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TH. GUDIN.

De tous les artistes étrangers qui ont enrichi nos Salons d'exposition de leurs toiles, aucun n'a conquis plus spontanément l'admiration générale, aucun n'a soutenu sa réputation avec un éclat plus constant que M. Gudin. Nous éprouvons le besoin d'adresser à ce grand peintre des remercimens au nom des artistes et du public belge. Nous lui devons de la reconnaissance, parce qu'il nous a traités en nation capable d'apprécier la hauteur de son talent. La Perte du Kent, les Marais Pontins, le Pilote napolitain, ouvrages par lesquels il s'est d'abord révélé à nous, étaient de ces œuvres de choix qui prennent et conservent le premier rang parmi les productions d'un pinceau célèbre. La Vue des environs d'Alger est

un nouveau chef-d'œuvre au moyen duquel M. Gudin se montre encore à nous avec les mêmes droits à notre admiration et à notre reconnaissance.

Cette peinture chaude et grandiose est un excellent exemple pour nos jeunes paysagistes, naturellement disposés à la froideur. Il serait à souhaiter que la Vue d'Afrique restât dans le pays, et qu'elle pût servir d'objet d'étude.

Vue prise aux environs d'Alger.

(No 236 1.)

Les voyageurs qui ont visité l'Afrique croient éprouver une fascination, un mirage, devant cette toile où se déploie, dans toute sa magnificence, la plus sublime, la plus radieuse nature. Et nous, qui ne la connaissons que par les récits qu'on nous en a faits, nous nous écrions : « Ce doit être en effet cette terre brûlante, ce ciel de feu ! C'est bien ainsi que notre imagination se l'était créée; la peinture dépasse même en grandiose l'idée brillante que nous nous en étions faite! » N'est-ce pas

1 Hauteur, mètre, 0,99; largeur, mètre, 1,48.

là le triomphe des arts? Elle nous fait comprendre, à nous habitans du Nord, toute la splendeur de cet aspect africain; elle nous satisfait pleinement, sans même laisser naître en nous l'idée d'exagération; elle nous fait tout sentir, et elle reste vraie! C'est que M. Gudin ne s'est pas contenté de mettre sur sa toile tous les objets, toutes les teintes, tous les effets qui ont frappé sa vue dans la contemplation de cet imposant spectacle; il a, par un effort qui n'appartient qu'aux talens supérieurs, imprimé. à son ensemble le sentiment qui dilatait son cœur, quand ses yeux lui apportaient cette saisissante empreinte; à chaque détail, la pensée qui vibrait dans son esprit chaque fois qu'il découvrait une beauté nouvelle. Aussi, comme un poëte qui nous raconterait ses impressions, le peintre nous fait participer aux siennes. Noble privilége du génie!

En

voyant ce tableau, qui ne représente pourtant qu'une nature inanimée en apparence, on y découvre le reflet de toutes les hautes facultés de l'artiste. C'est son âme qu'il a mise dans ce site, comme il l'aurait mise dans les gestes, dans les traits, dans les yeux de ses personnages, s'il eût peint l'histoire au lieu du paysage.

L'artiste a choisi l'heure la plus solennelle du jour, celle où le soleil radieux, inondant la terre de ses gerbes lumineuses, chasse devant lui les ombres qui la cou

vraient. Au loin, un brouillard léger monte en se dissipant peu à peu. Ce voile, qui dérobe encore à l'œil le sommet de l'Atlas, en laisse apercevoir une partie dont les cimes élevées renvoient la vive lumière qui les frappe.

Ce brouillard semble fuir à regret et vouloir s'arrêter dans sa fuite; il coupe la chaîne de montagnes des Bédouins, en suivant une ligne horizontale, à quelques pieds au-dessus du sol, et permet à l'œil de découvrir le superbe paysage qui s'étend jusqu'à la base de ces montagnes, et qui encadre si gracieusement un petit golfe de la Méditerranée.

Avec quel art le peintre a rendu les différentes nuances produites par le jeu de la lumière sur les aspérités du terrain! Comme les ombres disputent bien au soleil cette terre rocailleuse, dans les anfractuosités de laquelle la nuit semble encore se cacher! A voir les progrès du soleil, la douce et insensible lumière qui commence à colorer le versant du monticule à gauche, ne semble-t-il pas que l'on voit surgir l'astre vainqueur?

L'effet est rendu si juste, que l'on éprouve, en regardant cette colline, un éblouissement réel. Le versant que l'on voit ne peut pas encore être éclairé par les feux du soleil qui paraît derrière ; mais les mais les rayons, glissant au-dessus de l'ombre, la laissent apercevoir à travers la

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