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les conditions desjà par lui-mesme offertes et proposées. Mais cecy (comme j'ay dict) fit effect contraire, pource que l'Empereur devenoit tous les jours plus gaillard à braver et menacer. Et continuant son voyage devers les montz, d'autant que plus s'approchoit au pays de France, d'autant plus seurement parloit-il de la victoire et proye d'icelle, et desjà l'on assignoit le moys et la sepmaine de se trouver à Paris. Desjà ses gens partissoyent entre eulx les terres, chasteaux et seigneuries de France, ainsi que bon leur sembloit, et mesme les chapelains demandoyent les bénéfices et prélatures, sans attendre la mort de ceux qui les possédoyent; chose vraiment qui ne debvoit estre sans scrupule de conscience. Or, il arriva au pays de Saluces, où il séjoura quelque temps, attendant que les trahisons du valeureux marquis fussent bien meures, lequel desyrant de n'arriver poinct devant l'Empereur les mains vuydes (selon que réqueroit l'ancienne coustume de qui se présentoit la première foys devant un grand prince) tout ainsy comme il luy portoit le cœur tout taché de méchanceté, aussy cherchoit-il de luy porter les mains souillées de la ruine des capitaines françoys ou d'une partie de l'armée, ou au moins du larcin et robement de quelque ville. Mais n'estant venu à bout sinon de la tromperie faicte à ceulx de Fossan, alla finablement devers l'Empereur, non-seulement avecques les mains, mais, aussy avec le cœur vuyde de foy et loyaulté, et plain de toute malice, sans luy porter une seule excuse de sa méchanceté, mais seulement la pure trahison faicte à son maistre, seigneur et bienfacteur. Depuis s'estant mis au chemin, entrarent en Provence, là où l'Empereur se reposa en plusieurs lieux avec son armée, comme s'il fust allé pour voir le pays et non pour faire la guerre. Et après, voulant faire la pénitence de la faulte qu'il avoit commise d'y estre entré, alla

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à Ais comme en ung désert. Et là, après qu'il eut jeusné quarante jours et quarante nuyctz, il eut fain. Parquoy il délibéra de retourner en Italye, l'esperit luy disant : «Si tu as force supernaturelle comme de plusieurs es es>> timé, en ce lieu appellé des anciens champ pierreux, pour » la multitude des pierres, dy que ces pierres deviennent >> pain; mais puisqu'en sentant la fain tu es homme, et non »> plus que homme, comme tu as bien monstré en assail>> lant le royaulme de France, retourne dont tu viens, car le >> Roy est arrivé en son camp. » Auquel esperit il fut obéissant, et n'est rien plus certain que, le jour mesme que le Roy arriva en son camp, l'Empereur commença à envoyer son avant-garde pour s'en retourner, n'ayant faict aultre chose que ce que j'ay diet, ne prins ung seul de plusieurs partitz qu'il povoit prendre, ou de donner l'assault à quelque ville, ou d'assaillir le camp, ou de passer le Rhosne, ou d'entrer en Daulphiné, chascune desquelles choses eust au moins monstré le vouloir qu'il avoit de mectre à effect une partie de ses maintes menaces. Mais n'ayant faict chose de ce monde qui appartienne à la guerre, a donné à entendre à beaucoup de gens qu'il n'estoit allé en France pour aultre chose sinon pour y sacrifier et immoler Anthoine de Lesve (1), et pour luy faire de son péché porter la peine en ce pays-là dont il avoit cherché la ruine; estant chose très certaine que ledict Anthoine de Lesve avoit envoyé en France un comte Sébastien de Montecucoli, pour empoisonner le Roy très-chrestien et ses très

(1) Anthoine de Lesve, le plus habile des généraux de Charles V. On prétend que ce fut a sa persuasion que l'empereur entreprit la conquête de la Provence. Ce conseil fut fatal pour de Lesve lui-même, qui mourut de la fièvre qui ravageait l'armée espagnole. « Il étoit, dit Brantôme, goutteux,. » maladif, toujours en douleurs et langueurs ; mais il combattait porté en >> chaise comme s'il eût été à cheval. >>

