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PUBLIÉ par M. LAPORTE, Greffier EN CHEF de la Cour
de Cassation, ancien Jurisconsulte.

ANNÉE 1820.

A PARIS,

DE L'IMPRIMERIE DE J. SMITH, RUE MONTMORENCY, N.o 16.

JOURNAL DES AUDIENCES

DE LA COUR DE CASSATION,

OU

RECUEIL DES ARRÊTS DE CETTE COUR,

EN MATIÈRE CIVILE ET CRIMINELLE.

ÉTAT CIVIL (ACTE DE L'.).—MARIAGE.-PREUVE TESTIMONIALE.— POSSESSION D'ÉTAT.PRÉSOMPTIONS.

L'article 46 du Code civil qui, reproduisant la disposition de l'article 14, titre 20 de l'ordonnance de 1667, porte que les actes de l'état civil pourront étre suppléés par la preuve testimoniale lorsqu'il n'aura pas existé de registres ou lorsqu'ils seront perdus, est-il seulement énonciatif des deux cas principaux où la preuve testimoniale est admissible, et non limitatif de cette preuve à ces deux cas? Rés. aff.

Spécialement : L'enfant dont l'état est contesté, sous le prétexte qu'il ne représente pas l'acte de célébration du mariage de ses père et mère, peut-il, encore qu'il y ait eu tenue des registres, et que ces registres existent encore, être admis à prouver ce mariage par témoins, lorsque des présomptions graves et un commencement de preuve par écrit se réunissent en faveur de l'existence du mariage, si d'ailleurs l'enfant excipe d'une longue possession d'état, et produit un acte de naissance conforme à cette possession? Rés. aff.

(Les héritiers RIVAYRAN et consorts C. les sieur et dame MONSARRAT.)

Le 23 janvier 1795, contrat de mariage passé devant notaires, à Castres, entre Jean-Antoine Rivayran et Jeanne-Marie Cariven. Différentes donasont faites aux futurs époux par leurs pères et mères respectifs.

tions

y

Intervient dans ce contrat le sieur Marc-Antoine Cariven, frère de la future, qui, en qualité de donataire contractuel, paye à sa soeur une partie de sa dot, et s'oblige à payer le surplus dans un délai déterminé.

Le 7 avril 1793, publication du mariage devant la maison commune de Frégeville, domicile du futur époux, et devant celle de Castres, domicile de la future. Cette publication est attestée par deux certificats délivrés par les secrétaires des mairies de ces deux communes..

Le 16 du même mois, le mariage fut béni dans l'église paroissiale de Castres; et, le même jour, si l'on en croit la dame Monsarrat, il fut célébré devant l'officier de l'état civil de cette ville, qui, après avoir reçu la décla– ration des deux époux et proclamé leur union en présence des témoins respectifs, renvoya au lendemain pour en rédiger et signer l'acte; ce qui n'a point été fait, puisqu'aucun acte n'existe sur les registres.

Quoi qu'il en soit, le sieur Rivayran et la demoiselle Cariven ont vécu publiquement ensemble, comme époux, dans la maison du sieur Rivayran père, ainsi que cela avait été convenu dans le contrat de mariage susénoncé.

Le 14 janvier 1794, décès du sicur Rivayran, laissant sa femme enceinte.

Le 21 mars suivant, celle-ci est accouchée d'une fille qui a été inscrite le lendemain sur les registres de l'état civil de la commune de Pujol, sous le nom d'Elisabeth Rivayran, fille de Jeanne-Marie Cariven, épouse de Jean-Antoine Rivayran. Cet acte de naissance a été rédigé sur la déclaration du sieur Rivayran père, aïeul de l'enfant.

Le 17 nivôsean 6, dans le contrat de mariage d'Augustin Rivayran avec Marguerite Rivayran, sœur de Jacques Rivayran et de Jean-Antoine Rivayran, décédé, le futur époux a déclaré avoir reçu de Jacques, son futur beau-frère, et de Jeanne-Marie Cariven, sa future belle-soeur, veuve de Jean-Antoine Rivayran, la somme de 800 fr., etc.

