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Cependant le fermier ne pourra être recherché lorsque le liége n'excédera « pas le dixième en dessous de vingt-trois millimètres. »

Cette clause a servi de base à tous les contrats entre particuliers pour l'exploitation des chênes-liéges, dans le département du Var.

Le sens normal, grammatical et logique, de cette clause, c'est évidemment qu'une planche de liége, pour être de recette, doit avoir sur les neuf dixièmes de son étendue l'épaisseur de 23 millimètres au moins, et qu'elle peut avoir une moindre épaisseur sur un dixième seulement de sa superficie.

En d'autres termes, s'il arrive que le liége levé soit en planches les unes épaisses, les autres minces sur la totalité de leur surface, cette clause signifie que sur 100 kilogrammes de liége de chaque récolte, le fermier a droit d'enlever 90 kilogrammes de liége ayant sur toute l'étendue des planches l'épaisseur de 23 millimètres et au-dessus, et qu'il ne peut enlever que 10 kilogrammes seulement de liége ayant sur toute l'étendue des planches une épaisseur moindre que 23 millimètres '.

On a peine à comprendre comment certains fermiers interprètent cette clause. Ils prétendent qu'elle porte et signifie qu'ils ont droit lors de la dernière levée de liége de leur bail :

1° D'enlever dans la forêt affermée toutes les planches de liége avant 23 millimètres au moins d'épaisseur dans toute leur étendue ce point ne peut être contesté;

:

2o D'enlever les planches de liége existant dans la forêt affermée, ayant 23 millimètres d'épaisseur sur un point quelconque de leur surface, quelle que soit l'étendue des planches, et quand même la partie parvenue à l'épaisseur légale ne serait que le dixième, le centième, le millième, ou enfin la plus imperceptible fraction de la totalité : ils soutiennent, contre tout bon sens et toute raison, que ces planches sont, dans ce cas, de belle et bonne recette; 3o Enfin, qu'il est entendu et compris par cette clause qu'après avoir enlevé tous les liéges des deux catégories ci-dessus, dont la seconde contient déjà une énorme proportion de liége au-dessous de l'épaisseur légale, ils peuvent peser tous les liéges récoltés ou mesurer la totalité de leur surface, et lever encore en liége mince un dixième de ce poids ou de cette surface. C'est là

une monstrueuse erreur.

Si la clause du cahier des charges de l'administration forestière pouvait être ainsi interprétée, elle entraînerait infailliblement la mort des arbres. Examinons quelques-unes des conséquences désastreuses d'une pareille interprétation. D'abord, l'aménagement des forêts de chênes-liéges, au lieu de donner des produits partiels tous les ans, ne donnerait qu'une seule levée générale sur

1. Cette seconde interprétation ne nous paraît pas exacte et pourrait être très-abusive, car elle permettrait au fermier d'enlever, dans certains cas, le dixième de la récolte en planches ayant sur toute leur surface une épaisseur moindre de 23 millimètres. La seule interprétation raisonnable de l'art. 21 précité, est celle qui, en fixant à 23 millimètres le minimum de l'épaisseur, tolère que le dixième de la surface des planches enlevées soit au-dessous de cette épaisseur. Dans ce système, les neuf dixièmes au moins du liége pris sur chaque arbre ont 23 millimètres, et l'abus permis est limité et peu dommageable. Dans l'autre interprétation, un fermier pourrait, en fin de bail surtout, et lorsque, comme on l'a expliqué plus haut, par

tous les arbres assez robustes pour la supporter; les plus vigoureux survivraient seuls à un tel traitement; le plus grand nombre périrait; tous auraient en peu d'années le même sort, et la production serait tarie dans sa source'. Admettons qu'un certain nombre d'arbres pourrait supporter ce mode sauvage d'exploitation; Tou aurait dans le liége produit par chaque arbre des planches de toute épaisseur. D'une part, les besoins de la consommation pour les bouchons ne seraient point satisfaits, puisqu'on n'aurait à livrer au commerce qu'une quantité insuffisante de liége avant l'épaisseur exigée pour les bouchons de la grosseur la plus demandée; de l'autre, et c'est une considération des plus graves, ces liéges minces versés dans le commerce ne pourraient alimenter constamment la fabrication, et les ouvriers qui vivent de cette industrie chômeraient une grande partie de l'année. Dès à présent, et par suite de cette interprétation forcée, donnée abusivement à une clause dont les fermiers de mauvaise foi veulent torturer le véritable sens, un grand nombre de nos ouvriers manquent d'ouvrage pendant une partie de l'année. Considérons les effets d'une bonne et sage méthode d'aménagement des liéges.