nobles enfans, et de cecy ne fault poinct doubter, car le diet comte Sébastien, mis en prison à Lyon, l'a ainsy confessé devant beaucoup de gens de bien et a monstré le sauf-conduict du dict de Lesve, et les venins appareillez, et plusieurs foys a ratiffié et confirmé d'avoir eu telle commission de luy; de laquelle, chose comme j'entends, doibt estre faict ung procès solennel et autenticque, qui sera leu à la court du très-chrestien devant les ambassadeurs de tous les princes chrestiens. Pour faire adoncques cest acte de justice de punir le malfacteur au lieu où il a commis le mal, l'on estime qu'il aye faict ce voyage en France. Les aultres disent qu'il l'a faict pour monstrer au marquis de Saluces quel fondement et raison il avoit de trahir le Roy très-chrestien, duquel il est vassal, pour suyvre le party de l'Empereur, et quelz fruitz il commençoit à recueillir de ses trahisons. Chascune de ces raisons me semble bonne; vous en pourrez prendre celle qui plus vous plaist. Puis retournez ung petit vostre esperit à cette tant honorable retraicte, et pensez quelz debvoyent estre les visaiges et couraiges des jadis ducs de Savoye et marquis de Saluces, bien que, à dire le vray, je ne veulx blasmer la faulte du duc de Savoye, car il me sembleroit propre ment dire mal de nostre grand-père Adam, à l'imitation duquel le bon duc a péché par la coulpe de sa femme. Mais de ce malheureux de Saluces, je ne craindray à dire qu'il a faict la plus grande lascheté qui jamais fust faicte, de laquelle je croy aussy que la pénitence ne doibve estre moindre. Je dy oultre la perte de son dommaine, quant il luy souviendra d'avoir perdu la grace compaignie du plus noble Roy des chrestiens, du plus vertueux et gentil prince du monde, et duquel il a receu honneurs et biens infinis, au lieu desquelz il l'a récompensé de la plus villaine et laide ingratitude que usast oncques hommes; quant

il luy viendra en mémoire d'avoir abandonné le plus riche, le plus noble et délectable royaulme du monde, avec l'amityé et familiarité de tant de princes et gentilz hommes; quant il pensera d'avoir vendu sa foy, et son seigneur et prince, pour acheter pour luy et pour sa maison infameté immortelle, et que dedans peu de jours il voirra comme il sera estimé parmy ceulx à la requeste desquelz il a ensevely son honneur, et donné l'ame en proye au diable, et mesmement quant, en passant parmy les pays, parmy les villes et villaiges, il se orra tout bas appeller en derrière traistre; et luy pourroit encores aiséement advenir quelque seigneur luy dict à son visaige, et l'appelast par ce beau nom. De quoy il se vouloit pays après plaindre à l'Empe reur, il luy pourroit bien respondre ce que Phylippe, roy de Macédoine, dict à un Olinthio qui avoit trahy son pays pour l'amour de luy; car ledict Olinthio se plaignant des Macédoniens qui l'appelloyent traistre, le Roy, pour le consoler, luy respondit : «Mes gentilz hommes sont mal «nourris et grosses personnes; car le pain, ilz l'appellent pain. » Et pour ce quel debvons-nous croire que fust le couraige de ceulx-cy, en soy retirant et abandonnant par force le pays sur lequel ilz avoyent fondé toutes leurs espérances ? Certainement, tel comme a coustume d'estre celluy des hommes désespérez et aulxquels plus chère seroit la mort la vie. Mais il vault mieulx laisser ces deux-cy, et retourner à s'esmerveiller pour quelle cause l'Empereur oubliast si tost toutes les menaces qu'il avoit faictes, et pourquoy il n'esprouva quelque entreprise, veu qu'il sçavait bien que son camp de Picardie, duquel estoit capitaine le conte de Nansot, avoit monstré d'avoir bon cœur, en assaillant premièrement Sainct-Quentin; d'où estant reboutté ne perdit pourtant le couraige, mais alla mectre le siége devant Péronne, là où estant advenues choses dignes de

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mémoire et d'estre entendues plus au long, je vous escripray ce qui en est venu à ma cognoissance. Péronne est une ville plus petite que nulle qui soit en Italie; je dy beaucoup plus que Crème, laquelle, du costé de France, c'està-dire devers Paris, a force marestz qui rendent ce costé-là fort seur des ennemis. Dedans y avoit mille cinq cents hommes de pied françoys et cent cinquante hommes d'armes, soubz la charge et conduicte de monsieur le mareschal de La Marche. Devant ladicte ville, s'estant présenté le conte de Nansot avec trente mille hommes, dont quatorze mille estoyent lansquenetz et six mille chevaulx, il entendit premièrement à détourner les eaues pour sécher les marestz, ce que, avec l'ayde de la saison du temps, il fit en peu de jours; puis planta l'artillerie, dont il en avoit soixante-dix pièces, entre lesquelles y avoit quarante-huit gros canons, et avec icelles commença à faire la batterie de deux costez, qui fut grande en peu d'heures; puis douna aussy l'assault desdicts deux costez si vivement que peu s'en faillit qu'il ne print la ville. Toutes foys, voyant qu'il avoit failly et perdu, beaucoup de ses gens, il demeura fort esmerveillé ; ce néantmoins il délibéra de renouveller et renforcer l'assault, tenant la victoire pour certaine, et de cela encores demeura trompé. Pourquoy, adjouxtant l'obstination au conseil et à la force, se résoulut de n'abandonner l'entreprinse qu'il ne l'eust gaignée, tant pour son honneur comme pour pouvoir mander quelque bonne nouvelle de Picardie à l'Empereur, puisque de luy n'en avoit aulcune qui valust de Provence.

Ainsy procéda à la seconde batterie en aultres en-droicts de la ville, avec, assaulx aspres et longs, dont ne luy revint aultre chose que la perte de plusieurs capitaines et grand nombre de souldars. Or, pour faire l'hystoire courte, en moins de six sepmaines se retrouva avoir faict quatre

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