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>> profanes. Notre sanctification faisait notre grande affai»re; notre unique but était d'être appelés et d'être effec>>tivement chrétiens; c'était en cela que nous faisions >> consister toute notre gloire.

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Saint Basile se rendit fort habile dans la connaissance des différentes parties de la littérature. Il savait que cette connaissance contribue beaucoup à étendre les facultés de l'esprit, et qu'elle est absolument nécessaire à quiconque veut exceller en quelque science, sur-tout dans l'art oratoire, qui était en grande estime chez les Grecs et les Romains. Ayant dessein, ainsi que son ami, de se mettre en état de servir utilement l'Église, ils s'appliquèrent l'un et l'autre à se perfectionner dans la véritable éloquence.

Le mépris que les Pères marquent quelquefois pour l'art oratoire, ne tombe que sur ces ornemens recherchés et superflus qui ne font que chatouiller l'oreille, qui dans un prédicateur ne servent qu'à déprimer la sublimité de nos mystères, et dont l'effet ordinaire est de nous détourner de la fin pour laquelle ces mystères ont été révélés. Une vaine pompe de paroles ne peut s'accorder avec cette noble simplicité qui convient à la dignité des vérités saintes, qui se fait si vivement sentir dans les écrivains sacrés, et qui rend leur éloquence infiniment supérieure à celle que l'on remarque dans les ouvrages les plus finis de l'antiquité païenne : mais cette simplicité n'exclut ni la noblesse des pensées, ni la beauté du style, ni les charmes de la diction, dont chaque sujet peut être susceptible. Saint Grégoire de Nazianze et les autres Pères ont prouvé, par leurs exemples, que quoique les vérités divines ne doivent pas être prêchées avec les discours persuasifs de la sagesse humaine (1), les ministres de la parole peuvent cependant tirer de grands secours de l'élo

(1) 1 Cor. II, 4; 2. Cor. XI, 6.

quence. On peut même avancer que ces prédicateurs qui ne suivent aucune méthode dans leurs sermons, qui emploient des termes bas et rampans, dégradent la fonction sublime qu'ils exercent; qu'ils déshonorent le Dieu dont ils sont les ambassadeurs ; qu'ils avilissent la parole sainte que l'Église les a chargés d'annoncer, qu'ils rendront compte du discrédit où elle tombe quelquefois par leur faute, ainsi que de cette négligence qui fait que les fidèles n'ont que du mépris et du dégoût pour le trésor inestimable dont ils étaient les dispensateurs. Il faut donc que ceux qui sont appelés à la conduite des ames emploient tous leurs efforts pour se rendre capables de prêcher l'Évangile avec ce ton de dignité qui convient à l'importance de cette fonction, la première, la plus indispensable de toutes celles qui sont imposées à un pasteur, et de l'exercice de laquelle dépend le salut de la plupart des ames qui leur sont confiées. Ce fut dans cette vue que saint Basile et saint Grégoire de Nazianze s'appliquèrent si fortement à l'étude de l'éloquence, et qu'à l'exemple d'un Thucydide et d'un Démosthène, ils se donnèrent des peines incroyables pour former leur style sur les meilleurs modèles (1).

(1) Les deux Saints ne réussirent si parfaitement dans l'étude de l'éloquence, , que parce qu'ils suivirent la sage méthode prescrite par les plus habiles maîtres. Ils se garantirent d'abord de cette fureur de vouloir lire un grand nombre de livres, persuadés que ces sortes de lectures accablent l'esprit, au lieu de le former et de l'enrichir ; que tout l'effet qu'elles produisent est de mettre de la confusion dans les idées, et qu'il résulte ordinairement de leur multiplicité un cahos qu'on ne peut plus débrouiller. Ils tenaient pour la maxime rendue par le proverbe, je suis en garde contre celui qui s'attache à un seul livre. Ils se formaient un plan d'étude raisonné, avant de multiplier leurs lectures. A cette précaution, ils en joignaient une seconde; c'était de choisir les meilleurs auteurs, et les lire et relire avec la plus grande attention, de les méditer profondément, afin de digérer, pour ainsi dire, ce qu'ils avaient lu, et de le faire passer dans la substance de leur

