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Le sort absolument a conclu ma ruine.

Cette affaire venue au point où la voilà
N'est pas absolument pour en demeurer là;
Il faut qu'elle passe outre: et Lucile et Valere,
Surpris des nouveautés d'un semblable mystere,
Voudront chercher un jour dans ces obscurités,
Par qui tous mes projets se verront avortés.

Car enfin, soit qu'Albert ait part au stratagême,
Ou qu'avec tout le monde on l'ait trompé lui-même,
S'il arrive une fois que mon sort éclairci

Mette ailleurs tout le bien dont le sien a grossi,
Jugez s'il aura lieu de souffrir ma présence:
Son intérêt détruit me laisse à ma naissance;
C'est fait de sa tendresse. Et quelque sentiment
Où pour ma fourbe alors pût être mon amant,
Voudra-t-il avouer pour épouse une fille
Qu'il verra sans appui de bien et de famille ?

FROSINE.

Je trouve que c'est là raisonner comme il faut:
Mais ces réflexions devoient venir plutôt.
Qui vous a jusqu'ici caché cette lumiere?
Il ne falloit pas être une grande sorciere

Pour voir, dès le moment de vos desseins pour lui,

Tout ce que votre esprit ne voit que d'anjourd'hui: L'action le disoit; et dès que je l'ai sue,

Je n'en ai prévu guere une meilleure issue.

ASCAGNE.

Que dois-je faire enfin ? mon trouble est sans pareil: Mettez-vous en ma place, et me donnez conseil.

FROSINE.

Ce doit être à vous-même, en prenant votre place
A me donner conseil dessus cette disgrace;
Car je suis maintenant vous, et vous êtes moi:
Conseillez-moi, Frosine. Au point où je me voi,
Quel remede trouver? Dites, je vous en prie.

ASCAGNE.

Hélas! ne traitez point ceci de raillerie;

C'est prendre peu de part à mes cuisants ennuis
Que de rire et de voir les termes où j'en suis.

FROSIN E.

Ascagne, tout de bon, votre ennui m'est sensible, Et pour vous en tirer je ferois mon possible.

Mais que puis-je, après tout? Je vois fort peu de jour. A tourner cette affaire au gré de votre amour.

ASCAGNE.

Si rien ne peut m'aider, il faut donc que je meure.

FROSINE.

Ah! pour cela toujours il est assez bonne heure ;
La mort est un remede à trouver quand on veut,
Et l'on s'en doit servir le plus tard que l'on peut.

ASCAGN E.

Non, non, Frosine, non; si vos conseils propices
Ne conduisent mon sort parmi ces précipices,
Je m'abandonne toute aux traits du désespoir.

FROSIN E.

Savez-vous ma pensée ? Il faut que j'aile voir
La... Mais Eraste vient, qui pourroit nous distraire.
Nous pourrons, en marchant, parler de cette affaire.
Allons, retirons-nous.

SCENE II.

ÉRASTE, GROS-RENÉ.

ERASTE.

Encore rebuté?

GROS-REN É.

Jamais ambassadeur ne fut moins écouté.
A peine ai-je voulu lui porter la nouvelle
Du moment d'entretien que vous souhaitiez d'elle,
Qu'elle m'a répondu, tenant son quant à moi,
Va, va, je fais état de lui comme de toi,

Dis-lui qu'il se promene; et, sur ce beau langage,
Pour suivre son chemin, m'a tourné le visage.
Et Marinette aussi, d'un dédaigneux museau
Làchant un, Laisse-nous, beau valet de carreau,
M'a planté là comme elle. Et mon sort et le vôtre
N'ont rien à se pouvoir reprocher l'un à l'autre.
É RASTE.

