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DISCOURS

DE CE QU'A FAIT EN FRANCE LE HÉRAUT D'ANGLETERRE, ET DE LA RESPONCE QUE LUY A FAIT LE ROY.

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A

Le septiesme jour de juin mil cinq cens cinquante et sept, le Roy estant en sa ville de Reims en Champagne, logé en l'abbaye Saint-Remy, arriva au logis dudit seigneur Guillaume Norei, héraut d'armes d'Angleterre, vestu d'un manteau de drap noir, sans austrement se faire cognoistre ne déclarer sa qualité, jusques à ce qu'il fust à la porte du conseil du Roy, où il demanda à parler à monsieur le dục de Montmorency, pair et connestable de France, lequel, après le conseil tenu, le feit entrer en ladite salle, où demanda audit Norei l'occasion de sa yenue. A quoy il respondit estre despesché de la Royne d'Angleterre, sa maitresse, pour dénoncer et déclarer la guerre au Roy, monstrant à ceste fin une petite lettre en parchemin, scellée du grand seau de ladite dame Royne, du premier jour d cedit moys, contenant en substance pouvoir audit héraut de faire ladite déclaration. Sur quoy mondit sieur le connestable lui dit qu'il se retirast, et qu'il lui feroit entendre ce qu'il auroit à faire après avoir sceu sur ce l'intention du Roy.

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Ει pource que le mesme soir ledit seigneur partoit pour aller à la chasse, à deux lieuës de ceste ville, d'où il ne revint que le jour d'hier bien tard, fut remise l'audience dudit héraut à ce jourd'huy, 9 dudit moys, que mondit sieur le connestable, environ midy, a fait venir par devers luy,en sa chambre, iceluy hérault. Auquel, en la présence

et

d'aucuns seigneurs chevaliers de l'ordre et gens du conseil privé du Roy, il a demandé s'il sçavoit bien son eslat, quelle est la charge d'un héraut; aussi par où il estoit entré en ce royaume, à qui des gouverneurs des frontières il avoit déclaré sa qualité et l'occasion de sadite venuë, et comme il avoit esté si téméraire de venir si avant sans autrement se déclarer ne descouvrir, portant avec lui une telle commission, qui estoit autant que de se venir précipiter et mettre au danger d'estre pendu et estranglé, comme il avoit très-bien mérité. A quoy ledit héraut a fait responce qu'il estoit venu descendre à Boulongne et passé outre, ayant tousjours eu son escusson à l'estomach, sans ce que personne lui ait rien demandé; et qu'il ne pensoit pas avoir failly, d'autant que la paix n'estoit rompue, ayant esté chargé de sa dite maitresse de le faire ainsi, et d'apporter quelques lettres à son ambassadeur, résident par deçà, ainsi qu'il avoit fait. Et comme mondit sieur le connestable eust répliqué que tant mieux méritoit-il d'estre puny, et qu'il estoit venu comme à la desrobbée, faignant estre serviteur dudit ambassadeur, dont, s'il n'avoit affaire à Roy très-clément et débonnaire, il seroit en évident danger de perdre la vie; mais pour monstrer par iceluy seigneur sa grande bonté et excuser cette faute (qui ne vouloit prendre à rigueur), il l'oyroit très-volontiers.

L'ayant mondit sieur le connestable laissé en sa chambre, accompaigné de deux roys d'armes, s'en alla trouver la majesté du Roy, auquel il feit entendre tout ce que dessus, et combien ledit héraut s'estoit oublié et avoit besoin de sa miséricorde.

Usant de laquelle en son endroit, et pour monstrer et faire cognoistre par ledit seigneur sa magnanimité et grandeur, a commandé, sans avoir esgard à tout cela, que l'on feist venir ledit héraut, lequel a esté envoyé quérir par un

capitaine de ses gardes grandement suivy. Et ayant devant lui lesdits deux roys d'armes, a esté amené par ledit capitaine des gardes en la salle dudit seigneur, qui y es toit accompaigné de la personne de monseigneur le Daulphin, son filz aisné; de messieurs les cardinaux de Loraine, de Guyse, de Chastillon et de Sens, garde des seaux de France; de messieurs les ducs de Loraine, de Longueville, de Nivernois et de Montmorency, connestable; du prince de Mantoue et de plusieurs autres princes, seigneurs, chevaliers de son ordre, évesques, prélats, capitaines et gentilz-hommes en grand nombre; présens les ambassadeurs de nostre très-saint père le Pape, du Roy de Portugal, de la seigneurie de Venise, du duc de Ferrare et

autres.

Où, après plusieurs révérences faites par ledit héraut (ainsi conduit que dessus) et estant à genoux, sa cotle d'armes sur le bras, lui a esté demandé par le Roy à haute voix de par qui il estoit envoyé et pourquoy. Et ayant respondu que c'estoit de par ladite Royne, sa maistresse, et présenté sondit pouvoir, que ledit seigneur a fait lire publiquement, lui a dit :

D

« Héraut, je voy que vous estes venu icy pour me dé» noncer la guerre de par la Royne d'Angleterre; je l'ac»>cepte; mais si veux-je bien que tout le monde sçache que j'ay observé envers elle, sincèrement et de bonne foy, ce » que je devoys à l'amitié que nous avions ensemble, » comme j'ai délibéré faire et feray, tant que je vivray, » à l'endroit de tout le monde, autant qu'il apartient à >> Prince grand de vertu et d'honneur. Et espère, puis» qu'elle y vient avec si injuste cause, que Dieu me fera, >> s'il lui plaist, ceste grace, qu'elle n'y gaignera nomplus » que ses prédécesseurs ont fait quand ilz se sont attachés > aux miens, et qu'ilz ont fait dernièrement à moy, dont

» la mémoire est récente; et qu'il monstrera en cela la jus»tice de sa grandeur sur celuy qui a le tort, et.est cause >> des maux qui procéderont de ceste guerre; vous défen>> dant sur la vie de parler plus avant, parce que c'est une » femme; et si elle estoit autre, j'useroye aussi d'autre >> langage. Mais vous vous en irez et retirerez hors de mon >> royaume le plus tôst que vous pourrez. »

Cela fait, a esté reconduit par les dessusdits, et accompaigné jusques au logis dudit ambassadeur d'Angleterre, où le Roy, plein de libéralité, lui a envoyé pour présent une chaine de deux cens écus, afin que par là, et ce qu'il a veu et ouy de la bouche dudit seigneur, il puisse porter plus de tesmoignage en son païs de la vertu et générosité dudit seigneur, jà assez cogneuë de tout le monde.

DISCOURS

De la temeraire

ENTREPRINSE,

faicte contre la noble couronne de France, par Emanuel Philibert de Sauoye.

A PARIS,

Chez André Wechel, demeurant à l'enseigne du Cheual volant, rue S. Iean de Beeuvais. 1 5 5 8.

Auec Priuilege.

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