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ses péchés, ainsi que de l'irrégularité dans laquelle il craignait d'être tombé pour avoir reçu le diaconat et la prétrise, sans garder les interstices que les canons prescrivent; il s'offrit en même temps à faire telle pénitence qu'on voudrait lui imposer. Le Pape lui accorda plein pouvoir de prêcher l'évangile partout où il le jugerait à propos.

On était alors au milieu de l'hiver; cela n'empêcha pas Norbert de commencer ses travaux apostoliques. On le voyait marcher nu-pieds dans la neige, et souffrir avec joie toutes les rigueurs du froid, tant était grand le désir qu'il avait de procurer la gloire de Dieu. Il observait un carême perpétuel, et ne mangeait que le soir tous les jours, excepté le Dimanche. Il fit des missions dans le Languedoc, la Guienne, le Poitou, l'Orléanais, et elles produisirent par-tout des fruits merveilleux. Jusqu'à son arrivée à Orléans, il n'avait eu d'autres compagnons que deux laïques. Un sous-diacre de cette ville se joignait à lui pour partager ses travaux. La mort lui enleva ses trois disciples à Valenciennes, en Hainaut, dans l'année 1119.

Etant dans cette ville, Burchard (1), évêque de Cambrai, qui autrefois l'avait connu à la cour de l'Empereur, vint lui faire une visite, et fut singulièrement édifié de son amour pour la pénitence, de son zèle et de son humilité. Hugues, chapelain du prélat, renonçant à toutes les espérances qu'il pouvait avoir dans le monde, résolut d'accompagner Norbert dans ses missions; il lui succéda depuis dans le gouvernement de son ordre. Le Saint, aidé

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(1) Ce digne et zélé prélat bâtit et affermit beaucoup de couvens comme il appert des Mirai diplomat. Belg., t. I, p. 677, 681, 683, et t. II et III passim. Il mourut en 1131, le 3 Janvier; selon d'autres en 1133. Il paraît qu'il était devenu évêque de Cambrai par les instances de Norbert, qui avait refusé ce siége. Voyez Acta SS. Bolland. vit. S. Norberti, c. 12.

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de ce compagnon, prêcha la pénitence dans le Hainaut, le Brabant et le pays de Liége. On courait en foule dans tous les lieux où il devait annoncer la parole de Dieu. Ses sermons, soutenus de l'exemple de sa vie, opérèrent un grand nombre de conversions. Les personnes divisées se réconcilièrent; les usuriers restituèrent le bien mal acquis, les pécheurs de toute espèce s'empressèrent de sortir de leurs désordres.

Le Pape Calixte II ayant succédé, en 1119, à Gélase II, tint un concile à Rheims peu de temps après son exaltation. Norbert l'alla trouver dans cette ville. Les prélats de l'assemblée admirèrent l'éloquence, la sagesse et la piété du serviteur de Dieu; mais ils furent si étonnés de la rigueur de sa pénitence, que plusieurs d'entre eux lui conseillèrent de se ménager davantage. Norbert ne crut pas devoir déférer aux avis qu'on lui donnait à cet égard; il ne diminua rien de ses austérités ordinaires. Il fut présenté au Pape par Barthélemi, évêque de Laon; et il obtint la confirmation de tous les pouvoirs et de tous les priviléges qu'il avait reçus de Pélage II.

Barthélemi, connaissant le mérite de Norbert, demanda au Pape la permission de le retenir dans son diocèse, pour qu'il mit la réforme parmi les chanoines réguliers de Saint-Martin de Laon. Calixte lui accorda sa demande ; e; mais les chanoines ne voulurent point se soumettre à ce qu'on exigeait d'eux. L'évêque, pour donner de l'exercice au zèle du saint missionnaire, le pria de choisir dans son diocèse, un lieu où il pût bâtir un monastère. Norbert choisit une vallée déserte, nommée Prémontré, et située dans la forêt de Coucy. Il y trouva une petite chapelle dédiée à saint Jean, mais en si mauvais état, qu'elle n'offrait presque plus qu'un amas de ruines. Elle avait été abandonnée par les moinés de Saint-Vincent de Laon, auxquels elle appartenait. Barthélemi acheta le lieu dont

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nous parlons, et y fonda un monastère. Le Saint y treize de ses disciples venus du Brabant, et qui désiraient servir Dieu sous sa conduite. Il en vint d'autres, et la communauté fut bientôt composée de quarante personnes. Ils firent tous profession le jour de Noël de l'année 1121. Le nouvel ordre n'était qu'une réforme de chanoines réguliers. Ils menaient une vie fort austère, conformément à la règle de saint Augustin, et portaient un habit blanc, qui marquait qu'ils étaient destinés à faire sur la terre la fonction des anges, à chanter les louanges du Seigneur.

