Images de page
PDF
ePub

MASCARILLE.

Il a, certes, grand tort:

Je lui sais mauvais gré d'une telle incartade.

ANSELME.

N'avoir pas seulement le temps d'être malade!

MASCARILLE.

Non, jamais homme n'eut si hâte de mourir.

Et Lélie?

ANSELME.

MASCARILLE.

Il se bat, et ne peut rien souffrir;
Il s'est fait en maint lieu contusion et bosse,
Et veut accompagner son papa dans la fosse:
Enfin, pour achever, l'excès de son transport
M'a fait en grande hâte ensevelir le mort,
De peur que cet objet, qui le rend hypocondre,
A faire un vilain coup ne me l'allàt semondre.

ANSELME.

N'importe, tu devois attendre jusqu'au soir;
Outre qu'encore un coup j'aurois voulu le voir,
Qui tot ensevelit bien souvent assassine;
Et tel est cru défunt qui n'en a que la mine.

MASCARILLE.

Je vous le garantis trépassé comme il faut.
Au reste, pour venir au discours de tantôt,
Lélie, et l'action lui sera salutaire,

D'un bel enterrement veut régaler son pere,
Et consoler un peu ce défunt de son sort
Par le plaisir de voir faire honneur à sa mort.
Il hérite beaucoup: mais comme en ses affaires
Il se trouve assez neuf et ne voit encor gueres,
Que son bien la plupart n'est point en ces quartiers,
Ou que ce qu'il y tient consiste en des papiers,
Il voudroit vous prier, ensuite de l'instance
D'excuser de tantôt son trop de violence,
De lui prêter au moins pour ce dernier devoir...

ANSELME.

Tu me l'as déja dit; et je m'en vais le voir,
MASCARILLE, seul.

Jusques ici du moins, tout va le mieux du monde.
Tâchons à ce progrès que le reste réponde;
Et, de peur de trouver dans le port nn écueil,
Conduisons le vaisseau de la main et de l'œil.

SCENE IV.

ANSELME, LÉLIE, MASCARILLE.

ANSELME.

Sortons; je ne saurois qu'avec douleur très forte
Le voir empaqueté de cette étrange sorte.
Las! en si peu de temps ! Il vivoit ce matin!

MASCARILLE.

En peu de temps par fois on fait bien du chemin. LELIE, pleurant.

Ah!

ANSELME.

Mais quoi, cher Lélie! enfin il étoit homme. On n'a point pour la mort de dispense de Rome.

Ah!

LÉLIE.

ANSELME.

Sans leur dire gare, elle abat les humains, Et contre eux de tout temps a de mauvais desseins.

Ah!

LÉLIE.

ANSEL ME.

Ce fier animal, pour toutes les prieres,

Ne perdroit pas un coup de ses dents meurtrieres. Tout le monde y passe.

LÉLIE.
Ah!

MASCARILLE.

Vous avez beau prêcher,

Ce deuil enraciné ne se peut arracher.

ANSELME.

Si malgré ces raisons votre ennui persévere,
Mon cher Lélie, au moins faites qu'il se modere.

Ab!

LÉLIE.

MASCARILLE.

Il n'en fera rien, je connois son humeur.

ANSELME.

Au reste, sur l'avis de votre serviteur,
J'apporte ici l'argent qui vous est nécessaire
Pour faire célébrer les obseques d'un pere.

Ah! ah!

LÉLIE.

MASCARILLE.

Comme à ce mot s'augmente sa douleur! Il ne peut, sans mourir, songer à ce malheur.

ANSELME.

Je sais que vous verrez aux papiers du bon homme
Que je suis débiteur d'une plus grande somme:
Mais, quand par ces raisons je ne vous devrois rien,
Vous pourriez librement disposer de mon bien.
Tenez; je suis tout vôtre, et le ferai paroître.

Ah!

LÉLIE, S'en allant.

MASCARILLE.

Le grand déplaisir que sent monsieur mon maître!

ANSELME.

Mascarille, je crois qu'il seroit à propos

Qu'il me fît de sa main un reçu de deux mots.

Ah!

MASCARILLE.

ANSELME.

Des évènements l'incertitude est grande.

Ah!

MASCARILLE

ANSELME.

Faisons-lui signer le mot que je demande.

MASCARILLE.

Las! en l'état qu'il est, comment vous contenter?
Donnez-lui le loisir de se désattrister;

Et quand ses déplaisirs auront quelque allégeance,
J'aurai soin d'en tirer d'abord votre assurance.
Adieu. Je sens mon cœur qui se gonfle d'ennui,
Et m'en vais tout mon soûl pleurer avecque lui.
Hi!

ANSELME, seul.

Le monde est rempli de beaucoup de traverses; Chaque homme tous les jours en ressent de diverses ; Et jamais ici bas...

SCENE V.

PANDOLFE, ANSELME.

ANSELME.

Ah bons dieux! je frémi!

Pandolfe qui revient! Fût-il bien endormi!
Comme depuis sa mort sa face est amaigrie!
Las! ne m'approchez pas de plus près, je vous prie!
J'ai trop de répugnance à coudoyer un mort.

PANDOLFE.

D'où peut donc provenir ce bizarre transport?

ANSELME.

Dites-moi de bien loin quel sujet vous amene.
Si pour me dire adieu vous prenez tant de peine,
C'est trop de courtoisie, et véritablement
Je me serois passé de votre compliment.
Si votre ame est en peine et cherche des prieres,
Las! je vous en promets, et ne m'effrayez gueres!

Foi d'homme épouvanté, je vais faire à l'instant
Prier tant Dieu pour vous que vous serez content.
Disparoissez donc, je vous prie;

Et que le ciel, par sa bonté,
Comble de joie et de santé
Votre défunte seigneurie!

PANDOLFE, riant.

Malgré tout mon dépit, il m'y faut prendre part.

ANSEL ME.

Las! pour un trépassé vous êtes bien gaillard!

PANDOLFE.

Est-ce jeu, dites-nous, ou bien si c'est folie
Qui traite de défunt unè personne en vie?

ANSELME.

Hélas! vous êtes mort, et je viens de vous voir...

PANDOLFE.

Quoi! j'aurois trépassé sans m'en appercevoir ?

ANSELME.

Sitôt que Mascarille en a dit la nouvelle,
J'en ai senti dans l'ame une douleur mortelle.

PANDOLFE.

Mais enfin dormez-vous? Etes-vous éveillé ?
Me connoissez-vous pas ?

ANSELME.

Vous êtes habillé

D'un corps aérien qui contrefait le vôtre,

Mais qui dans un moment peut devenir tout autre.
Je crains fort de vous voir comme un géant grandir,
Et tout votre visage affreusement laidir.

Pour Dieu, ne prenez point de vilaine figure;
J'ai prou de ma frayeur en cette conjoncture.

PANDOLFE.

En une autre saison, cette naïveté

Dont vous accompagnez votre crédulité,
Anselme, me seroit un charmant badinage,
Et j'en prolongerois le plaisir davantage :

« PrécédentContinuer »