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Marque bien leur concert, et que c'est une baie Qui sert sans doute aux feux dont l'ingrate le paie.

SCENE V I.

ÉRASTE, MARINETTE, GROS-RENÉ.

MARINETTE.

Je viens vous avertir que tantôt, sur le soir,
Ma maîtresse au jardin vous permet de la voir.
É RASTE.

Oses-tu me parler? ame double et traîtresse !
Va, sors de ma présence; et dis à ta maitresse
Qu'avecque ses écrits elle me laisse en paix,
que voilà l'état, infàme! que j'en fais.

Et

(Il déchire la lettre, et sort.)

MARINETTE.

Gros-René, dis-moi donc quelle mouche le pique.

GROS-RENÉ.

M'oses-tu bien encor parler? femelle inique,
Crocodile trompeur, de qui le cœur félon
Est pire qu'un satrape, ou bien qu'un Lestrigon!
Va, va rendre réponse à ta bonne maîtresse ;
Et lui dis bien et beau que, malgré sa souplesse,
Nous ne sommes plus sots, ni mon maître, ni moi,
Et désormais qu'elle aille au diable avecque toi.

MARINETTE, seule.
Ma pauvre Marinette, es-tu bien éveillée ?
De quel démon est donc leur ame travaillée ?
Quoi! faire un tel accueil à nos soins obligeants!
Oh! que ceci chez nous va surprendre les gens!

FIN DU PREMIER ACTE.

ACTE SECOND.

SCENE I.

ASCAGNE, FROSINE.

FROSINE.

ASCAGNE, je suis fille à secret, Dieu merci.

ASCAGN E.

Mais, pour un tel discours, sommes-nous bien ici ? Prenons garde qu'aucun ne nous vienne surprendre, Ou que de quelque endroit on ne nous puisse entendre.

FROSIN E.

Nous serions au logis beaucoup moins sûrement: Ici de tous côtés on découvre aisément,

Et nous pouvons parler avec toute assurance.

ASCAGNE.

Hélas! que j'ai de peine à rompre mon silence!

FROSINE.

Ouais! ceci doit donc être un important secret!

ASCAGNE.

Trop, puisque je le dis à vous-même à regret,
Et que, si je pouvois le cacher davantage,
Vous ne le sauriez point.

FROSIN E.

Ah! c'est me faire outrage! Feindre à s'ouvrir à moi, dout vous avez connu Dans tous vos intérêts l'esprit si retenu !

Moi, nourrie avec vous, et qui tiens sous silence Des choses qui vous sont de si grande importance! Qui sais...!

ASCAGNE.

Oui, vous savez la secrete raison

Qui cache aux yeux de tous man sexe et ma maison:
Vous savez que dans celle où passa mon bas âge
Je suis pour y pouvoir retenir l'héritage
Que relâchoit ailleurs le jeune Ascagne mort,
Dont mon déguisement fait revivre le sort;
Et c'est aussi pourquoi ma bouche se dispense
A vous ouvrir mon cœur avec plus d'assurance.
Mais avant que passer, Frosine, à ce discours,
Eclaircissez un doute où je tombe toujours.
Se pourroit-il qu'Albert ne sût rien du mystere
Qui masque ainsi mon sexe, et l'a rendu mon pere?

FROSIN E.

En bonne foi, ce point sur quoi vous me pressez
Est une affaire aussi qui m'embarrasse assez:
Le fond de cette intrigue est pour moi lettre close;
Et ma mere ne put m'éclaircir mieux la chose.
Quand il mourut ce fils, l'objet de tant d'amour,
Au destin de qui même, avant qu'il vînt au jour,
Le testament d'un oncle abondant en richesses
D'un soin particulier avoit fait des largesses;
Et que sa mere fit un secret de sa mort,
De son époux absent redoutant le transport
S'il voyoit chez un autre aller tout l'héritage
Dont sa maison tiroit un si grand avantage;
Quand, dis-je, pour cacher un tel évènement,
La supposition fut de son sentiment,

Et qu'on vous prit chez nous où vous étiez nourrie
(Votre mere d'accord de cette tromperie
Qui remplaçoit ce fils à sa garde commis),
En faveur des présents le secret fut promis.
Albert ne l'a point su de nous; et pour sa femme,
L'ayant plus de douze ans conservé dans son ame,
Comme le mal fut prompt dont on la vit mourir,
Son trépas imprévu ne put rien découvrir.

Mais cependant je vois qu'il garde intelligence
Avec celle de qui vous tenez la naissance:
J'ai su qu'en secret même il lui faisoit du bien,
Et peut-être cela ne se fait pas pour rien.
D'autre part, il vous veut porter au mariage;
Et, comme il le prétend, c'est un mauvais langage.
Je ne sais s'il sauroit la supposition

Sans le déguisement. Mais la digression

Tout insensiblement pourroit trop loin s'étendre: Revenons au secret que je brûle d'apprendre.

ASCAGNE.

Sachez donc que l'Amour ne sait point s'abuser,
Que mon sexe à ses yeux n'a pu se déguiser,
Et que ses traits subtils, sous l'habit que je porte,
Ont su trouver le cœur d'une fille peu forte:
J'aime enfin.

FROSINE.

Vous aimez !

ASCAGNE.

Frosine, doucement:

N'entrez pas tout-à-fait dedans l'étonnement,
Il n'est pas temps encore; et ce cœur, qui soupire,
A bien pour vous surprendre autre chose à vous dire.

FROSINE.

Et quoi?

ASCAGNE.

J'aime Valere.

FROSINE.

Ah! vous avez raison;

L'objet de votre amour, lui, dont à la maison
Votre imposture enleve un puissant héritage,
Et qui, de votre sexe ayant le moindre ombrage,
Verroit incontinent ce bien lui retourner!
C'est encore un plus grand sujet de s'étonner.

ASCAGNE.

J'ai de quoi, toutefois, surprendre plus votre ame:

Je suis sa femme.

FROSINE.

O dieux! sa femme!

ASCAGNE.

Oui, sa femme.

FROSINE.

Ah! certes, celui-là l'emporte, et vient à bout

De toute ma raison.

ASCAGNE.

Ce n'est pas encor tout.

FROSIN E.

Encore?

ASCAGNE.

Je la suis, dis-je, sans qu'il le pense,

Ni qu'il ait de mon sort la moindre connoissance.

FROSINE:

Ho! poussez; je le quitte, et ne raisonne plus,
Tant mes sens, coup sur coup, se trouvent confondus.
A ces énigmes-là je ne puis rien comprendre.

ASCAGNE.

Je vais vous l'expliquer, si vous voulez m'entendre. Valere, dans les fers de ma sœur arrêté,

Me sembloit un amant digne d'être écouté;

Je ne pouvois souffrir qu'on rebutât sa flamme,
Sans qu'un peu d'intérêt touchât pour lui mon ame;
Je voulois que Lucile aimât son entretien ;

Je blâmois ses rigueurs; et les blåmai si bien,
Que moi-même j'entrai, sans pouvoir m'en défendre,
Dans tous les sentiments qu'elle ne pouvoit prendre.
C'étoit, en lui parlant, moi qu'il persuadoit;
Je me laissois gagner aux soupirs qu'il perdoit;
Et ses vœux, rejetés de l'objet qui l'enflamme,
Etoient comme vainqueurs reçus dedans mon ame.
Ainsi mon cœur, Frosine, un peu trop foible, hélas!
Se rendit à des soins qu'on ne lui rendoit pas,
Par un coup réfléchi reçut une blessure,

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