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ACTEUR S.

SGANARELLE, frere d'Ariste.
ARISTE, frere de Sganarelle.
ISABELLE sœur de Léonor.
LÉONOR, Sœur d'Isabelle.
VALERE, amant d'Isabelle.
LISETTE, Suivante de Léonor.
ERGASTE, valet de Valere.
UN COMMISSAIRE.
UN NOTAIRE.

DEUX LAQUAIS.

La scene est à Paris, dans une place publique:

DES MARIS.

ACTE PREMIER.

SCENE I.

SGANARELLE, ARISTE.

SGANARELLE.

MON frere, s'il vous plait, ne disconrons point tant;

Et que

chacun de nous vive comme il l'entend.
Bien que sur moi des ans vous ayez l'avantage,
Et soyez assez vieux pour devoir être sage,
Je vous dirai pourtant que mes intentions
Sont de ne prendre point de vos corrections,
Que j'ai pour tout conseil ma fantaisie à suivre,
Et me trouve fort bien de ma façon de vivre.

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Je voudrois bien savoir, puisqu'il faut tout entendre, Ce que ces beaux censeurs en moi peuvent reprendre.

ARISTE.

Cette farouche humeur dont la sévérité

Fuit toutes les douceurs de la société,

A tous vos procédés inspire un air bizarre,
Et, jusques à l'habit, rend tout chez vous barbare.

SGANARELLE.

Il est vrai qu'à la mode il faut m'assujettir,
Et ce n'est pas pour moi que je me dois vêtir.
Ne voudriez-vous point par vos belles sornettes,
Monsieur mon frere aîné, car, Dieu merci, vous l'êtes
D'une vingtaine d'ans, à ne vous rien celer,
Et cela ne vaut pas la peine d'en parler;

Ne voudriez vous point, dis-je, sur ces matieres,
De vos jeunes muguets m'inspirer les manieres ;
M'obliger à porter de ces petits chapeaux
Qui laissent éventer leurs débiles cerveaux,
Et de ces blonds cheveux de qui la vaste enflure
Des visages humains offusque la figure;

De ces petits pourpoints sous les bras se perdants,
Et de ces grands collets jusqu'au nombril pendants;
De ces manches qu'à table on voit tâter les sauces,
Et de ces cotillons appelés hauts-do chausses;
De ces souliers mignons de rubans revêtus,
Qui vous font ressembler à des pigeons pattus;
Et de ces grands canons où, comme en des entraves,
On met tous les matins ses deux jambes esclaves,
Et par qui nous voyons ces messieurs les galants
Marcher écarquillés ainsi que des volants?
Je vous plairois sans doute équipé de la sorte,
Et je vous vois porter les sottises qu'on porte.

ARISTE.

Toujours au plus grand nombre on doit s'accommoder,
Et jamais il ne faut se faire regarder,

L'un et l'autre excès choque ; et tout homme bien sage
Doit faire des habits ainsi que du langage,
N'y rien trop affecter, et, sans empressement,
Suivre ce que l'usage y fait de changement.
Mon sentiment n'est pas qu'on prenne la méthode

De ceux qu'on voit toujours enchérir sur la mode,
Et qui, dans ces excès dont ils sont amoureux,
Seroient fâchés qu'un autre eût été plus loin qu'eux :
Mais je tiens qu'il est mal, sur quoi que l'on se fonde,
De fuir obstinément ce que suit tout le monde,
Et qu'il vaut mieux souffrir d'être au nombre des fous
Que du sage parti se voir seul contre tous.

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SGANARELLE.

Cela sent son vieillard qui, pour en faire accroire, Cache ses cheveux blancs d'une perruque noire.

ARISTE.

C'est un étrange fait du soin que vous prenez
A me venir toujours jeter mon âge au nez,
Et qu'il faille qu'en moi sans cesse je vous voie
Blamer l'ajustement aussi bien que la joie :
Comme si, condamnée à ne plus rien chérir,
La vieillesse devoit ne songer qu'à mourir,
Et d'assez de laideur n'est pas accompagnée
Sans se tenir encor mål-propre et rechignée.
SGANARELLE.

Quoi qu'il en soit, je suis attaché fortement
A ne démordre point de mon habillement.
Je veux une coeffure, en dépit de la mode,
Sous qui toute ma tête ait un abri commode;
Un bon pourpoint bien long, et fermé comme il faut.
Qui, pour bien digérer, tienne l'estomac chaud;
Un haut-de-chausse fait justement pour ma cuisse;
Des souliers où mes pieds ne soient point au supplice,
Ainsi qu'en ont usé sagement nos aïeux:

Et qui me trouve mal n'a qu'à fermer les yeux.

SCENE II.

LÉONOR, ISABELLE, LISETTE; ARISTE ET SGANARELLE, parlant bas ensemble sur le devant du théâtre, sans étre apperçus.

LEONOR, à Isabelle.

Je me charge de tout, en cas que l'on vous gronde. LISETTE, à Isabelle.

Toujours dans une chambre à ne point voir le monde!

Il est ainsi bâti.

ISABELLE.

LÉONOR.

Je vous en plains, ma sœur.
LISETTE, à Léonor.

Bien vous prend que son frere ait tout une autre hu

meur,

Madame; et le destin vous fut bien favorable

I

En vous faisant tomber aux mains du raisonnable.

ISABELBE.

C'est un miracle encor qu'il ne m'ait anjourd'hui
Enfermée à la clef, ou menée avec lui.

LISETTE.

Ma foi, je l'enverrois au diable avec sa fraise,
Et...

SGANARELLE, heurté par Lisette.
Où donc allez-vous, qu'il ne vous en déplaise?

LÉONOR.

Nous ne savons encore, et je pressois ma sœur
De venir du beau temps respirer la douceur:
Mais...

SGANARELLE, à Léonor.

Pour vous, vous pouvez aller où bon vous semble; (montrant Lisette.)

Vous n'avez qu'à courir, vous voilà deux ensemble.

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