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Palais royal. Le cardinal de Richelieu l'avait fait bâtir pour la représentation de Mirame, tragédie dans laquelle ce ministre avait composé plus de cinq cents vers. Cette salle est aussi mal construite que la piece pour laquelle elle fut bâtie : et je suis obligé de remarquer, à cette occasion, que nous n'avons aujourd'hui aucun théâtre supportable; c'est une barbarie gothique que les Italiens nous reprochent avec raison. Les bonnes pieces sont en France, et les belles salles en Italie.

La troupe de Moliere eut la jouissance de cette salle jusqu'à la mort de son chef. Elle fut alors accordée à ceux qui eurent le privilege de l'opéra, quoique ce vaisseau fût moins propre encore pour le chant que pour la déclamation.

Depuis l'an 1658 jusqu'en 1673, c'est-à-dire en quinze années de temps, il donna toutes ses pieces, qui sont au nombre de trente. Il voulut jouer dans le tragique : mais il n'y réussit pas; il avait une volubilité dans la voix, et une espece de hoquet qui ne pouvait convenir au genre sérieux, mais qui rendait son jeu comique plus plaisant. La femme d'un des meilleurs comédiens que nous ayons eus a donné ce portrait-ci de Moliere:

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Il n'était ni trop gras ni trop maigre; il avait la taille plus grande que petite, le port noble, la jambe belle; il marchait gravement, avait l'air très sérieux, le nez gros, la bouche grande, les levres épaisses, « le teint brun, les sourcils noirs et forts, et les di« vers mouvements qu'il leur donnait lui rendaient la physionomie extrêmement comique. A l'égard de son caractere, il était doux, complaisant, généreux; il aimait fort à haranguer; et quand il lisait « ses pieces aux comédiens, il voulait qu'ils y ame. "nassent leurs enfants pour tirer des conjectures de leur mouvement naturel. »

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Moliere se fit dans Paris un très grand nombre de

partisans, et presque autant d'ennemis. Il accoutuma le public, en lui faisant connaître la bonne comédie, à le juger lui-même très sévèrement. Les mêmes spectateurs qui applaudissaient aux pieces médiocres des autres auteurs relevaient les moindres défauts de Moliere avec aigreur. Les hommes jugent de nous par l'attente qu'ils en ont conçue; et le moindre défaut d'un auteur célebre, joint avec les malignités du public, suffit pour faire tomber un bon ouvrage. Voilà pourquoi Britannicus et les Plaideurs de M. Racine furent si mal recus; voilà pourquoi l'Avare, le Misanthrope, les Femmes savantes, l'Ecole des Femmes, n'eurent d'abord aucun succès.

Louis XIV, qui avait un goût naturel et l'esprit très juste, sans l'avoir cultivé, ramena souvent par son approbation la cour et la ville aux pieces de Moliere. Il eût été plus honorable pour la nation de n'avoir pas besoin des décisions de son maître pour bien juger. Moliere eut des ennemis cruels, sur-tout les mauvais auteurs du temps, leurs protecteurs et leurs cabales: ils susciterent contre lui les dévots; on lui imputa des livres scandaleux; on l'accusa d'avoir joué des hommes puissants, tandis qu'il n'avait joué que les vices en général; et il eût succombé sous ces accusations, si ce même roi qui encouragea et qui soutint Racine et Despréaux n'eût pas aussi protégé Moliere.

Il n'eut, à la vérité, qu'une pension de mille livres, et sa troupe n'en eut qu'une de sept. La fortune qu'il fit par le succès de ses ouvrages le mit en état de n'avoir rien de plus à souhaiter : ce qu'il retiroit du théâtre, avec ce qu'il avait placé, allait à trente mille livres de rente; somme qui, en ce tempslà, faisait presque le double de la valeur réelle de pareille somme d'aujourd'hui.

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Le crédit qu'il avait auprès du roi paraît assez par le canonicat qu'il obtint pour le fils de son médecin. Ce médecin s'appelait Mauvilain. Tout le monde sait qu'étant un jour au dîner du roi : « Vous avez un médecin, dit le roi à Moliere; que vous fait-il? Sire, répondit Moliere, nous causons ensemble: il m'or« donne des remedes; je ne les fais point; et je guéris. » Il faisait de son bien un usage noble et sage: il recevait chez lui les hommes de la meilleure compagnie, les Chapelle, les Jonsac, les Desbarreaux, etc., qui joignaient la volupté et la philosophie. Il avait une maison de campagne à Luteuil, où il se délassait souvent avec eux des fatigues de sa profession, qui sont bien plus grandes qu'on ne pense. Le maréchal de Vivonne, counu par son esprit et par son amitié pour Despréaux, allait souvent chez Moliere, et vivait avec lui comme Lélius avec Térence. Le grand Condé exigeait de lui qu'il le vînt voir souvent, et disait qu'il trouvait toujours à apprendre dans sa conversation.

