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90 PLAINTES DE LA Royne mère a son fils [1619]. servir son Estat, et qu'elle puisse estre en seureté près Sa Majesté et ses autres enfans, et qu'elle n'aye point ce desplaisir que des personnes qui l'ont faict si indignement traicter soient injustement maintenues, contre tant de bonnes affections qu'elle luy porte et à son

royaume.

Ce qu'elle espère de sa bonne inclination, ne croyant pas qu'il veuille égaler l'amitié de valets si dangereux à celle qui a eu l'honneur de l'avoir mis au monde; sinon elle proteste d'employer tous ceux à qui elle a l'honneur d'appartenir, sa vie, et ceux qui honorent la mémoire du défunct Roy, contre les susnommés, pour en avoir raison et justice, avec protestation, qu'elle fait devant Dieu et les hommes, de n'avoir aucun ressentiment contre Sa Majesté, qu'elle tient innocent de tous les sensibles desplaisirs que l'on luy a fait recevoir, ains seulement contre ceux qui en sont la cause et de tous les malheurs qu'on luy a fait souffrir, en cette occasion n'ayant d'autre but ni intention que la grandeur et prospérité de Sa Majesté et de son royaume.

L'AUDIENCE

DONNÉE PAR LE ROY

A LA ROYNE SA MÈRE,

CONTENANT LES PROPOS MÉMORABLES TENUS ENTRE LEURS MAJESTÉS.

Je ne sçaurois assez admirer combien grands sont les secrets de Dieu, qui gouverne et tient comme entre ses mains le cœur des grands princes qui l'ayment, le servent et le craignent, comme faict particulièrement le nostre. Les ennemis du repos public n'avoient oublié artifice quelconque pour désunir les ames purement et vrayement royalles; mais Dieu, qui a opéré avec les bonnes inclinations de Leurs Majestés, les a tellement réunies et conjoinctes qu'il n'y a sorte de pratique qui en puisse à l'advenir dissouldre la parfaicte amitié.

Sitost que le Roy eut advis de l'arrivée de la Royne, sa très honorée dame et mère, Sa Majesté députa monsieur le grand-escuyer de France, qui, avec une grande

suitte de noblesse, la fut recevoir de la part de Sadite Majesté jusques à la ville de Chastelleraud.

En après, comme elle fut arrivée à Saincte-More, elle fit rencontre de monsieur l'illustrissime et révérendissime cardinal de Rets, évesque de Paris, suivy de quelques prélats et du révérend père Arnoux, jésuite, prédicateur ordinaire de Sa Majesté.

Le jeudy cinquiesme jour de septembre, comme elle devoit arriver en la ville de Tours, la Royne de France monta en carosse et la fut recevoir à Coussière, proche dudit Tours, accompagnée de mesdames la princesse de Conti, la duchesse de Vendosme, la duchesse de Guise, la duchesse d'Elbeuf, et de plusieurs autres grandes dames de la cour.

La Royne mère estant arrivée audit lieu de Coussière, près Tours, ainsi comme elle estoit, avec la Royne de France et les princesses de sa suitte, se pourmenant en un jardin, le Roy survint, comme luy venant au devant, lequel la surprit ainsi comme la Royne pensoit le moins à son arrivée; et approchant ladite dame Royne au-devant du Roy son filz, dit haut et clair ces parolles : « Je ne me soucie plus de mourir, puisque j'ay veu le Roy mon filz. » Et saluant le Roy, luy dit : « Monsieur mon fils, que vous vous estes faict grand depuis que je ne vous ay veu. » A laquelle le Roy respondit : « Je suis tousjours creu, Madame, pour vostre service. » Et sur ces parolles Leurs Majestés s'entrebaisèrent amoureusement; et ne furent point faictes ces douces accollades ny ces amoureux baisers sans une grande quantité de larmes qui se versèrent de part et d'autre, et principallement du costé de la Royne mère, qui eut plus de larmes en cette royalle entrevue que de discours et parolles; car sitost qu'elle apperceut le Roy venir à elle, demeura

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comme ravie sans pouvoir parler, extasée et sans langue. Et la première parolle qu'elle dit fut celle que j'ay dit, qu'elle ne se soucioit plus de mourir puisqu'elle avoit veu le Roy son fils.

Après toutes ces salutades, accollades et baisers, le Roy print la Royne sa mère par dessous les bras, et la conduisit jusques dans un cabinet où Leurs Majestez entrèrent ensemblement, et y demeurèrent ensemble l'espace presque d'une heure ; et pendant que Leursdites Majestez estoient en pourparler, monsieur de Luynes entra au cabinet vers Leursdites Majestez, luy troisiesme, lequel fit les complimens requis au Roy premièrement, et en après à la Royne sa mère; et se tindrent quelques discours en iceluy cabinet en présence dudit sieur de Luynes, dont on ne peut rapporter aucune chose de certain et asseuré.

Au bout d'un quart d'heure, ou environ, monsieur de Luynes sortit du cabinet, y laissant Leurs Majestés.

Au bout du pourparler, le Roy sortit le premier, louant Dieu hautement de la grace qu'il luy avoit faicte en ce jour d'avoir veu la Royne sa mère, et d'avoir juré avec elle une parfaicte amitié ; et la prenant par la main sortant dudit cabinet, la reprit par dessous les bras et la conduisit jusques à l'entrée de son carosse, auquel carosse, appartenant à ladite dame Royne, Leurs Majestez entrèrent, et la Royne de France, et arrivèrent ensemblement en la ville de Tours.

Le Roy, allant au devant de la Royne sa mère audit lieu de Coussière, estoit suivy et accompagné de huict princes, c'est assavoir : de messieurs les ducs de Guise, de Joinville, de Mayenne, de Longueville, de Vendosme, et monsieur le grand-prieur de France, son frère, et monsieur le comte de Sainct-Paul.

Estant la Royne arrivée audit Tours et conduite au logis qui luy estoit préparé, le Roy la laissa en repos avec la Royne de France, son épouse, qui soupa avec elle. Après le souper, le Roy la retourna visiter, n'ayant aucun repos sans elle; et l'ayant laissée, elle lui rendit la pareille, l'allant visiter à son tour.

Le lendemain sixiesme jour de septembre, monsieur de Luynes voulut traiter la cour, à sa duché de Maillié, fort splendidement et magnifiquement, au grand contentement des princes et seigneurs qni y assistèrent.

Parmy toutes ces allégresses et contentemens, ce qui a donné et causé de la tristesse au Roy et à la Royne a esté la maladie de Monsieur, frère du Roy, atteint de la petite vérolle; mais, grace à Dieu, il n'en a eu que le mal et se porte bien, au grand contentement de la France.

La Royne mère s'en vouloit aller à Angers, sans les prières que le Roy lui a faictes de demeurer quelques jours audit Tours avec Sa Majesté, pour de là faire avec luy quelques voyages par la France.

Et de faict, c'est chose résolue que le Roy va partir de Tours avec ladicte dame Royne sa mère pour s'en aller à Angers, et le Roy pour s'en aller à Gaillon, à sept lieues près de Rouen, en Normandie. Mais Sa Majesté doit premièrement passer par Fontainebleau, et tient-on que c'est pour mettre monsieur le prince de Condé en liberté, comme il luy a promis, et par ce moyen establir pour longtemps un ferme et asseuré repos pour la France.

Les nouvelles de l'arrivée de la Royne audit Tours, entreveue de Leurs Majestés et des choses résolues entre elles, ayant esté portées au bois de Vincennes dimanche dernier, huitiesme jour de septembre, et communiquées

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