Saint Basile excellait aussi dans la philosophie, dans la poésie et dans les autres parties de la littérature. Pour peu qu'on lise attentivement ses écrits, et sur-tout son livre de la Création ou de l'ouvrage des six jours, qu'il a in

esprit. Souvent encore ils revenaient sur les plus beaux endroits, qu'ils comparaient les uns avec les autres; ensuite ils essayaient de les imiter, et ils ne cessaient leurs efforts que quand ils avaient au moins fort approché de la perfection de leurs modèles, tant pour le style que pour les pensées.

Voici la règle qu'ils suivaient à l'égard de leurs propres compositions. Ils les retouchaient souvent, afin de corriger ce qu'il y avait de défectueux dans leurs premières pensées; ils prenaient du temps pour polir leur style; en un mot, ils donnaient à chaque partie du discours tout le degré de force et de beauté dont ils étaient capables, pour faire un ensemble auquel il ne manquât aucun genre de perfection. On peut assurer aussi que les deux Saints se communiquaient leurs productions respectives, et qu'ils les soumettaient à la critique de leurs amis. Ils savaient pourtant qu'il est un point où il faut quitter la lime. Ainsi ils ne ressemblaient pas à ces hommes qui, à force d'être difficiles à se contenter eux-mêmes, gâtent ce qui était bien fait. Ils ressemblaient encore moins à ceux qui sont tellement prévenus en faveur de ce qui sort de leurs plumes, qu'ils ne sauraient sacrifier une pensée puérile, une antithèse recherchée, un mot superflu, une répétition vicieuse, sans penser que ce sont là autant de défauts qui déparent leurs ouvrages. C'est pour ne les avoir point évités, ces défauts, que les beautés réelles qui sont dans Sénèque se trouvent comme éclipsées. La dernière des qualités qu'on exige dans un orateur, est une action naturelle, aisée, pleine d'ame et d'expression; elle s'acquiert par l'exercice, et par une attention suivie sur soi-même quand on déclame. Cette qualité, Basile et Grégoire la possédaient dans un degré éminent. Ils avaient en parlant ce geste élégant et délicat qui faisait le caractère distinctif de Cicéron; ils avaient en même temps le feu et la véhémence de Démosthène, qui, considéré sous ce rapport, a surpassé, soit dans la composition, soit dans le débit, les plus célèbres orateurs d'Athènes et de Rome.

C'est une erreur de croire que la fréquentation du théâtre soit utile à un homme destiné à parler en public; le geste et l'accent qu'on y puiserait ne siéent point à un orateur, il ne formera jamais aucun de ces avocats et de ces prédicateurs qui enlèvent l'admiration publique.

titulé Hexaëmeron, on reconnaîtra qu'il avait sur l'histoire naturelle des idées plus justes et des connaissances plus étendues qu'Aristote, malgré les secours que procuraient à celui-ci les trésors d'Alexandre. Il possédait si supérieu

Ainsi nos deux Saints ne perdirent rien en ne fréquentant point le théâtre; ils y gagnèrent encore d'un autre côté, puisqu'ils s'en abstinrent par un principe de religion.

Un génie vaste et fécond, des études dirigées par une excellente méthode, et conséquemment faites avec le plus grand succès, rendirent Basile et Grégoire les plus accomplis de tous les orateurs qui eussent jamais paru; peut-être même effacèrent-ils les deux princes de l'éloquence de l'antiquité païenne. Ils eurent cependant plus de traits de ressemblance avec Démosthène qu'avec Cicéron. Le dernier, pour s'accommoder au génie des Romains, n'abandonne qu'à regret une idée intéressante ; il la fait envisager sous ses différens points de vue; il entasse images sur images pour l'inculquer plus fortement; il tâche en même temps d'éviter les redites par une agréable variété de tours et d'expressions. Démosthène suivit, et eut raison de suivre une route tout opposée. Les Athéniens étant naturellement pensifs, il fallait les attacher par des traits vifs et saillans , par une brièveté énergique, par des raisonnemens serrés, et leur laisser le plaisir de deviner quelquefois l'orateur; chaque terme devait renfermer un grand sens fournir matière à de nouvelles réflexions.

