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considérable qui revient aux Havrais et aux Dieppois dans l'œuvre géographique, dont l'ancienne France a le droit de s'enorgueillir.

Enfin si quelques-uns de ces cartographes, Pierre Desceliers, Jean Cauderon et probablement Jean Dupont furent des savants de cabinet, tous les autres furent des pilotes. Gens de mer et gens de guerre par profession, et hommes de plume par surcroît, ils ne dessinèrent leurs cartes qu'après avoir pendant des années dirigé leurs navires, et à l'occasion manié l'épée, l'arquebuse ou le mousquet. Les séances devant l'écritoire furent la diversion de leur vie active. Si bien qu'instruits de quelques-unes de leurs aventures de mer et en soupçonnant beaucoup d'autres qui sont tombées dans l'oubli, mis ensuite en présence de leurs œuvres et en appréciant la valeur, on serait tenté de dire, après avoir inversé les termes de la phrase célèbre de Pascal : << on est tout étonné et ravi, car on s'attendait de voir un homme et on trouve un auteur ».

HENRI DEHÉRAIN.

VARIÉTÉS

L'ÉCOLE BRITANNIQUE D'ATHÈNES EN 1917 ET 1918.

Un nouveau volume de l'Annual de l'École anglaise d'Athènes a paru il y a quelques mois. C'est le volume XXII, pour les années 1916-1917 et 1917-1918. Il y a donc eu une interruption depuis le dernier que nous avons analysé. Nous trouvons dans celui-ci les travaux de deux années et cependant nous n'avons pas encore le nombre de pages que contenaient les annuaires d'avant la guerre.

La vie de l'École a été naturellement singulièrement troublée : plus de fouilles, la bibliothèque a été fermée, le directeur est devenu un auxiliaire. de la légation, l'École a servi de refuge aux émigrés. En 1918, le duc de Connaught a visité la maison. A travers toutes ces distractions, quelques

L'École britannique d'Athènes de 1914 à 1916. Journal des Savants, 1918,

P. 208.

savants ont travaillé avec le directeur, et les plantes du jardin ont été soignées, mais c'étaient surtout des légumes, que rendaient précieux les difficultés du ravitaillement. L'École poursuit en même temps les négociations pour acheter un terrain.

Parmi ces comptes rendus des deux assemblées annuelles, notons encore le vœu émis par plusieurs associations, que le gouvernement britannique organise une commission centrale archéologique pour favoriser les découvertes que promet l'Orient et qu'il désigne des archéologues mobilisés pour explorer les pays tombés sous l'influence des Alliés.

Voici les mémoires et articles que contient ce volume.

M. Rostovtsev, dans un article intitulé Pont, Bithynie et Bosphore, retrace largement les relations continuelles de la Crimée avec la côte méridionale de la mer Noire et les pays qui s'étendent au delà. Il insiste sur certains détails. Nous apprenons ainsi que l'Académie des sciences de Van a fait des fouilles fructueuses encore pendant la guerre. Ces découvertes, jointes à d'autres antérieures, montrent que le commerce existait entre la Crimée et les royaumes des Hittites et de Van dès le second millénaire avant notre ère. On voit même cette influence de la Russie méridionale pénétrer dans la région de Kouban, soit à travers le Caucase, soit par mer le long de la côte. Les trouvailles monétaires, extrêmement riches, attestent pour une époque postérieure les relations entre ces pays et le monde grec, puis le monde romain. Sous l'Empire, la Bithynie et le Pont prennent une importance exceptionnelle. Aussi paraît au 1° siècle de notre ère un procurateur à côté du proconsul. Hirschfeld avait supposé que des procuratorespraesides avaient interrompu la série des proconsuls. Mais outre que de telles alternances dans l'administration des provinces ne sont pas admissibles à cette époque, la coexistence de proconsuls ruine l'hypothèse. M. Rostovtsev, s'appuyant sur les inscriptions, montre que les procurateurs existent à côté des proconsuls et ont des pouvoirs étendus, comme représentants de la politique de l'empereur, comme chefs des troupes mises à leur disposition. Pline a réuni dans sa main les attributions du proconsul et du procurateur. M. Rostovtsev explique en conséquence plusieurs passages de sa correspondance avec Trajan.