L'ingrate! recevoir avec tant de fierté

Le prompt retour d'un cœur justement emporté !
Quoi! le premier transport d'un amour qu'on abuse
Sous tant de vraisemblance est indigne d'excuse?
Et ma plus vive ardeur en ce moment fatal
Devoit être insensible au bonheur d'un rival?
Tout autre n'eût pas fait même chose à ma place,
Et se fût moins laissé surprendre à tant d'audace?
Le mes justes soupçons suis-je sorti trop tard?
Je n'ai point attendu de serments de sa part;
Et lorsque tout le monde encor ne sait qu'en croire,
Ce cœur impatient lui rend toute sa gloire,
Il cherche à s'excuser: et le sien voit si peu
Dans ce profond respect la grandeur de mon feu!
Loin d'assurer une ame, et lui fournir des armes
Contre ce qu'un rival lui veut donner d'alarmes,

L'ingrate m'abandonne à mon jaloux transport,
Et rejette de moi message, écrit, abord!
Ah! sans doute, un amour a peu de violence,
Qu'est capable d'éteindre une si foible offense;
Et ce dépit si prompt à s'armer de rigueur
Découvre assez pour moi tout le fond de son cœur.
Et de quel prix doit être à présent à mon ame
Tout ce dont son caprice a pu flatter ma flamme ?
Non, je ne prétends plus demeurer engagé
Pour un cœur où je vois le peu de part que j'ai;
Et puisque l'on témoigne une froideur extrême
A conserver les gens, je veux faire de même.

GROS-REN É.

Et moi de même aussi. Soyons tous deux fâchés;
Et mettons notre amour au rang des vieux péchés.
Il faut apprendre à vivre à ce sexe volage,
Et lui faire sentir l'on
que a du courage.
Qui souffre ses mépris les veut bien recevoir.
Si nous avions l'esprit de nous faire valoir,
Les femmes n'auroient pas la parole si haute.
Oh! qu'elles nous sont bien fieres par notre faute!
Je veux être pendu, si nous ne les verrions
Sauter à notre cou plus que nous ne voudrions,
Sans tous ces vils devoirs dont la plupart des hommes
Les gâtent tous les jours dans le siecle où nous sommes.
ÉRASTE.

Pour moi, sur toute chose, un mépris me surprend;
Et, pour punir le sien par un autre aussi grand,
Je veux mettre en mon cœur une nouvelle flamme.
GROS RENÉ.

Et moi, je ne veux plus m'embarrasser de femme;
A toutes je renonce, et crois, en bonne foi,
Que vous feriez fort bien de faire comme moi.
Car, voyez-vous, la femme est, comme on dit, mon
maître,

Un certain animal difficile à connoître,

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Et de qui la nature est fort encline au mal:
Et comme un animal est toujours animal,
Et ne sera jamais qu'animal, quand sa vie
Dureroit cent mille ans; aussi, sans repartie,
La femme est toujours femme, et jamais ne sera
Que femme, tant qu'entier le monde durera:
D'où vient qu'un certain Grec dit que sa tête passe
Pour un sable mouvant. Car goûtez bien, de grace,
Ce raisonnement-ci, lequel est des plus forts:
Ainsi que la tête est comme le chef du corps,
Et que le corps sans chef est pire qu'une bête;
Si le chef n'est pas bien d'accord avec la tête,
Que tout ne soit pas bien réglé par ses compas,
Nous voyons arriver de certains embarras;
La partie brutale alors veut prendre empire
Dessus la sensitive; et l'on voit que l'un tire
A dia, l'autre à hurhaut; l'un demande du mou,
L'autre du dur; enfin tout va sans savoir où:
Pour montrer qu'ici bas, ainsi qu'on l'interprete,
La tête d'une femme est comme une girouette

Au haut d'une maison, qui tourne au premier veut :
C'est pourquoi le cousin Aristote souvent

La compare à la mer; d'où vient qu'on dit qu'au monde
On ne peut rien trouver de si stable que l'onde.
Or, par comparaison, car la comparaison
Nous fait distinctement comprendre une raison;
Et nous aimons bien mieux, nous autres gens d'étude,
Une comparaison qu'une similitude:

Par comparaison donc, mon maître, s'il vous plaît,
Comme on voit que la mer, quand l'orage s'accroît,
Vient à se courroucer, le vent souffle et ravage,
Les flots contre les flots font un remu-ménage
Horrible; et le vaisseau, malgré le nautonnier,
Va tantôt à la cave et tantôt au grenier:
Ainsi, quand une femme a sa tête fantasque,
On voit une tempête en forme de bourrasque,

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