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en renonçant au titre de chrétien, qui vous avait fait mettre au nombre des malfaiteurs, vous vous êtes avoués coupables des crimes qu'on vous imputait. Votre conduite sert de preuve contre vous. La vue de ce traitement ne fut pas inutile à plusieurs; elle les affermit dans leur foi, et les rendit vainqueurs de tous les assauts qui auraient pu ébranler leur constance.

Après cela on imagina de nouveaux supplices pour tourmenter les chrétiens; ce qui les mit en état d'offrir au Père éternel comme une couronne de fleurs de différentes nuances mais il était temps que ces généreux athlètes, qui avaient remporté des victoires si signalées dans un si grand nombre de combats, reçussent enfin la palme que méritait leur courage.

On marqua le jour où le cruel spectacle de leur mort devait servir de divertissement au peuple. Lorsqu'il fut arrivé, on amèna Maturus, Sanctus, Blandine et Attale, pour les exposer aux bêtes. Les deux premiers étant entrés dans l'amphithéâtre, on recommença sur eux toutes les cruautés qu'ils avaient déjà souffertes. Il semblait qu'on n'eût point encore essayé leurs forces; mais ils se montrèrent comme des athlètes qui, ayant déjà plusieurs fois terrassé l'ennemi, entreprennent un dernier combat qui doit être le chef-d'œuvre de leur courage et de leur adresse. Après une horrible flagellation, ils furent livrés à la fureur des bêtes, qui les traînèrent autour de l'amphithéâtre. Ils endurèrent encore d'autres genres de supplices au gré du peuple, qui demandait qu'on les tourmentât tantôt d'une manière, tantôt d'une autre. A la fin les païens proposèrent d'une voix unanime de les mettre sur la chaise de fer toute rouge de feu. L'odeur insupportable qu'exhalait leur chair brûlée, loin de modérer la rage du peuple, ne faisait que l'exciter de plus en plus. On ne put tirer de la bouche de Sanctus autre chose que sa première

confession. Ayant encore lutté long-temps avec Maturus, ils furent égorgés l'un et l'autre. Ainsi finit le divertissement de ce jour.

Blandine fut attachée à un poteau, pour être dévorée par les bêtes. Comme elle avait les bras étendus dans l'ardeur de sa prière, cette attitude, en rappelant aux fidèles l'image du Sauveur crucifié, leur inspira un nouveau courage, et leur était un gage assuré que quiconque souffre pour Jésus-Christ, aura part à la gloire du Dieu vivant. La Sainte resta ainsi quelque temps exposée aux bêtes, sans qu'aucune voulût jamais la toucher; après quoi on la délia. Elle fut ramenée en prison, et réservée pour un autre combat: c'était là qu'elle devait remporter une victoire complète sur l'ennemi qu'elle avait déjà vaincu plusieurs fois, et animer les frères à marcher sur ses traces. Ainsi une esclave pauvre et faible, en se revêtant de Jésus-Christ, déconcerta toute la malice de l'enfer, et, par une constance inébranlable, mérita de s'élever à une gloire immortelle.

Attale fut amené ensuite; et comme c'était un homme de marque, le peuple demanda à grands cris de le voir souffrir. Il jouissait parmi nous d'une grande considération pour la sainteté de sa vie, et pour son zèle à défendre la foi. Il entra d'un air magnanime dans le champ de bataille. Il fut promené autour de l'amphithéâtre, avec cette inscription que l'on portait devant lui: C'est ici Attale le chrétien. L'assemblée était prête à lui faire sentir tout le poids de sa rage; mais le gouverneur apprenant qu'il était citoyen romain, le renvoya en prison. Il écrivit en même temps à l'Empereur pour lui demander ses ordres, tant à l'égard d'Attale que des autres prisonniers.

Pendant ce délai, les fidèles donnèrent des marques éclatantes de charité et d'humilité. Malgré tout ce qu'ils avaient souffert pour la foi, ils ne voulaient point qu'on

les appelât martyrs, et ils reprenaient sévèrement ceux d'entre nous qui, par écrit ou en parlant, leur donnaient ce titre. Il n'appartient, disaient-ils, qu'à Jésus-Christ, le fidèle, le véritable martyr, le premier né des morts, notre guide à la vie éternelle. On pourrait tout au plus l'étendre à ceux qui sont affranchis des liens du corps. Ceux-ci, ajoutaient-ils, peuvent être appelés martyrs, parce que Jésus-Christ a scellé leurs souffrances par une mort glorieuse : mais pour nous, nous méritons à peine le nom de confesseurs. Ils suppliaient ensuite les frères, avec larmes, d'offrir sans cesse des prières à Dieu pour leur obtenir la grâce de la persévérance: mais quoiqu'ils ne permissent point qu'on les regardât comme martyrs, on voyait par toutes leurs actions qu'ils en avaient l'esprit. On ne pouvait sur-tout se lasser d'admirer leur patience, leur douceur, cette intrépidité avec laquelle ils parlaient aux païens, ce courage qui annonçait hautement qu'ils étaient supérieurs à tout sentiment de crainte, et qu'ils étaient prêts à souffrir tous les genres de tortures. En même temps ils s'humiliaient sous la main toute-puissante de Dieu, qui depuis les a élevés à un tel degré de gloire; ils n'accusaient personne, et excusaient tout le monde; enfin, semblables au premier martyr de l'Église, ils priaient pour leurs persécuteurs.

