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préface ce qu'on verra dans la critique, en cas que je me résolve à la faire paroître. S'il faut que cela soit, je le dis encore, ce sera seulement pour venger le public du chagrin délicat de certaines gens ; car pour moi je m'en tiens assez vengé par la réussite de ma comédie; et je souhaite que toutes celles que je pourrai faire soient traitées par eux comme celle-ci, pourvu que le reste soit de même.

ACTEUR S.

ARNOLPHE OU LA SOUCHE.
AGNÈS, fille d'Enrique.

HORACE, amant d'Agnès, fils d'Oronte.
CHRYSALDE, ami d'Arnolphe.

ENRIQUE, beau-frere de Chrysalde et pere d'Agnès.
ORONTE, pere d'Horace et ami d'Arnolphe.
ALAIN, paysan, valet d'Arnolphe.

GEORGETTE, paysanne, servante d'Arnolphe.
UN NOTAIRE.

La scene est à Paris, dans une place d'un fauxbourg.

DES FEMMES.

Vou

ACTE PREMIER.

SCENE I.

CHRYSALDE, ARNOLPHE.

CHRYSALDE.

ous venez, dites-vous, pour lui donner la main ?

ARNOLPHE.

Oui. Je veux terminer la chose dans demain.

CHRYSALDE.

Nous sommes ici seuls ; et l'on peut, ce me semble, Sans craindre d'être ouïs, y discourir ensemble. Voulez-vous qu'en ami je vous ouvre mon cœur? Votre dessein pour vous me fait trembler de peur; Et, de quelque façon que vous tourniez l'affaire, Prendre femme est à vous un coup bien téméraire.

ARNOLPHE.

Il est vrai, notre ami, peut-être que, chez vous,
Vous trouvez des sujets de craindre pour chez nous;
Et votre front, je crois, veut que du mariage
Les cornes soient par-tout l'infaillible apanage.

CHRYSALDE.

Ce sont coups du hasard, dont on n'est point garant; Et bien sot, ce me semble, est le soin qu'on en prend.

Mais quand je crains pour vous, c'est cette raillerie

Dont cent pauvres maris ont souffert la furie :

Car enfin vous savez qu'il n'est grands ni petits
Que de votre critique on ait vus garantis;

Que vos plus grands plaisirs sont, par-tout où vous êtes,

De faire cent éclats des intrigues secretes...

ARNOLPHE.

Fort bien. Est-il au monde une autre ville aussi
Où l'on ait des maris si patients qu'ici?

Est-ce qu'on n'en voit pas de toutes les especes,
Qui sont accommodés chez eux de toutes pieces ?
L'un amasse du bien, dont sa femme fait part
A ceux qui prennent soin de le faire cornard:
L'autre un peu plus heureux, mais non pas moins
infàme,

Voit faire tous les jours des présents à sa femme,
Et d'aucun soin jaloux n'a l'esprit combattu,
Parcequ'elle lui dit que c'est pour sa vertu.
L'un fait beaucoup de bruit qui ne lui sert de gueres:
L'autre en toute douceur laisse aller les affaires,
Et, voyant arriver chez lui le damoiseau,
Prend fort honnêtement ses gants et son manteau.
L'une de son galant, en adroite femelle,
Fait fausse confidence à son époux fidele,
Qui dort en sûreté sur un pareil appas,

Et le plaint, ce galant, des soins qu'il ne perd pas :
L'autre, pour se purger de sa magnificence,
Dit qu'elle gagne au jeu l'argent qu'elle dépense;
Et le mari benêt, sans songer à quel jeu,

Sur les gains qu'elle fait rend des graces à Dieu.
Enfin ce sont par-tout des sujets de satire;
Et, comme spectateur, ne puis-je pas en rire?
Puis-je pas de nos sots... ?

CHRYSALDE.

Oui: mais qui rit d'autrui Doit craindre qu'en revanche on rie aussi de lui.

J'entends parler le monde; et des gens se délassent
A venir débiter les choses qui se passent:

Mais, quoi que l'on divulgue aux endroits où je suis,
Jamais on ne m'a vu triompher de ces bruits.
J'y suis assez modeste: et bien qu'aux occurrences
Je puisse condamner certaines tolérances,
Que mon dessein ne soit de souffrir nullement,
Ce que quelques maris souffrent paisiblement,
Pourtant je n'ai jamais affecté de le dire;
Car enfin il faut craindre un revers de satire,
Et l'on ne doit jamais jurer sur de tels cas
De ce qu'on pourra faire, ou bien ne faire pas.
Ainsi, quand à mon front, par un sort qui tout mene,
Il seroit arrivé quelque disgrace humaine,
Après mon procédé, je suis presque certain
Qu'on se contentera de s'en rire sous main:
Et peut-être qu'encor j'aurai cet avantage

Que quelques bonnes gens diront que c'est dommage.
Mais de vous, cher compere, il en est autrement;
Je vous le dis. encor, vous risquez diablement.
Comme sur les maris accusés de souffrance
De tout temps votre langue a daubé d'importance,
Qu'on vous a vu contre eux un diable déchaîné,
Vous devez marcher droit pour n'être point berné;
Et, s'il faut que sur vous on ait la moindre prise,
Gare qu'aux carrefours on ne vous tympanise,
Et...

ARNOLPHE.

Mon dieu! notre ami, ne vous tourmentez point.
Bien rusé qui pourra m'attraper sur ce point.
Je sais les tours rusés et les subtiles trames

Dont pour nous en planter savent user les femmes;'
Et, comme on est dupé par leurs dextérités,
Contre cet accident j'ai pris mes sûretés;
Et celle que j'épouse a toute l'innocence
Qui peut sauver mon front de maligne influence.

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