'aurait pas été difficile de publier tout un volume de documents sur les Calas et leur procès. (Depuis la publication du livre, d'autres communications m'ont été faites en grand nombre.) J'ai cru que cette surabondance de preuves lasserait l'attention, et que ma tâche devait être d'éviter au lecteur le travail et les longueurs d'un examen si minutieux, en le faisant d'avance, et en mettant au jour, avec le résultat de ces investigations, l'élite des pièces justificatives.

J'ai cru devoir aussi dresser, sous le titre de Bibliographie, la liste la plus complète qu'il m'a été possible, des imprimés qui ont paru en diverses langues sur l'affaire Calas. Cette liste, plus que triple de celle qu'a donnée M. Beuchot, s'est encore enrichie. Je ne prétends

nullement affirmer qu'elle soit complète, surtout pour les publications en langue allemande, anglaise ou hollandaise; mais j'ose dire que je n'ai rien épargné pour la compléter.

Ces nombreux écrits, je dois le faire remarquer, ou se répètent les uns les autres, ou n'embrassent qu'un côté du sujet. Quelques-uns mème en font une véri– table légende, embellie partout de détails fabuleux et semée d'anecdotes à effet. On n'avait pas encore essayé de contrôler au moyen des manuscrits les renseignements qu'ils contiennent, pour résumer, dans un récit détaillé, tout ce qu'ils ont de certain.

Bientôt, en puisant à ces sources diverses, la parfaite innocence des Calas et l'erreur déplorable où sont tombés leurs juges devinrent évidentes pour moi. C'est aux Archives, parmi les actes du quadruple procès, que cette vérité m'est apparue dans tout son éclat, et depuis, à chaque pas, ce travail m'en a fourni des preuves nouvelles. Je me suis appliqué à en rendre compte avec une sincérité absolue, sans m'étayer de ces arguments faibles qui ne font jamais que compromettre les forts, sans taire ce qu'il y avait à faire valoir contre ma propre opinion, et en faisant la part, aussi exacte que j'ai pu, du bien et du mal.

Ainsi, l'on a fait du Capitoul David un traître de mélodrame. Je l'ai peint, non d'après des conjectures, mais par ses propres lettres, par celles du ministre son instigateur, son complice et plus tard son juge. Louis Calas a été représenté par Court de Gébelin et d'autres comme dénaturé et lâche à un degré vraiment monstreux. J'ai fait voir par les faits, qu'il était sans cesse flottant, maîtrisé par ses amis et surtout cupide. Je n'ai voulu faire ni de Calas ni de sa veuve un type idéal et accompli; je les donne tels qu'ils se montrent. L'his

toire, et surtout quand elle est biographique et individuelle, doit se garder de ces enthousiasmes mal fondés qui couronnent un héros d'une auréole trop sainte pour son front et le transfigurent au lieu de le peindre. Les protestants ne doivent canoniser personne, pas même un martyr.

Ce dernier mot m'amène à dire à quel point de vue religieux je me suis placé. Il est essentiel de le déclarer. On aurait tort de chercher ici, ou d'y redouter, ni un plaidoyer ni un pamphlet, pour ou contre le catholicisme, pour ou contre Voltaire ou l'Église réformée de France. C'est un simple chapitre d'histoire, et rien de plus. Il est vrai que dans cette histoire l'Église romaine, celle du Désert et l'école de Voltaire, sont toutes trois en action. J'ai rendu justice à chacune selon mes lumières, et avec une intention d'équité très-sérieuse et très-soutenue.

J'ai blâmé sans hésiter les préventions populaires des catholiques de Toulouse, leur étrange ignorance au sujet des protestants, l'intervention de l'Église, de ses rites et de ses corporations dans un procès où la religion avait trop de part. Mais quand j'ai rencontré sur mon chemin la vénérable et touchante figure de la vieille Visitandine, c'est avec respect et sympathie que j'ai fait connaître ses sentiments si élevés, ses actes si délicats; la reconnaissant, malgré son caractère conventuel que je suis très-loin d'aimer, comme une bonne chrétienne, marquée du double sceau de la vraie charité et d'une piété sincère. Et en disant ces choses comme je les sens, chaleureusement et avec franchise, je n'ai nulle intention de faire l'éloge ni même l'apologie des couvents; je remplis simplement le devoir d'un honnête homme en présence de ce qui est moralement bon et beau.

Quant à Voltaire, ai-je besoin de dire que l'éclat prodigieux de ses talents ne voile en rien à mes yeux ce qu'il y eut de coupable dans la légèreté ignorante, la mauvaise foi, le cynisme impie avec lesquels il a parlé des choses les plus saintes et outragé à plaisir toute foi et toute pudeur? Personne ne déplore plus que moi l'éternelle confusion que faisait sans cesse cet ancien élève des Jésuites, entre des abus détestables qu'il avait mille fois raison de dénoncer, de combattre à outrance, et les vérités religieuses ou morales qu'il enveloppait dans les mêmes dérisions. Il est le plus coupable de ces grands écrivains français qui ont abusé de l'esprit pour tout railler, tout flétrir; sous ce rapport, le mal qu'il a fait à la France est incalculable. Mais quelque énormes que soient ses torts (et je les tiens pour tels), je dois dire bien haut, que ses efforts infatigables en faveur de la famille Calas, sans lesquels l'heure de la réhabilitation n'aurait jamais sonné pour elle, furent un exemple admirable de dévouement à l'humanité, à la tolérance et à la justice. C'est par de pareils actes de gouvernement moral qu'on fait avancer le monde, et au milieu de ses chefs-d'œuvre, il a eu raison de dire en songeant aux Calas et à d'autres :

J'ai fait un peu de bien; c'est mon meilleur ouvrage.

Voltaire a régné sur son siècle, et souvent pour le pervertir; mais quand il s'est servi de son immense pouvoir pour propager de grands et immortels principes, qui lui venaient, à son insu, de l'Evangile ; quand, non content de les avoir proclamés, il les a pratiqués lui-même et les a fait pratiquer autour et au-dessus de lui, une profonde reconnaissance lui est due. La lui refuser serait à mes yeux une preuve d'étroitesse ingrate et inique.

Si j'aime les humbles vertus de la religieuse, si je loue le zèle humain de l'incrédule, je n'ai pas moins le droit de faire admirer chez Calas un héroïsme dont la simplicité ne doit pas faire méconnaître la grandeur; chez sa veuve, la fermeté d'âme des matrones antiques, profondément pénétrée et attendrie par la foi chrétienne; chez Paul Rabaut et dans la part hardie qu'il prit à cette tragique histoire, l'intrépide dévouement d'un champion de l'Évangile qui, sous le coup d'une condamnation à mort, continue cinquante ans, sans orgueil ni faiblesse, son périlleux ministère, ne s'irrite jamais contre ses persécuteurs, et n'a qu'un seul jour de colère dans sa vie, celui où l'Église qu'il sert est accusée d'un fanatisme atroce et dénaturé. Sous l'ignoble règne de Louis XV, de pareils hommes sont l'honneur de leur pays, en même temps que la gloire de leur communion. Héritier de leur foi, j'ai été heureux de leur rendre hommage; mais j'ai résisté à l'entraînement de mon admiration.

En résumé, j'ai cherché, dans ce livre, à traiter chacun selon ce qui lui est dû, avec une justice qui a pu quelquefois être sévère, mais qui n'est jamais malveillante. La règle de mon travail a été cette maxime excellente, citée souvent et rarement pratiquée : Suum cuique.

ATH. C. F.

Novembre 1867.

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