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LE

CONTADIN PROVENÇAL.

Voyant qu'ordinairement on jette les yeux sur les favoris des Roys, que tous leurs déportemens passent sous la censure publique, que dans tous les entretiens sérieux ou familiers, soit de cabinet ou de table, on y mesle tousjours les mignons des princes, sur le dos desquels on charge tous les deffaux de l'Estat, que le général et le particulier les accusent comme autheurs de tous les mescontentemens que le tiers et le quart se fantastiquent, et que, d'autre costé, il se remarque que la pluspart les louent et les blasment, non selon la cognoissance certaine qu'ils ont de leurs mérites ou imperfections, mais seulement qu'ils sont préoccupez par

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l'affection ou l'envie qu'on leur porte, j'ay creu, pour ce regard, qu'il alloit du service du Roy et bien du public de donner lumière à ce petit discours, afin que, par iceluy, chacun puisse juger du choix que Sa Majesté a fait de la personne de monsieur de Luynes, et, par une cognoissance parfaicte de son naturel et de ses capacitez, faire un jugement parfaict de ce que l'on doit espérer de sa conduite et de ses actions.

Il n'a jamais esté que les Roys n'ayent pris plaisir d'eslever par leurs bienfaits quelques confidens serviteurs, leur grandeur les y obligeant, l'advancement de leurs affaires le requérant, et les infirmitez attachées à l'homme les nécessitans d'eslire, d'un grand nombre de domestiques, quelque affidé devant lequel, comme par un doux soulagement, ils se puissent despouiller de la pesanteur qu'apporte quant et soy une continuelle gravité de majesté royale, afin de gouster, par l'intervalle d'une heure prise à la desrobée, l'agréable liberté d'une vie privée, et, par la communication d'un entretien familier, donner quelque relasche à leurs esprits, continuellement agitez par la multitude des affaires, partie desquelles ils sont contraints de confier à la fidélité d'une personne qui les soulage, en les rendans participans de leurs plus secrettes pensées. C'est pourquoy il ne s'est jamais veu que les grands n'ayent toujours eu quelques favoris; mais il ne s'est point remarqué jusques à présent qu'ils ayent voulu souffrir des compagnons, encore moins des maistres.

Quoy qu'il en soit, on ne donne jamais son cœur à une personne sans sujet; il faut qu'il y aye traict particulier qui nous incite à chérir ce que nous aymons. Ainsi les princes, par quelque instinct qui les meut, donnent leur affection à ceux le naturel desquels quadre

à leur inclination; de là vient qu'ils honorent de leurs faveurs, non tous ceux qui les ayment, mais seulement ceux qu'ils cognoissent pouvoir servir d'instrumens propres à leurs volontez, ou à ceux qu'ils estiment estre douez de grande valeur et de jugement, desquels ils ont receu ou espèrent recevoir des signalez services, et le plus communément à ceux qui ont quelque gentillesse, à laquelle l'esprit du prince s'attache par une rencontre de conformité d'humeur.

De toutes ces sortes de favoris, nous en avons des exemples en nos Roys. Charles V, surnommé le Sage, comme il estoit prince de grand sens, il n'ayma jamais aussi que des serviteurs bien sensez; ainsi il affectionna le connestable Du Guesclin, à cause de ses rares vertus, Charles VII, pour le mesme subjet, admit au gouvernement de son Estat Jean, bastard d'Orléans, appellé pour ses mérites le bon comte de Dunois, auquel la France demeure encore aujourd'huy redevable pour les continuels services qu'il a rendus à ceste couronne durant tout le cours de sa vie. Louys XI a eu pour favoris tous ceux qu'il a jugé luy pouvoir servir utilement en ses affaires, entre lesquels estoit Tristant l'Hermite. Charles VIII affectionna Brissonnet par rencontre d'humeur. En ce mesme temps, François, duc de Bretagne, se laissoit aussi posséder par un sien tailleur, nommé Landays, auquel les grands du pays firent faire le procez; le Roy François Ier ayma l'admiral de Bonnivet pour la gentillesse de sa personne; Henry II esleva Montmorency pour son courage; Charles IX fit le mareschal de Rethz pour sa bonne conduite; Henry III agrandit monsieur d'Espernon pour son esprit; Henry IV le duc de Sully, comme instrument à ses desseins. Ainsi le Roy a fait choix de monsieur de Luynes pour la con