Une tendre charité les faisait sur-tout travailler à la conversion de ces ames infortunées dont le démon se croyait déjà le maître. Loin d'insulter à la faiblesse de ceux qui étaient tombés, ou de prendre de là occasion de s'estimer davantage, ils suppléaient de leur abondance aux besoins spirituels de leurs frères, et s'empressaient de faire rejaillir sur eux cette richesse de grâces dont Dieu les avait favorisés. Ils avaient pour eux une tendresse de mère, et sollicitaient leur retour par les larmes qu'ils répandaient sans cesse devant le Père céleste. Après avoir

obtenu la vie de la grâce qu'ils avaient demandée pour eux-mêmes, ils voulaient la partager avec les autres. Leurs efforts eurent tant de succès, leur conversation et leur conduite tant de pouvoir, que l'Eglise eut la consolation de retrouver plusieurs de ses enfans qu'elle avait perdus, et de les voir prêts à confesser généreusement le nom sacré qu'ils venaient de renier, et dans la disposition d'aller se présenter eux-mêmes devant le juge.

ne

Il y avait parmi les martyrs un nommé Alcibiade. Depuis long-temps il pratiquait de grandes austérités, vivant que de pain et d'eau. Il paraissait résolu de continuer le même genre de vie dans la prison; mais Attale, après son premier combat dans l'amphithéâtre, apprit par révélation qu'Alcibiade était aux autres une occasion de scandale, et que quelques-uns le soupçonnait de favoriser la nouvelle secte des montanistes, qui affectaient des pénitences extraordinaires (1). On n'eut pas plus tôt averti Alcibiade, qu'il rentra dans la voie ordinaire. Il mangeą de tout ce qu'on lui présentait, en rendant grâces à

observe que

(1) Eusèbe, C. 3, parlant de cette action d'Alcibiade, les saints martyrs de Lyon n'ignoraient pas les austérités superstitieuses de Montan et de ses sectateurs, non plus que les prophéties prétendues de ces hérétiques. A la faveur des dons miraculeux que Dieu communiquait alors à son Église, ces fanatiques, s'attribuant celui de prophétie, avaient séduit la crédulité de plusieurs; mais les martyrs, mieux instruits, écrivirent de leur prison aux frères d'Asie et de Phrygie, contre les erreurs et les fausses prophéties des montanistes. Ils excitèrent aussi contre les mêmes hérétiques le zèle du Pape Eleuthère, dans une lettre où l'on trouve un bel éloge de saint Irénée, qui en était porteur. (Voyez Eusèbe, c. 4.) Ce fut pour ces raisons que l'on exhorta Alcibiade à renoncer à des pratiques qui paraissaient avoir du rapport avec celles des montanistes.

Au reste, saint Irénée, aussi distingué par son savoir que par ses vertus, assure que dans le même temps l'Église observait les jeûnes et sur-tout celui du carême, avec une abstinence rigoureuse de certains alimens.

T. VIII.

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Dieu, qui visitait ses serviteurs, et qui leur donnait son esprit pour leur servir de guide.

Cependant les ordres de l'Empereur arrivèrent. Ils portaient que l'on exécutât ceux qui persisteraient dans leur confession, et que l'on élargît ceux qui auraient abjuré le christianisme. Le gouverneur prit occasion d'une fête publique qui avait attiré beaucoup de monde dans la ville, pour donner au peuple le spectacle du supplice des martyrs. Il les fit comparaître devant son tribunal, et les examina de nouveau. Voyant qu'ils étaient inébranlables, il condamna ceux qui étaient citoyens romains à perdre la tête, et tous les autres à être exposés aux bêtes.

Ce fut alors que la grâce de Jésus-Christ éclata dans la confession inattendue de ceux qui auparavant avaient renié leur foi. Ces hommes faibles furent examinés à part, afin d'être remis en liberté; mais ayant déclaré qu'ils étaient chrétiens, on les condamna à souffrir avec les autres. Quelques-uns, il est vrai, persistèrent dans leur apostasie; mais il n'y eut que ceux qui n'avaient jamais eu la moindre étincelle de la vraie foi, ni le moindre soin de conserver la robe nuptiale; que ceux qui, dénués de toute crainte de Dieu, avaient toujours déshonoré par leurs mœurs la religion qu'ils professaient, et qu'on pouvait à juste titre appeler enfans de perdition.

Alexandre, Phrygien de naissance, et médecin de profession, était présent lorsque les apostats furent amenés une seconde fois devant le gouverneur. C'était un homme rempli d'un esprit apostolique. Il vivait depuis plusieurs années dans les Gaules, où il s'était acquis une vénération universelle par son amour pour Dieu, et par la liberté avec laquelle il publiait l'évangile. Se trouvant donc auprès du tribunal dans ce moment critique, il faisait signe à ses frères, et de la tête et des yeux, afin de les animer à confesser Jésus-Christ. Son agitation, qui était

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