Nous connaissons une forêt affermée cent fancs il y a trente ans qui, douze ans plus tard, sous l'empire d'un bon système d'exploitation, a été louée cinq cents francs par an, et l'est aujourd'hui au chiffre élevé de cinq mille francs telle est, en trente ans, la progression du revenu des liéges conve nablement exploités, et cette progression n'a point atteint son terme; le chiffre actuel de cinq mille fra cs sera dépassé dans la suite. Si l'on tolère l'interprétation que nous combattons, la mort des arbres coupant court à la production, le revenu de cette forêt reviendrait bientôt à son chiffre primitif de cent francs par an; de plus, la société serait privée d'un produit précieux, d'un article de première nécessité, pour lequel la France est tributaire de l'étranger.

Afin d'appuyer nos raisonnements de chiffres positifs, citons des faits authentiques.

Les liéges des forêts de la commune d'Hyères étaient affermés par le dernier bail au prix annuel de quatre mille francs; ils sont affermés aujourd'hui plus de dix mille francs.

Les liéges de la forêt communale de Pierrefeu, affermés précédemment environ quatre mille francs, le sont aujourd'hui pour plus de douze mille francs par an.

suite d'une jouissance volontairement retardée, le liège a pris partout une épaisseur de 23 millimètres, au moins, le fermier pourrait, disons-nous, profiter de cette circonstance qui serait déjà un abus, pour dépouiller totalement, jusqu'à concurrence du dixième du poids total de la récolte, des arbres dont le liége n'aurait nulle part 23 millimètres d'épaisseur, et même beaucoup moins. Le dixième de tolerance doit s'entendre de chique planche ou de chaque arbre, et non de la totalité du poids de la récolte, (Note de la rédaction.) 1. Pendant l'hiver rigoureux de 1829, la plupart des chène--liégés dans le departement des Landes furent plus ou moins endommagés par suite du système vicieux d'exploitation usité dans ce pays. Dans bon nombre de ceux qui résistèrent on remarqua que la mère fut soulevée par le froid et séparée du tronc sur lequel se reforma une nouvelle mère qui produisit du liége femelle interposé entre la première mère soulevée et la mère adhérente au trone, phénomène que les exploitants désignent par l'expression technique de doublié. Les incendies produisent quelquefois un effet analogue et donnent également naissance à cette double ecorte ou double.

Le prix de location des lieges de la forêt communale de Collobrières s'est élevé dans le même temps de mille quatre cent francs à plus de six mille francs. La commune de Fréjus, qui louait ses chênes-liéges cent francs par an, les loue aujourd'hui huit cents francs.

La commune de Gonfaron, qui louait ses chênes-liéges deux mille et quelques cents francs, les loue actuellement plus de quatre mille francs'.

On peut affirmer que le prix de location des forêts de chênes-liéges appartenant soit aux communes, soit à des particuliers, a pour le moins doublé, et souvent triplé et quadruplé, selon le bon aménagement des forêts et la régularité des démasclages.

Quand on voit l'élan pris dans le département du Var par la production du liége, on sent toute l'importance de ce produit. Que l'exemple des fautes commises par les étrangers nous profite. Dans l'Italie méridionale, principalement en Sicile et dans le royaume de Naples, l'exploitation du liége s'est faite avec si peu de ménagement que les forêts épuisées ont été détruites avant le temps, alors qu'elles pouvaient encore durer des siècles.

Nous croyous avoir démontré que le système d'exploitation des liéges, en bon père de famille, tel que nous l'avons décrit, est le seul qui assure à la fois la conservation des arbres et la régularité de leurs produits pendant des siècles, sans en laisser détériorer la qualité.

- Le tableau suivant div s en cent parties égal's, rend sensible au premier coup d'œil toutes 1 s d fic Ités qui peuvent se présenter à l'ouvrier: quant à l'épaisseur normal du liège au moment où il le lève.

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La bande horizontale supérieure présente partout une zône trop mince;

4. Le bail antérieur, de 1819 à 1834, n'était que de 500 fr.

la seconde offre un dixième seulement ayant l'épaisseur légale; la troisième a deux dixièmes; la quatrième trois dixièmes, et ainsi de suite jusqu'à la dernière bande qui a l'épaisseur voulue dans les neuf dixièmes de son étendue. La dernière bande inférieure et la dernière colonne à droite sont donc les seules qui peuvent être exploitées légalement dans toute leur étendue; les autres ne le peuvent être que graduellement ainsi que le démontre le tableau ci-dessus.

Pour achever de se convaincre de l'absurdité des prétentions des fermiers qui veulent interpréter différemment la clause de l'administration, il est bon de considérer leur manière d'agir pendant les huit ou dix premières années d'un bail de chênes-liéges. Durant toute cette période, ils ne lèvent que da liége d'épaisseur convenable, ayant 23 millimètres et au-dessus, sur toute l'étendue de chaque planche. S'ils reconnaissent l'obligation d'exploiter en bons pères de famille durant ces huit ou dix premières années, n'est-il pas évident qu'il doit en être de même pendant la dernière partie de leur bail pour laquelle il leur est accordé un seul dixième de tolérance? Pourquoi leur conduite ultérieure vient-elle démentir le début de leur exploitation? N'est-il pas évident qu'ils se mettent eux-mêmes dans leur tort?