Entre les différentes fondations que fit le Saint, on doit principalement distinguer celle de Saint-Michel, d'Anvers. Cette ville ravagée par les Normands, puis restaurée et agrandie, et alors du diocèse de Cambrai, ne consistait qu'en une paroisse où régnaient les plus grands désordres, par la négligence de l'indigne pasteur dans les mains duquel elle était tombée. Un hérétique nommé Tankelin, et qui ne manquait pas d'esprit, profita de cette malheureuse circonstance pour dogmatiser à Anvers. Il avança publiquement qu'on devait rejeter l'institution du sacerdoce, et que l'Eucharistie et les autres sacremens n'étaient d'aucune utilité pour le salut. Il défendait aussi de payer la dime aux ministres de l'autel. Lorsque ses partisans augmentèrent, il quitta ses lieux de refuge et vint prêcher en public. Devenant plus puissant de jour en jour, il se montra revêtu d'habits magnifiques, et s'entoura d'une garde qui veillait sur lui, l'épée à la main, quand il prêchait. Nous n'osons rapporter ici ses blasphêmes et ses honteuses obscénités. Il se fit des partisans qui s'accrurent jusqu'au nombre de trois mille, et par lesquels il était regardé comme un prophète. Ses erreurs se répandirent de proche en proche; les diocèses de Cambrai et d'Utrecht, ainsi que les pays voisins, en furent infectés. Il gagnait le peuple par des repas magnifiques, et en lui permet

tant la plupart des abominations reprochées aux anciens gnostiques (1); mais il ne tarda pas à subir la peine que méritaient ses crimes. Il fut assassiné, en 1115, durant les troubles qu'il avait lui-même excités (2). Sa mort cependant ne rétablit point la tranquillité publique; ses sectateurs devinrent plus furieux que jamais, et tout le pays était plongé dans la désolation.

Dans ces conjonctures, les chanoines de l'église de SaintMichel, fondée (comme on assure) vers l'année 1095 par Godefroi de Bouillon, eurent recours à Burchard, évêque de Cambrai, et implorèrent de lui conseil et assistance. L'évêque jugea, que le nouvel ordre de Prémontré, dans lequel on voyait déjà briller l'esprit de Dieu, serait propre à tirer les Anversois de leurs erreurs. Il leur conseilla de s'adresser à Norbert, pour voir renaître dans leur ville la religion et les mœurs. Hidolphe, prévôt du chapitre, alla trouver à

(1) Cette hérésie, qui se divisait en plusieurs branches et renfermait une foule d'erreurs, s'est signalée principalement par l'immoralité de ses adeptes. Voici comme s'exprime à ce sujet S. Epiphane : Pudet me bona fide quæ apud illos turpissime perpetrantur, exponere, quemadmodum ait apostolus, quæ apud ipsos fiunt turpe est dicere. Voyez Epiphanii opera, t. I, p. 82, edit. Dion. Petavii; ainsi que Pluquet, Dictionn. des hérésies, et Bergier, Dict. de théol., au mot gnostiques.

(2) Tanchelin ou Tankelin, né dans le diocèse d'Utrecht, était un homme très-immoral. Diercxens, dans son ouvrage Antverpia Christo nascens et crescens, t. I, p. 91, dit: Versabatur, ut plurimum in diocesi Ultrajectina, et in eá cœpit venenum suum spargere; unde conjicere possumus, cum inde fuisse oriundum. Diœcesis Ultrajectina, hoc tempore (1106) protendebatur in Zelandiam et magnam Flandriæ partem. Erat laïcus miræ subtilitatis et multis desertis clericis in sermone auctior; unde et seductio ejus facilius successum habuit. Sed erat luxuriosus, superbus et seditiosus. Le même auteur rapporte avec exactitude, depuis la page 91 jusqu'à 106, toutes les actions de Tankelin. Une pièce remarquable, c'est la lettre du clergé d'Utrecht à Frédéric, archevêque de Cologne, qui avait arrêté Tankelin avec deux de ses partisans, en 1112: cette lettre contient le résumé de toutes ses erreurs.

cet effet saint Norbert, qui se rendit aussitôt à leur prière. Norbert vint à Anvers en 1122. Secondé par ses disciples et quelques chanoines il commença à travailler dans la vigne du Seigneur. Ses paroles étaient plus douces que le miel, dit son biographe. Il annonçait la parole de Dieu, comme faisait saint Pierre en s'adressant aux juifs de Jérusalem. «Mes frères, disait-il, c'est par ignorance que » vous avez suivi le mensonge croyant suivre la vérité : » si quelqu'un vous eût offert cette dernière, vous l'au>> riez embrassée avec plus d'amour, dans l'intérêt de » votre salut, que vous n'avez été avides d'accepter les » erreurs qui vous mènent à votre perte. » Cette mission produisit les plus heureux fruits. En peu de temps les hérétiques furent convertis, et les abus furent réformés. La ville recouvra son premier lustre et sa première tranquillité. Le saint missionnaire ranima la dévotion des peuples pour l'auguste Sacrement de l'autel, et rétablit la fréquente communion, que l'hérésie avait interrompue. Il eut la joie, avant son départ, de voir partout fleurir la piété. C'est donc Norbert qui rétablit à Anvers, soit par lui-même, soit par ses religieux, la religion dont Amand y avait apporté le germe, qu'Eloi et Willibrord avaient propagée et que Tankelin avait voulu détruire (1).

Le prévôt Hidolphe et le chapitre voulant témoigner leur reconnaissance à Norbert, ils lui cédèrent leur église de Saint-Michel, en le priant d'y laisser de ses disciples pour les aider et pour propager son nouvel ordre. En 1124

(1) On lisait autrefois, près de l'abbaye de Saint-Michel, et sous l'image du Saint, l'inscription suivante :

Quod Amandus inchoarat,
Quod Eligius plantarat,
Willebrordus irrigarat,

Tanchelinus devastarat,

Norbertus restituit.

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