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gogne. Le jeune homme sentit bientôt une aversion invincible pour sa profession. Son goût pour l'étude se développa; il pressa son grand-pere d'obtenir qu'on le mît au college, et il arracha enfin le consentement de son pere, qui le mit dans une pension, et Kenvoya externe aux jésuites, avec la répugnance d'un bourgeois qui croyait la fortune de son fils perdue s'il étudiait.

Le jeune Poquelin fit au college les progrès qu'on devait attendre de son empressement à y entrer. Il y étudia cinq années; il y suivit le cours des classes d'Armand de Bourbon, premier prince de Conti, qui depuis fut le protecteur des lettres et de Moliere.

Il y avait alors dans ce college deux enfants qui eurent depuis beaucoup de réputation dans le monde. C'étaient Chapelle et Bernier : celui-ci, connu par ses voyages aux Indes; et l'autre, célebre par quelques vers naturels et aisés, qui lui ont fait d'autant plus de réputation, qu'il ne rechercha pas celle d'auteur.

L'Huillier, homme de fortune, prenoit un soin singulier de l'éducation du jeune Chapelle, son fils naturel; et, pour lui donner de l'émulation, il faisait étudier avec lui le jeune Bernier, dont les parents étaient mal à leur aise. Au lieu même de donner à son fils naturel un précepteur ordinaire et pris au hasard, comme tant de peres en usent avec un fils légitime qui doit porter leur nom, il engagea le célebre Gassendi à se charger de l'instruire.

Gassendi ayant démêlé de bonne heure le génie de Poquelin, l'associa aux études de Chapelle et de Bernier. Jamais plus illustre maître n'eut de plus dignes disciples. Il leur enseigna sa philosophie d'Epicure, qui, quoiqu'aussi fausse que les autres, avait au moins plus de méthode et plus de vraisemblance que celle de l'école, et n'en avait pas la barbarie.

Poquelin continua de s'instruire sous Gassendi. Au

sortir du college il reçut de ce philosophe les principes d'une morale plus utile que sa physique, et il s'écarta rarement de ces principes dans le cours de sa vie.

Son pere étant devenu infirme et incapable de servir, il fut obligé d'exercer les fonctions de son emploi auprès du roi. Il suivit Louis XIII dans Paris. Sa passion pour la comédie, qui l'avait déterminé à faire ses études, se réveilla avec force.

Le théâtre commençait à fleurir alors: cette partie des belles lettres, si méprisée quand elle est médiocre, contribue à la gloire d'un état quand elle est perfectionnée.

Avant l'année 1625 il n'y avait point de comédiens fixes à Paris. Quelques farceurs allaient, comme en Italie, de ville en ville; ils jouaient les pieces de Hardy, de Montchrétien, ou de Baltazar Baro. Ces auteurs leur vendaient leurs ouvrages dix écus piece.

Pierre Corneille tira le théâtre de la barbarie et de l'avilissement vers l'année 1630. Ses premieres comédies, qui étaient aussi bonnes pour son siecle qu'elles sont mauvaises pour le nôtre, furent cause qu'une troupe de comédiens s'établit à Paris. Bientôt après, la passion du cardinal de Richelieu pour les specta cles mit le goût de la comédie à la mode; et il y avait plus de sociétés particulieres qui représentaient alors, que nous n'en voyons aujourd'hui.

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Poquelin s'associa avec quelques jeunes gens qui avaient du talent pour la déclamation; ils jouaient au faubourg Saint-Germain et au quartier SaintPaul. Cette société éclipsa bientôt toutes les autres; on l'appela l'illustre théâtre. On voit par une tragédie de ce temps-là, intitulée Artaxerce, d'un nommé Magnon, et imprimée en 1645, qu'elle fut représentée sur l'illustre théâtre.

Ce fut alors que Poquelin, sentant son génie, se résolut de s'y livrer tout entier, d'être à-la-fois comé

dien et auteur, et de tirer de ses talents de l'utilité et de la gloire.

On sait que, chez les Athéniens, les auteurs jouaient souvent dans leurs pieces, et qu'ils n'étaient point déshonorés pour parler avec grace en public devant leurs concitoyens. Il fut plus encouragé par cette idée, que retenu par les préjugés de son siecle. Il prit le nom de Moliere; et il ne fit, en changeant de nom, que suivre l'exemple des comédiens d'Italie et de ceux de l'hôtel de Bourgogne. L'un, dont le nom de famille était le Grand, s'appelait Belleville dans la tragédie, et Turlupin dans la farce; d'où vient le mot turlupinade. Hugues Guéret était connu dans les pieces sérieuses sous le nom de Fléchelles; dans la farce il jouait toujours un certain rôle qu'on appelait Gautier - Garguille. De même Arlequin et Scaramouche n'étaient connus que sous ce nom de théâtre. Il y avait déja eu un comédien appelé Moliere, auteur de la tragédie de Polixene.