M. Walter Leaf a été conduit par ses études homériques à s'occuper de Démétrius de Skepsis. Démétrius avait écrit un commentaire géographique sur Homère. Il avait inventé la méthode qui consiste à comparer les données du texte avec les faits connus. Strabon s'est servi de son ouvrage. On s'était demandé si Strabon n'avait pas visité la Troade. Mais

SAVANTS,

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M. Leaf, par l'étude du texte, montre que non. Strabon a commis des erreurs dans lesquelles ne pouvait tomber un homme ayant vu le pays. Ce qu'il dit d'excellent vient de Démétrius.

Comme M. W. Leaf a étudié ailleurs le texte de Strabon et montré que des notes marginales l'ont interpolé, M. W. Van Buren ajoute aux cas déjà cités deux autres exemples dans la description de Rome (V, 3, 8 et 10). Mais il suppose que ces notes sont l'œuvre de l'auteur lui-même et qu'elles ont été insérées à une fausse place.

M. W. J. Woodhouse prépare un ouvrage sur l'art militaire chez les Grecs au ve et IV" siècle. Comme ce livre peut tarder longtemps, il en a détaché un chapitre sur la manoeuvre de Mantinée. Thucydide a rendu hommage à la bravoure des Spartiates. Mais il a tu sciemment le mérite de leur chef, le roi Agis. Hérodote avait fait de même pour Pausanias à Platées. Les deux historiens se sont trop facilement inspirés de la jalousie des Athéniens, qui n'admettaient pas qu'on pût inventer quelque chose hors d'Athènes.

Les anthropologistes de l'école de Cambridge, MM. Cook, Frazer et Cornford, ont cherché l'origine des jeux olympiques dans une lutte rituelle pour la royauté. M. E. N. Gardiner discute cette théorie et défend celle qui voit dans les jeux olympiques la continuation des jeux funèbres donnés en l'honneur de Pélops. Cette étude paraît être un fragment d'un travail plus étendu, où M. Gardiner s'efforcera d'écarter de ces origines l'influence crétoise et fera venir le culte d'Olympie directement de Dodone.

M. Pandelis, ayant acquis une lettre de lord Byron, l'a offerte à l'École anglaise qui la public. Elle est datée d'Athènes, 20 janvier 1811. Lord Byron parle de la vie qu'il mène à Athènes. A la suite de cette lettre, M. A. J. B. Wace a rédigé uné notice sur Hastings et Finlay, deux philhellènes de la première heure, d'après des documents conservés à l'École. Quelques-uns sont cités largement. Hastings et Finlay ont connu Byron et ont noté leurs impressions.

M. H. J. Tillyard continue ses études de musique byzantine d'après les manuscrits et expose la théorie des tons.

M. F. W. Hasluck fait la critique des légendes qui attribuent certaines mosquées aux Arabes, et qui les donnent pour plus anciennes que la conquête ottomane.

Nous revenons à l'antiquité avec les deux derniers mémoires. MM. A. J. Wace et C. W. Blegen pensent qu'on a maintenant découvert dans la Grèce continentale assez de poteries prémycéniennes pour en entre

prendre la chronologie et le classement raisonné. Ce travail servira de base à des recherches qu'eux-mêmes indiquent. D'autre part, M. W. H. Buckler publie à nouveau certaines inscriptions de Mylasa, les complète et les explique. Il s'agit surtout des baux conclus pour affermer les terres du temple d'Olymos. Ces textes nous apportent des renseignements précis sur le régime de ce domaine.

En tête du volume, sont inscrits les noms de sept membres de l'École qui ont péri dans la guerre.

PAUL LEJAY.

LIVRES NOUVEAUX.

P. FOUCART. Le culte des héros chez les Grecs (Extrait des Mémoires de l'Académie des Inscriptions et BellesLettres, tome XLII). Un vol. in-4°. Paris, Imp. nationale, 1918.

ce que les Grecs ont cru et pour cela, étudier leurs légendes et les pratiques de leur culte ».

Les textes et les inscriptions permettent à M. Foucart de décrire le culte des héros en l'opposant au culte des dieux. Le premier diffère du second par la forme des constructions (xós, pov) et de l'autel (oz), (σηκός, (ἐσχάρα), par le moment et les modes du sacrifice (εναγισμός). Toutefois la distinction entre les deux rituels alla en s'atténuant le banquet offert aux héros semble un emprunt fait au culte divin; Γεναγισμός, οἱ la chair des victimes est détruite par le feu, est remplacé par la usiz, qui permet aux fidèles de se nourrir de la desserte du dieu.