fiance qu'il a en luy comme en un autre soy-mesme. Reste maintenant à voir s'il mérite ou non ceste grande faveur, et ce que la France doit espérer de la conduitte de l'Estat qu'il a pris en main, et dans laquelle il se veut maintenir à quelque prix que ce soit, en dépit de tous les envieux.

Pendant la grande vogue du feu mareschal d'Anere, chacun déclamoit contre le bonheur de sa fortune, et l'impatience d'une rage publique en faisoit souhaiter le revers à tout moment; aussi ne fut-il pas plustost ruyné, que chacun en applaudit l'action par une resjouissance générale. Get exemple devoit animer de Luynes à embrasser les choses bonnes, à mieux faire que le deffunct, puisqu'il n'avoit esté deffaict que pour avoir mal faict. Mais, tout au rebours, disent-ils, de Luynes n'est pas si tost entré en sa place, qu'il a suivy entièrement sa piste; de sorte que la médisance s'est incontinent jettée sur luy, le naturel d'un peuple estant de détracter tousjours de ceux qui gouvernent l'Estat, et qui ne peut jamais voir de bon œil les favoris des princes, pour la croyance qu'il a que tous ces mignons sont de vrayes sangsues qui boivent en délices le sang des pauvres affligez et qu'ils enrichissent de la sueur de leurs travaux. Pareil discours se tient aujourd'huy du sieur de Luynes; c'est pourquoy il faut examiner sans passion si c'est à tort ou avec sujet qu'on se plaint de ses déportemens.

Pour donc commencer à recueillir ce qui se publie de luy dans le monde, je diray qu'il est accusé publiquement d'estre entasché de six vices notables, sçavoir : d'incapacité, de lascheté, d'ambition furieuse, d'avarice insatiable, d'ingratitude nompareille, et de n'estre homme de foy ny de parolle, qui sont toutes qualitez

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honteuses, lesquelles ils soustiennent estre bien faciles à prouver contre luy.

Première incapacité. Pour le premier poinct, qui regarde son incapacité, on la fonde sur deux poincts, en sa naissance et en l'impertinence de son esprit, disants qu'il n'est pas François, qu'il est Contadin, subjet du Pape, nay à Mornas, petite villette du comtat d'Avignon; qu'il y a de très grands inconvéniens de laisser empiéter une si grande authorité à un homme estranger, et encore plus de confier la conduitte du Roy et de son Estat à l'insuffisance d'une personne qui, depuis son bas aage jusques à celuy de quarante ans, n'a jamais eu l'ame plus relevée que d'occuper son esprit à nourrir des moineaux, dénicher des corneilles, siffler des linottes, leurrer des pies-griesches, voler l'allouette et pédagoguiser des misquins, qui sont toutes marques certaines de bassesse et de lascheté, avec lesquelles néantmoins il tasche de préoccuper le benin naturel du Roy. Le feu comte du Lude ayant reproché cent et cent fois aux Luynes, lorsqu'ils estoient à sa suitte, « qu'ils n'estoient bons qu'à desnicher des geais verds, > c'estoient ses mots; et cependant tout en un coup, comme si le Sainct-Esprit estoit descendu dessus eux, ainsi que jadis sur les apostres, ils ont eu l'audace d'arracher le timon de l'Estat aux anciens officiers de la couronne, pour de haute lutte en prendre l'absolu gou

vernement.

Les autres, qui sont plus contemplatifs, disent qu'il n'y a rien qui r'avalle tant la dignité royalle ny de si honteux à la renommée de la nation françoise que de permettre qu'un petit fauconnier qui, depuis son hors de page jusques au 24 avril 1617, n'avoit gouverné autre chose que des esperviers, et le lendemain, 1618, sans

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