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LA GRANGE,

DU CROISY,

amants rebutés.

GORGIBUS, bon bourgeois.

MADELON, fille de Gorgibus, précieuse ridicule.
CATHOS, niece de Gorgibus, précieuse ridicule.
MAROTTE, servante des précieuses ridicules.
ALMANZOR, laquais des précieuses ridicules.
Le marquis DE MASCARILLE, valet de La Grange.
Le vicomte DE JODELET, valet de Du Croisy.
LUCILE, Voisine de Gorgibus.

CÉLIMENE, Voisine de Gorgibus.
DEUX PORTEURS DE CHAISE,
VIOLONS.

La scene est à Paris, dans la maison
de Gorgibus.

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Que dites-vous de notre visite? En êtes-vous fort satisfait ?

LA GRANGE.

A votre avis, avons-nous sujet de l'être tous deux?

DU CROISY.

Pas tout-à-fait, à dire vrai.,

LA GRANGE.

Pour moi, je vous avoue que j'en suis tout scandalisé. A-t-on jamais vu, dites-moi, deux pecques provinciales faire plus les renchéries que celles-là, et deux hommes traités avec plus de mépris que nous? A peine ont-elles pu se résoudre à nous faire donner des sieges. Je n'ai jamais vu tant parler à l'oreille qu'elles ont fait entre elles, tant bâiller, tant

se frotter les yeux, et demander tant de fois, Quelle heure est-il? Ont-elles répondu que oui et non à tout ce que nous avons pu leur dire? Et ne m'avouerez-vous pas enfin que, quand nous aurions été les dernieres personnes du monde, on ne pouvoit nous faire pis qu'elles ont fait ?

DU CROISY.

Il me semble que vous prenez la chose fort à cœur.

LA GRANGE.

Sans doute, je l'y prends, et de telle façon que je me veux venger de cette impertinence. Je connois ce qui nous a fait mépriser. L'air précieux n'a pas seulement infecté Paris; il s'est aussi répandu dans les provinces, et nos donzelles ridicules en ont humé leur bonne part. En un mot, c'est un ambigu de précieuse et de coquette que leur personne. Je vois ce qu'il faut être pour en être bien reçu; et si vous m'en croyez, nous leur jouerons tous deux une piece qui leur fera voir leur sottise, et pourra leur apprendre à connoître un peu mieux leur monde.

DU CROISY.

Et comment encore?

LA GRANGE.

J'ai un certain valet, nommé Mascarille, qui passe, au sentiment de beaucoup de gens, pour une maniere de bel esprit ; car il n'y a rien à meilleur marché que le bel esprit maintenant. C'est un extravagant qui s'est mis dans la tête de vouloir faire l'homme de condition. Il se pique ordinairement de galanterie et de vers, et dédaigne les autres valets, jusqu'à les appeler brutaux.

DU CROISY.

Hé bien ! qu'en prétendez-vous faire ?

LA GRANGE.

Ce que j'en prétends faire? Il faut.... Mais sortons d'ici auparavant.

LES PRÉCIEUSES RIDICULES.

GORGIBUS, DU CROISY, LA GRANGE.

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GORGIBUS.

Hé bien! vous avez vu ma niece et ma fille? Les affaires iront-elles bien? Quel est le résultat de cette visite?

LA GRANGE.

C'est une chose que vous pourrez mieux apprendre d'elles que de nous. Tout ce que nous pouvons vous dire, c'est que nous vous rendons grace de la faveur que vous nous avez faite, et demeurons vos très humbles serviteurs.

DU CRO 18Y.

Vos très humbles serviteurs.

GORGIBUS, seul.

Ouais! il semble qu'ils sortent mal satisfaits d'ici. D'où pourroit venir leur mécontentement? Il faut savoir un peu ce que c'est. Holà.

SCENE II I.

GORGIBUS, MAROTTE.

MAROTTE.

Que desirez-vous, monsieur?

GORGIBUS.

Où sont vos maîtresses?

MAROTTE,

Dans leur cabinet.

GORGIBUS.

Que font-elles?

MAROTTE.

De la pommade pour les levres.

GORGIBUS.

C'est trop pommadé: dites-leur qu'elles descendent.

SCENE IV.

GORGIBUS, seul.

Ces pendardes-là, avec leur pommade, ont, je pense, envie de me ruiner. Je ne vois par-tout que blancs d'œufs, lait virginal, et mille autres brimborions que je ne connois point. Elles ont usé, depuis que nous sommes ici, le lard d'une douzaine de cochons, pour le moins ; et quatre valets vivroient tous les jours des pieds de moutons qu'elles emploient.

SCENE V.

MADELON, CATHOS, GORGIBUS.

GORGIBUS.

Il est bien nécessaire, vraiment, de faire tant de dépense pour vous graisser le museau! Dites-moi un peu ce que vous avez fait à ces messieurs, que je les vois sortir avec tant de froideur. Vous avois-je pas commandé de les recevoir comme des personnes que je voulois vous donner pour maris?

MADELON.

Et quelle estime, mon pere, voulez-vous que nous fassions du procédé irrégulier de ces gens-là?

CATHO S.

Le moyen, mon oncle, qu'une fille un peu raisonnable se pût accommoder de leur personne?

GORGIBUS.

Et qu'y trouvez-vous à redire ?

MADELON.

La belle galanterie que la leur! Quoi! débuter d'abord par le mariage!

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