Le nouveau Moliere fut ignoré pendant tout le temps que durerent les guerres civiles en France: il employa ces années à cultiver son talent et à préparer quelques pieces. Il avait fait un recueil de scenes italiennes, dont il faisait de petites comédies pour les provinces. Ces premiers essais très informes tenaient plus du mauvais théâtre italien où il les avait pris, que de son génie, qui n'avait pas eu encore l'occasion de se développer tout entier. Le génie s'étend et se resserre par tout ce qui nous environne. Il fit done pour la province le Docteur amoureux, les trois Docteurs rivaux, le Maître d'école, ouvrages dont il ne reste que le titre. Quelques curieux ont conservé deux pieces de Moliere dans ce genre; l'une est le Médecin volant, et l'autre la Jalousie de Barbouillé. Elles sont en prose et écrites en entier. Il y a quelques phrases et quelques incidents de la

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premiere qui nous sont conservés dans le Médecin malgré lui; et on trouve dans la Jalousie de Barbouillé un canevas, quoiqu'informe, du troisieme acte de George-Dandin.

La premiere piece réguliere en cinq actes qu'il composa fut l'Etourdi. Il représenta cette comédie à Lyon en 1653. Il y avait dans cette ville une troupe de comédiens de campagne, qui fut abandonnée dès que celle de Moliere parut.

Quelques acteurs de cette ancienne troupe se joignirent à Moliere; et il partit de Lyon pour les états de Languedoc avec une troupe assez complete, composée principalement de deux freres nommés GrosRené, de Duparc, d'un pâtissier de la rue Saint-Honoré, de la Duparc, de la Béjart et de la de Brie.

Le prince de Conti, qui tencit les états de Langue. doc à Béziers, se souvint de Moliere, qu'il avait vu au college; il lui donna une protection distinguée. Il joua devant lui l'Etourdi, le Dépit amoureux,et les Précieuses ridicules.

Cette petite piece des Précieuses, faite en province, prouve assez que son auteur n'avait eu en vue que les ridicules des provinciales: mais il se trouva depuis que l'ouvrage pouvait corriger et la cour et la ville.

· Moliere avait alors trente-quatre ans; c'est l'âge où Corneille fit le Cid. Il est bien difficile de réussir avant cet âge dans le genre dramatique, qui exige la connaissance du monde et du cœur humain.

On prétend que le prince de Conti voulut alors faire Moliere son secrétaire, et qu'heureusement pour la gloire du théâtre français Moliere eut le courage de préférer son talent à un poste honorable. Si ce fait est vrai, il fait également honneur au prince et au comédien.

Après avoir couru quelque temps toutes les pro

vinces, et avoir joué à Grenoble, à Lyon, à Rouen, il vint enfin à Paris en 1658. Le prince de Conti lui donna accès auprès de Monsieur, frere unique du roi Louis XIV. Monsieur le présenta au roi et à la reine mere. Sa troupe et lui représenterent la même année devant leurs majestés la tragédie de Nicomede sur un théâtre élevé par ordre du roi dans la salle des gardes du vieux Louvre.

Il y avait depuis quelque temps des comédiens. établis à l'hôtel de Bourgogne. Ces comédiens assisterent au début de la nouvelle troupe. Moliere, après la représentation de Nicomede, s'avança sur le bord du théâtre, et prit la liberté de faire au roi un discours, par lequel il remerciait sa majesté de son indulgence, et louait adroitement les comédiens de l'hôtel de Bourgogne, dont il devait craindre la jalousie : il finit en demandant la permission de donner une piece d'un acte qu'il avait jouée en province.

La mode de représenter ces petites farces après de grandes pieces était perdue à l'hôtel de Bourgogne. Le roi agréa l'offre de Moliere, et l'on joua dans l'instant le Docteur amoureux. Depuis ce temps l'usage a toujours continué de donner de ces pieces d'un acte, ou de trois, après les pieces de cinq.

On permit à la troupe de Moliere de s'établir à Paris. Ils s'y fixerent, et partagerent le théâtre du petit Bourbon avec les comédiens italiens qui en étaient en possession depuis quelques années.

La troupe de Moliere jouait sur le théâtre les mardis, les jeudis et les samedis, et les Italiens les autres jours.

La troupe de l'hôtel de Bourgogne ne jouait aussi que trois fois la semaine, excepté lorsqu'il y avait des pieces nouvelles.

Dès-lors la troupe de Moliere prit le titre de la troupe de Monsieur, qui était son protecteur. Deux ans après, en 1660, il leur accorda la salle du

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