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Ayez une pensée grande et noble, ou gracieuse et piquante, exprimez-la clairement en observant le caractère du genre et les convenances du sujet; soyez sans crainte alors, plus votre reproduction sera exacte, et plus elle sera poétique.

Bien que les objets extérieurs et matériels n'aient qu'une forme, comme nous ne les percevons qu'au moyen de nos organes, et que ces organes sont sujets à une infinité de modifications chez les différens individus, la manière de voir un même objet diffère sensiblement d'un homme à un autre homme. De là cette variété de manière dans leur reproduction; la couleur est surtout sujette à ces variations.—Pour ce qui est des formes, elles peuvent se rapporter à des règles plus précises et plus générales.

Bien des élèves trouvent plus commode d'imiter leur maître, d'employer servilement ses procédés pour copier la nature, que de s'en tenir à la nature même.

Quand on a peint pendant un certain nombre d'années, on a acquis une habitude, on a des formes de style qui reviennent chaque fois que des idées analogues se représentent : cela donne à tous les ouvrages d'un même maître une physionomie uniforme très-facile à saisir et dont un talent médiocre fait la charge sans grande peine. C'est malheureusement souvent à cette seule imi

tation que s'attachent les commençans. S'ils y réfléchissaient cependant, ils verraient que ces traits de physionomie qu'ils ont saisis même avec fidélité, peuvent être des beautés chez leurs maîtres, et sont toujours des défauts chez eux, qui ne peuvent y joindre la science réelle que possèdent les premiers.

DEKEYSER.

la

Il y a quelques années, une dame d'Anvers, parcourant campagne des environs, rencontre sur sa route un jeune homme gardant les vaches, et s'amusant à dessiner sur le sable avec le bout d'un bâton. « Vous aimez à dessiner, lui dit la dame; si vous le désirez, je vous procurerai du papier et des crayons! » Le jeune homme transporté accepta, et le lendemain il fut en possession non-seulement de crayons et de papier, mais encore d'une image de la Vierge, qu'il se mit à copier avec ardeur. Quelques jours après, il donna à la dame la copie qu'il avait faite. Celle-ci, ayant consulté des artistes, emmena le jeune pâtre chez elle, lui fit suivre les cours de dessin et de peinture, et l'entretint à ses frais.

A quelque temps de là, en 1834, le bruit se répandit dans le monde artistique qu'un jeune homme, âgé de vingt ans à peine, venait d'achever à Anvers, pour l'église catholique de Manchester, un immense tableau représentant le Christ en croix sur le Calvaire, sujet si magnifiquement traité, dans cette même ville d'Anvers, par l'immortel Rubens.

La curiosité fut vivement éveillée, et quand l'artiste déroula sa toile aux yeux de ses compatriotes, ce fut une stupéfaction générale. Une si grande audace, couronnée d'un succès inattendu, fut accueillie par acclamations, comme le présage et le gage certain d'un avenir riche en triomphes.

L'auteur de cette production, c'était le jeune pâtre; ce pâtre, c'était M. Dekeyser!

Bien que cette première œuvre ne fût, en beaucoup de points, qu'une heureuse réminiscence, il était facile d'y reconnaître le germe d'un talent qui n'avait besoin pour se développer que du temps, employé à de fortes et consciencieuses études. M. Dekeyser eut le bonheur de rencontrer des détracteurs et des critiques sévères, et il eut assez d'esprit, un jugement assez droit pour discerner les avis utiles au milieu des insinuations de la malveillance et de la jalousie. Il sut également se tenir en garde contre l'enivrement des louanges immodérées

et contre le découragement qu'inspire l'injustice, même aux vrais talens.

Il comprit ce qui lui manquait encore, et comme lui-même n'était pas satisfait de son travail, il ne trouvȧ pas étrange que d'autres ne le fussent pas non plus. Il ne répondit pas à la haine par des récriminations, il se dit à lui-même : « Je les forcerai bien à m'applaudir!» et il se mit à travailler avec une nouvelle ardeur.

L'année suivante, le Salon de Gand le vit exposer un Saint Dominique qui attestait de grands progrès, dus à des efforts bien dirigés. A peine ce tableau était-il étalé aux regards du public, que M. le comte Charles Vilain XIIII en offrait huit fois le prix que l'acquéreur en avait donné à l'artiste.—Même concert d'éloges et de critiques, même modestie de la part de l'auteur à recevoir les uns et les autres, mêmes études pour se grandir, même persévérance dans ces travaux.

Allez maintenant au Salon de Bruxelles, regardez la bataille des Éperons d'Or, et dites si l'on n'est pas en droit d'assurer un brillant avenir à celui qui est arrivé, si jeune, à produire une œuvre déjà si complète, si riche de qualités solides? — Une semblable précocité ne s'est jamais rencontrée dans les annales de la peinture. Il n'y a point d'exemple d'un début aussi éclatant, dans un âge aussi voisin de l'enfance.

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