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SOMMATION FAICTE

M.LE DUC D'ESPERNON.

AVERTISSEMENT.

Nous avons eu déjà occasion, dans la première série de ce recueil, de faire connaître le duc d'Epernon, personnage dont la destinée politique se mêle à plusieurs règnes. Nous le retrouvons ici comme soutenant Marie de Médicis contre Louis XIII, c'est-à-dire comme partageant la jalousie de la première contre les favoris du second. Le duc sacrifia même, dans cette circonstance, les instructions du Roi aux intérêts de la Reine. Envoyé à Metz, il abandonna de son chef le nord pour le midi de la France, et vint offrir à Marie de Médicis sa protection, d'abord pour s'évader de Blois, ensuite pour se retirer à Angoulême. Le duc d'Epernon, en secondant ainsi Marie de Médicis dans ses projets d'opposition au gouvernement, exposait lui-même sa tête, et aurait subi sans doute la peine de sa témérité si, dans la transaction qui rapprocha provisoirement la mère et le fils, sa grâce n'avait pas été nommément stipulée, grâce entière qui assurait son existence, sa fortune et sa famille.

SOMMATION FAICTE

A

M. LE DUC D'ESPERNON,

ENSUITE DE LA DÉCLARATION DU ROY.

Chacun sçait que la fortune de monsieur d'Espernon est sans exemple; il l'a faicte et l'a conservée contre des puissants ennemys durant le règne de trois grands Roys, jusques à maintenant.

Cet homme s'est acquis de grands secrets à conduire des affaires. Il a l'entregent d'entretenir beaucoup de monde en opinion de suffisance et se communique à peu, et s'estonne-on comme il peut avoir tant d'amys, veu que sa manière d'obliger ne gaigne nullement le cœur des personnes. Il est altier et rare en la distribution de ses faveurs; plus de gens le recherchent qu'il n'y en a qui le possèdent. Ceux de la recherche sont sans espé

rance, et ceux de la possession sans contentement. Qui s'engage à lui entre en servitude; quiconque est à luy perd plustot la liberté qu'il ne gaigne son amitié. S'il fait bien à quelqu'un, il luy fait tellement sentir que cela mesme l'en desgoute; s'il veut du mal, il est irréconciliable; il ne se cognoist ny à l'humilité ny au pardon. Tout cela sont condition d'un homme qui fait estat de vivre sans avoir besoin de personne et de se passer de tout le monde; néantmoins il est tellement suivy (en bonne ou mauvaise fortune) que, s'il se fait un party où le Roy ne soit pas intéressé, difficilement pourra-on trouver en France un homme si puissant d'amys que luy.

Il en a de toutes sortes, grands et petits; mais ceux qu'il appelle en son amitié sont ordinairement gens de bien, faits et propres à quelque chose; il use des différences de leur condition par discrétion, afin que l'envie ne règne entre ceux qui sont à luy, et quoi qu'il en soit il n'a point de petits amis, car tous luy sont en considération. Sans perdre rien de sa gravité, il en prend une peine incroyable à les conserver; si la peine ne paroist pas, il visite souvent ses amys par lettres, et tout de sa main; ses secrétaires ne sçavent pas la pluspart de ses ⚫ affaires. Il communique ses secrets avec autant de rétention et de mesure qu'il recognoist de capacité. On se peut promettre du service de celuy qui les entend, car il garde tousjours le meilleur et ne dit jamais le fond de sa pensée. Deux personnes qui seront participans du secret d'une chose ne feront jamais un mesme jugement de son intention, d'autant qu'il l'a proposée diversement; néantmoins, toutes ces diversitez respondent à son sens. Une pluralité d'avis ne luy empesche jamais. une résolution ou une pensée passée en la détermination de sa volonté. Ceste industrieuse façon de faire est

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