Moliere employait une partie de son revenu en libéralités qui allaient beaucoup plus loin que ce qu'on appelle dans d'autres hommes des charités. Il encourageait souvent par des présents considérables de jeunes auteurs qui marquaient du talent: c'est peut-être à Moliere, que la France doit Racine. Il engagea le jeune Racine, qui sortait du Port-Royal, à travailler pour le théâtre dès l'âge de dix-neuf ans. Il lui fit composer la tragédie de Théagene et Chariclée ; et quoique cette piece fût trop faible pour être jouée, il fit présent au jeune auteur de cent louis, et lui donna le plan des Freres ennemis.

Il n'est peut-être pas inutile de dire qu'environ dans le même temps, c'est-à-dire en 16614 Racine ayant fait une ode sur de mariage de Louis XIV, M. Colbert lui envoya cent louis au nom du roi.

1.

Il est très triste, pour l'honneur des lettres, que Moliere et Racine aient été brouillés depuis: de si grands génies, dont l'un avait été le bienfaiteur de l'autre, devaient être toujours amis.

la

Il éleva et il forma un autre homme qui, par supériorité de ses talents, et par les dons singuliers qu'il avait reçus de la nature, mérite d'être connu de la postérité. C'était le comédien Baron, qui a été unique dans la tragédie et dans la comédie. Moliere en prit soin comme de son propre fils.

Un jour Baron vint lui annoncer qu'un comédien de campagne, que la pauvreté empêchait de se présenter, lui demandait quelque léger secours pour aller joindre sa troupe. Moliere, ayant su que c'était un nommé Mondorge, qui avait été son camarade, demanda à Baron combien il croyait qu'il fallait lui donner; celui-ci répondit au hasard, Quatre pistoles. Donnez-lui quatre pistoles pour moi, lui dit Moliere; en voilà vingt qu'il faut que vous lui donniez pour vous. Et il joignit à ce présent celui d'un habit magnifique. Ce sont de petits faits, mais ils peignent le caractere.

Un autre trait mérite plus d'être rapporté. Il venait de donner l'aumône à un pauvre. Un instant après, le pauvre court après lui, et lui dit: Monsieur, vous n'aviez peut-être pas dessein de me donner un louis d'or, je viens vous le rendre. Tiens, mon ami, dit Moliere, en voilà un autre. Et il s'écria: Où la vertu va-t-elle se nicher! Exclamation qui peut faire voir qu'il réfléchissait sur tout ce qui se présentait à lui, et qu'il étudiait par-tout la nature en homme qui la voulait peindre.

Moliere, heureux par ses succès et par ses protecteurs, par ses amis et par sa fortune, ne le fut pas dans sa maison. Il avait épousé en 1661 une jeune fille née de la Béjart et d'un gentilhomme nommé Modene. On disait que Moliere en était le pere: le soin

avec lequel on avait répandu cette calomnie fit que plusieurs personnes prirent celui de la réfuter; on prouva que Moliere n'avait connu la mere qu'après la naissance de cette fille.

La disproportion d'âge, et les dangers auxquels une comédienne jeune et belle est exposée, rendirent ce mariage malheureux; et Moliere, tout philosophe qu'il était d'ailleurs, essuya dans son domestique les dégoûts, les amertumes, et quelquefois les ridicules qu'il avait si souvent joués sur le théâtre. Tant il est vrai que les hommes qui sont au-dessus des autres par les talents s'en rapprochent presque toujours par les faiblesses! Car pourquoi les talents nous mettraient-ils au-dessus de l'humanité ?

La derniere piece qu'il composa fut le Malade imaginaire. Il y avait quelque temps que sa poitrine était attaquée, et qu'il crachait quelquefois du sang. Le jour de la troisieme représentation il se sentit plus incommodé qu'auparavant: on lui conseilla de ne point jouer; mais il voulut faire un effort sur lui-même; et cet effort lui coûta la vie.

Il lui prit une convulsion en prononçant juro dans le divertissement de la réception du malade imaginaire. On le rapporta mourant chez lui, rue de Ri chelieu. Il fut assisté quelques moments par deux de ces sœurs religieuses qui viennent quêter à Paris pendant le carême, et qui logeaient chez lui. Il mourut entre leurs bras, étouffé par le sang qui lui sortait par la bouche, le 17 février 1673, âgé de cinquante-trois ans. Il ne laissa qu'une fille, qui avait beaucoup d'esprit. Sa veuve épousa un comédien nommé Guérin.

Le malheur qu'il avait eu de ne pouvoir mourir avec les secours de la religion, et la prévention contre la comédie, déterminerent M. de Harlay de Chanvalon, archevêque de Paris, si connu par ses intrigues galantes, à refuser la sépulture à Moliere. Le roi le regrettait; et ce monarque, dont il avait été le do

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