Le travail que M. Foucart a consacré aux héros grecs lui est une nouvelle occasion de définir la méthode qui lui paraît la seule légitime dans les études de mythologie. Il n'est pas de ceux qui espèrent retrouver la signification et la valeur primitive des mythes « Il est loisible, écrit-il, d'imaginer toute sorte de combinaisons en les plaçant dans un passé indéterminé, sur lequel nous n'avons aucun renseignement; ce n'est plus de la science ». Il condamne formellement la «< méthode peu scientifique, qui consiste à emprunter à l'étymologie, à l'archéologie, à l'épigraphie un certain nombre d'assertions, contestées ou contestables, puis, en amalgamant toutes ces données d'une valeur douteuse, à en tirer une théorie que l'on déclare indubitable ». Il faut se tenir sur le terrain solide des faits, dùment constatés à l'époque classique; « il faut se borner à la tâche plus modeste, mais plus sûre de chercher à établir

L'examen des légendes nous apprendra ce que, à tort ou à raison, les Grecs croyaient de leurs héros. Le héros n'était pas pour eux, comme le prétendent certains savants, un ancien dieu déchu de sa dignité, mais un homme qui avait réellement vécu et qui était mort. Pour qu'un héros pût être déifié, il fallait non seulement que les dieux lui eussent donné des preuves manifestes d'une protection particulière, mais surtout que ce mortel eût disparu dans des circon

stances extraordinaires et qu'il semblat ainsi avoir échappé à la loi commune de la mort. M. Foucart illustre ses définitions par des exemples concrets, en étudiant le cas de héros « victimes des mythologues modernes », Erechthée et les filles de Cécrops, Hyacinthos, Lycurgue, ou de héros déifiés, les Tyndarides, Héraclès, Amphiaraos, Trophonios.

Les héros n'agissent pas comme intercesseurs auprès des dieux; ils ne tiennent leur puissance que d'euxmêmes. Leur action, inférieure à celle des dieux, est le plus souvent malfaisante. Elle ne s'exerce que dans le voisinage du tombeau, l'âme étant inséparable des restes du corps et comme liée à la sépulture. De là l'importance que les cités attachent à posséder le corps et le tombeau des héros protecteurs qu'on se rappelle l'histoire des ossements d'Oreste et de Thésée, la légende d'Edipe à Colone. On conservait aussi pieusement les autres reliques des héros, la maison d'Enomaos à Olympie, le collier d'Ériphyle, que plusieurs sanctuaires prétendaient posséder. On montrait même à Sparte l'oeuf de Léda, où M. Foucart pense reconnaître un de ces œufs d'autruche, montés et décorés, que recherchaient les princes des temps égéens.

Il semble plus difficile, avec le seul secours des textes et des monuments anciens, de retrouver l'origine du culte des héros. Pour M. Foucart, il faut la chercher dans « la croyance irraisonnée à la survivance des morts »>, croyance que révèlent dès l'origine les pratiques funéraires des Mycéniens. On songe aussitôt aux chapitres que Fustel de Coulanges, au début de la Cité antique, a consacrés aux croyances sur la vie du défunt dans

le tombeau et au culte des morts. Mais entre les deux exposés il y a une différence notable. Pour Fustel de Coulanges, tout mort devient une divinité, malfaisante si on la néglige, tutélaire si on l'honore; « cette sorte d'apothéose n'était pas le privilège des grands hommes; on ne faisait pas de distinction entre les morts » (p. 16). Parmi tous les morts, la cité honore particulièrement ceux qui lui ont rendu service ou même ceux qui, ayant de leur vivant, pour quelque raison que ce soit, frappé l'imagination populaire, apparaissent comme devant être puissants après leur mort. Le culte des morts en général est primitif, le culte des grands héros n'en est qu'un cas particulier. Au contraire, pour M. Foucart, la classe des héros est une classe privilégiée de morts « va de soi que tous les hommes ne devenaient pas des héros ». L'hérolsation était à l'origine le privilège des familles royales et princières « Le monde des héros était une aristocratie des morts qui continuait l'aristocratie des vivants L'évolution a consisté à étendre peu à peu ce privilège. Tandis que les Athéniens s'abstenaient de donner le titre de héros à leurs contemporains, quels qu'en eussent été l'illustration et les mérites, les autres cités décrétaient l'héroïsation de leurs concitoyens illustres, si bien que, de plus en plus répandu, le titre de héros n'était plus qu'une appellation honorifique presque aussi banale que celle de bienfaiteur ». Les familles elles-mêmes cherchaient à assurer à leurs défunts les honneurs et les bénéfices de l'héroïsation en instituant en leur faveur un culte, dont elles assuraient la perpétuité par la constitution de revenus inaliénables et par

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