En l'an 7, Jeanne-Marie Cariven, instruite que l'officier de l'état civil avait négligé d'inscrire l'acte de célébration de son mariage sur les registres de l'état civil, demanda et obtint du tribunal civil de Castres une ordonnance portant qu'il lui serait permis de faire procéder à une enquête pour constater que son mariage avait été célébré le 16 avril 1793.

Cette enquête eut lieu le 16 germinal de l'année suivante: cinq témoins furent entendus et déclarèrent d'une voix unanime que Jean-Antoine Rivayran et Jeanne-Marie Cariven avaient été mariés, le 16 avril 1793, dans - la maison commune de Castres, par l'officier de l'état civil de cette ville, qui avait renvoyé les parties au lendemain pour signer l'acte de mariage.

Le 25 floréal de la même année, jugement du tribunal, qui, sur le vu de cette enquête, reconnaît que le mariage du sieur Rivayran et de la demoiselle Cariven a été célébré le 16 avril 1793; en conséquence, ordonne la transcription du jugement et de l'ordonnance en marge du registre destiné à constater les actes de mariage, et l'annexe de l'enquête à ce même

registre, et enfin qu'extrait du tout sera délivré à Jeanne-Marie Cariven; ce qui a été effectué le 22 prairial suivant.

Depuis ce temps, plusieurs actes ont été passés, dans lesquels la famille Rivayran toute entière a donné à Jeanne-Marie Cariven la qualité de veuve de Jean-Antoine Rivayran, et à Elisabeth Rivayran, celle de fille légitime issue de leur mariage.

Enfin, Elisabeth Rivayran a épousé le sieur Monsarrat le 28 novembre 1810; et, soit dans son contrat de mariage, soit dans l'acte de célébration, elle a été assistée du sieur Rivayran père, son aïeul, et d'Augustin Rivayran, son oncle, et n'a pas reçu d'autre qualification que celle de fille légitime de feu Jean-Antoine Rivayran et de Jeanne-Marie Cariven.

Telles sont les circonstances dans lesquelles le sieur Rivayran père, étant décédé, ses enfans, pour écarter Elisabeth, femme Monsarrat, de la succession où elle venait représenter son père décédé, ont prétendu contester son état de fille légitime de Jean-Antoine Rivayran, leur frère, sur le fondement qu'elle ne produisait pas l'acte de célébration du mariage de ce dernier avec Jeanne-Marie Cariven.

La dame Monsarrat s'est armée des actes que nous venons d'analyser, et particulièrement de sa longue possession d'état, corroborée par son acte de naissance conforme, pour repousser l'attaque des frères et sœurs Rivayran, ses oncles et nièces; et la prétention de ces derniers a été condamnée par jugement du tribunal civil de Castres, en date du 8 mars 1816.

Sur l'appel que les héritiers Rivayran ont interjeté de ce jugement, la dame Monsarrat a offert la preuve testimoniale des faits articulés par sa mère en l'an 7, et sur lesquels était intervenu le jugement de rectification du 25 floréal an 8.

Les appelans ont soutenu cette preuve inadmissible, en se fondant sur l'article 14, titre 20 de l'ordonnance de 1667, dont les dispositions sont presque littéralement reproduites par l'art. 46 du Code civil, ainsi conçu: «Lorsqu'il n'aura pas existé de registres ou qu'ils seront perdus, la preuve en sera reçue tant par titres que par témoins; et, dans ce cas, les naissances, mariages et décès, pourront être prouvés, tant par les registres et papiers émanés des père et mère décédés, que par témoins. » Ils présentaient ces articles comme ayant limité aux deux seuls cas de perte et de non tenue de registres, l'admissibilité de la preuve testimoniale; d'où ils concluaient que cette preuve ne pouvait être admise dans l'espèce, quelque nombreuses et quelque graves que fussent les présomptions dont se prévalait la dame Monsarrat, et encore qu'elle pût exciper d'une possession d'état à laquelle son acte de naissance était conforme.

Néanmoins, par arrêt du 20 mai 1817, la Cour royale de Toulouse a admis la dame Monsarrat à la preuve qu'elle avait offerte. Les motifs de cet arrêt sont, en substance, que ni l'ancienne ni la nouvelle législation n'interdisent une telle preuve même hors des cas spécifiés soit par l'art. 14, titre 20 de l'ordonnance de 1667, soit par l'art. 46 du Code civil, lorsque des

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