Quant à leurs motifs, le premier est sans doute la rapacité; mais il s'y joint aussi quelquefois un dessein arrêté de porter méchamment préjudice à la propriété, et de diminuer la valeur des chênes-liéges pour qu'à l'expiration de leur bail, le propriétaire, s'il veut exploiter lui-même, en retire un moindre produit, ou qu'il soit forcé de consentir au nouveau bail à des conditions. moins avantageuses. Si la forêt exploitée par cet avide fermier passe dans les mains d'un autre qui croira reprendre une exploitation conduite en bon père de famille, ce dernier va se trouver dépouillé de ce qui devait lui rester de liéges minces au moment de son entrée en jouissance, liéges qu'il devait s'attendre à récolter pendant les premières années de son bail.

Nous espérons que l'administration forestière prendra en grave considération l'exposé exact de faits si scandaloux, et qu'elle saura, en mettant un terme à de si coupables abus, veiller, comme elle le doit, à la conservation de la propriété, et couper court à des dévastations, sources de contestations renouvelées tous les ans, entre ses agents subalternes, et les exploiteurs de chênes-liéges. Elle n'atteindra ce désirable résultat qu'en donnant aux clauses du cahier des charges qui régit ses baux, une rédaction plus détaillée et tellement claire, que les différents abus que nous avons signalés soient prévus et punis ou rendus impossibles.

Nous croyons devoir indiquer impartialement les différents cas où il peut arriver au rasquier d'endommager les arbres en effectuant sa besogne sans qu'il doive être responsable du dégât.

1o Sur le chêne-liége le mieux en séve, il peut se rencontrer des portions où la séve ne circule pas; c'est ce qu'on nomme en termes du métier des sèches. Le rusquier intelligent peut souvent s'en apercevoir; mais s'il n'a pas remarqué la présence des sèches, ce qui peut arriver sans qu'il y ait de

sa faute, alors, en levant le liége, il emportera la mère au grand détriment de l'arbre. Dès qu'il sent de la résistance, il doit s'arrêter et cerner par une coupure le liége adhérent sur la sèche. C'est encore ce qu'il doit faire pour les sèches dont il reconnaît la présence avant de commencer son travail.

20 Le liége est souvent endommagé par une espèce particulière d'insectes dont le ver s'insinue en partant de terre entre le liége et la mère, et monte en tournant autour de l'arbre. De distance en distance, il dépose comme une sorte de colle qui soude l'un à l'autre le liége et la mère. Lorsque le rusquier, soit qu'il travaille sur du liége mâle ou sur du liége femelle, rencontre le passage d'un de ces vers, il est exposé à enlever la mère avec le liége, surtout quand il opère sur du liége femelle. Mais comme rien n'indique extérieurement ces adhérences du liége à la mère, on ne peut s'en prendre à lui. Lorsqu'il éprouve de la résistance, et qu'il suppose qu'elle provient de la rencontre d'un ver, il doit agir comme pour les sèches, et cerner par des coupures la partie adhérente;

3o La mère peut encore être enlevée par le rusquier sous les parties où les fourmis ont établi leur domicile, parce que le plus souvent elles ont desséché la séve;

4o Enfin, le rusquier peut aussi enlever involontairement la mère sur les parties de l'arbre qui ont souffert du froid ou des incendies.

Tels sont les cas d'excuse légitime pour les dégâts causés inévitablement par le rusquier même le plus adroit et le plus attentif dans l'exécution de son travail.

– Le liége enlevé des arbres d'après les procédés dont nous venons de tracer un aperçu, est empilé, jour par jour, au fur et à mesure de l'exploitation. Dans les piles, la croûte doit toujours être placée au-dessus, et la partie inférieure, nommée ventre, doit être en dessous. Cette disposition a pour but de forcer les planches de liége de s'aplatir le plus possible.

On doit éviter de faire les piles trop grosses et trop serrées; leur disposition doit laisser passage à l'air dans tous les sens. Cette précaution est néces saire pour conserver au liége une bonne couleur. Lorsque les planches ont été entassées en piles trop grosses et trop concentrées, la séve dont le liége était encore imprégné, ayant mis trop de temps à sécher, lui a laissé une teinte grisâtre nuisible à la belle apparence du bouchon, dont la nuance fraîche et propre est une des conditions les plus recherchées de l'acheteur. Si l'on fait tremper dans de l'eau, du liége fraîchement détaché de l'arbre, il donne à cette eau une teinte noirâtre; s'il reste en plein air exposé à la pluie, il se purge de la séve, et gagne en belle apparence. Cependant, les exploiteurs de liéges ont leurs raisons pour l'entasser en grosses piles sans s'arrêter au préjudice qui en résulte pour sa qualité; le liége entassé par masses, où l'airne pénètre pas, reste vert, et pèse davantage à l'époque des livraisons; c'est un double vol commis au préjudice de l'acheteur; car, d'une part, le liége est détérioré sous le rapport de la qualité, de l'autre, il n'a pas atteint, au moment de la livraison, le degré convenable de dessiccation.

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