Hé! que prétendez-vous ? qu'une sotte en un mot...?
Epouser une sotte est pour n'être point sot. Je crois, en bon chrétien, votre moitié fort sage: Mais une femme habile est un mauvais présage; Et je sais ce qu'il coûte à de certaines gens Pour avoir pris les leurs avec trop de talents. Moi, j'irois me charger d'une spirituelle Qui ne parleroit rien que cercle et que ruelle, Qui de prose et de vers feroit de doux écrits, Et que visiteroient marquis et beaux esprits, Tandis que, sous le nom du mari de madame, Je serois comme un saint que pas un ne réclame? Non, non, je ne veux point d'un esprit qui soit haut; Et femme qui compose en sait plus qu'il ne faut. Je prétends que la mienne, en clartés peu sublime, Même ne sache pas ce que c'est qu'une rime; Et s'il faut qu'avec elle on joue au corbillon, E qu'on vienne à lui dire à son tour, Qu'y met-on? Je veux qu'elle réponde, Une tarte à la crême ; En un mot, qu'elle soit d'une ignorance extrême: Et c'est assez pour elle, à vous en bien parler, De savoir prier Dieu, m'aimer, coudre, et filer.
Une femme stupide est donc votre marotte?
Tant, que j'aimerois mieux une laide bien sotte, Qu'une femme fort belle avec beaucoup d'esprit.
Mais comment voulez-vous, après tout, qu'une bête Puisse jamais savoir ce que c'est qu'être honnête?
Outre qu'il est assez ennuyeux, que je croi, D'avoir toute sa vie une bête avec soi,
Pensez-vous le bien prendre, et que sur votre idée La sûreté d'un front puisse être bien fondée? Une femme d'esprit peut trahir son devoir, Mais il faut pour le moins qu'elle ose le vouloir; Et la stupide au sien peut manquer d'ordinaire Sans en avoir l'envie et sans penser le faire.
A ce bel argument, à ce discours profond, Ce que Pantagruel à Panurge répond: Pressez-moi de me joindre à femme autre que sotte, Prêchez, patrocinez jusqu'à la pentecote; Vous serez ébahi, quand vous serez au bout, Que vous ne m'aurez rien persuadé du tout.
En femme, comme en tout, je veux suivre ma mode: Je me vois riche assez pour pouvoir, que je croi, Choisir une moitié qui tienne tout de moi, Et de qui la soumise et pleine dépendance N'ait à me reprocher aucun bien ni naissance. Un air doux et posé, parmi d'autres enfants, M'inspira de l'amour pour elle dès quatre ans : Sa mere se trouvant de pauvreté pressée, De la lui demander il me vint en pensée; Et la bonne paysanne, apprenant mon desir, A s'oter cette charge eut beaucoup de plaisir. Dans un petit couvent, loin de toute pratique, Je la fis élever selon ma politique,
C'est-à-dire, ordonnant quels soins on emploieroit Pour la rendre idiote autant qu'il se pourroit. Dieu merci, le succès a suivi mon attente; Et grande, je l'ai vue à tel point innocente,
Adieu. Je frappe ici pour donner le bon jour, Et dire seulement que je suis de retour.
CHRYSALDE, à part, en s'en allant. Ma foi, je le tiens fou de toutes les manieres. ARNOLPHE, seul.
Il est un peu blessé de certaines matieres. Chose étrange de voir comme avec passion Un chacun est chaussé de son opinion! (Il frappe à sa porte.)
ARNOLPHE; ALAIN ET GEORGETTE dans la maison.
Ouvrez. On aura, que je pense,
Grande joie à me voir après dix jours d'absence.
GEORGETTE.
Ma foi, je n'irai pas.
ARNOLPHE.
Belle cérémonie
Pour me laisser dehors! Holà ho! je vous prie.
J'empêche, peur du chat, que mon moineau ne sorte.
Quiconque de vous deux n'ouvrira pas la porte N'aura point à manger de plus de quatre jours.
Par quelle raison y venir, quand j'y cours?
Il faut que j'aie ici l'ame bien patiente!
ALAIN, en entrant.
Au moins, c'est noi, monsieur.
Que tous deux on se taise.
Songez à me répondre, et laissons la fadaise. Hé bien! Alain, comment se porte-t-on ici?
(Arnolphe ôte le chapeau de dessus la téte d'Alain.)
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