et

Nous observerons, en passant, que les Français, et sur-tout les Espagnols et les Italiens, tiennent du caractère des anciens Romains, et qu'ils vont même plus loin qu'eux dans le point dont il s'agit. C'est pour cela que les Fléchier et les Algarotti se replient si souvent sur certaines pensées, qu'ils les présentent sous diverses faces, comme s'ils craignaient de n'être pas suffisamment entendus. On ne doit cependant pas donner trop d'étendue à la généralité de cette observation. On compte parmi nos modernes des orateurs qui ont atteint la perfection de l'éloquence, et nous mettons à la tête de tous le grand évêque de Meaux. L'Allemagne est encore bien en arrière sous ce rapport, et il n'est guère probable qu'on y voit jamais monter en chaire un Bourdaloue ou un Massillon. Il y a sans doute une énorme distance entre les périodes du fade Lohenstein et du burlesque Abraham à sancta Clara et celles d'un Wurz, d'un Gretsch et d'un Jean-Jean; mais qu'il est pâle le célèbre maître d'éloquence allemande; qu'il est affecté, l'énergique prédicateur de Vienne, et qu'il est diffus, le premier prédicateur de

rement la dialectique, et l'art d'enchaîner les conséquences aux principes, qu'on ne pouvait résister à la force de ses raisonnemens; ils étaient si liés et si pressans, selon saint Grégoire de Nazianze, qu'on aurait eu plus de peine à s'en

la cathédrale de Strasbourg; combien ils sont encore éloignés tous du Démosthène et du Cicéron français ! Cette différence prend-elle sa source dans la langue, ou dans toute autre cause? c'est une question dont nous abandonnerons la décision à d'autres.

Mais revenons au parallèle de Démosthène et de Cicéron. Le premier, prenant Thucidide pour modèle, et voulant s'accommoder au caractère des Athéniens, est partout serré, profond, et plein de traits qui ont la promptitude et la vivacité de l'éclair. L'Enthymême était son argument favori; il lui fournissait des armes invincibles pour confondre et pour terrasser ses adversaires. Sa véhémence, son style aisé et naturel font que l'on perd entièrement l'orateur de vue, pour ne s'occuper que de ce qu'il dit. L'art se montre cependant quelquefois, et ses discours paraissent trop travaillés; de là vint qu'on lui objecta que ses harangues sentaient l'huile de sa lampe. Cicéron n'est pas moins admirable en son genre; il possède supérieurement l'art de varier son style suivant les matières qu'il traite. Il est sublime lorsqu'il décrit les qualités qui constituent un orateur parfait ; il est clair, simple et naturel dans ses ouvrages philosophiques; partout il intéresse par la vivacité et les charmes de son pinceau. M. De Fénélon cependant observe dans ses dialogues sur l'éloquence, que son style est quelquefois trop étudié; qu'il prodigue les ornemens et les grâces, et qu'il décèle en plusieurs endroits une envie excessive de plaire à ses auditeurs. Saint Grégoire de Nazianze se montre plus judicieux que Cicéron dans le choix et l'emploi des ornemens; il y avait recours , parce qu'il savait que le plus sûr moyen de persuader est de plaire. Ceux qui aiment les grâces et les fleurs du discours, regardent ce Père comme le plus éloquent de tous les orateurs; mais ceux qui, s'attachant aux choveulent bannir du discours tout ce qui a l'air d'être trop recherché et trop compassé, donnent la palme à saint Basile.

ses

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En effet, ce dernier évite tout ce qui pourrait sentir l'affectation; ses expressions sont simples, mais énergiques; elles ont cette beauté inimitable qui est empreinte sur tous les ouvrages de la nature. Il est sobre dans l'usage des figures, qui, étant prodiguées, déparent le discours au lieu de l'embellir. En même temps que son style est clair et correct, il est plein de douceur et d'élégance. Il revêt ses pensées de

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