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NÉCROLOGIE.

MARCEL DIEULAFOY.

Au moment où nous avons le vif regret de perdre notre éminent confrère Marcel Dieulafoy, décédé à Paris le 25 février 1920, c'est pour nous un devoir de rappeler, au moins en quelques mots, sa collaboration fidèle au Journal des Savants. Depuis 1904, il nous a apporté régulièrement son concours. Il l'interrompit en 1914, quand ayant repris avec une énergie admirable du service militaire, il partit pour les armées. Mais, la guerre finie, il se remit à l'œuvre; il y a quelques mois à peine il nous donnait l'important travail qui a paru dans les cahiers de 1919.

Les articles de Marcel Dieulafoy peuvent être répartis en trois groupes. Le premier est formé par les études relatives à l'histoire des arts dans l'Orient proche et dans l'Orient moyen, sujet qui resta depuis sa mémorable mission de 1880-86 l'objet constant de ses recherches: Le legs Franks (1906, p. 302) à propos du « trésor de l'Oxus » légué au British Museum par sir Augustus Wollaston Franks, Les mille et une Églises (1911, p. 241), Les Arts en Perse (1912, p. 385 et 444), Le palais d'Ukhaidir (1914, p. 384).

Non moins que celui de l'Orient, l'art de la péninsule hispanique sollicitait sa curiosité et l'on sait qu'il en exposa le développement historique dans un volume de la collection «Ars Una ». Il nous donna dans cet ordre d'études des analyses développées de l'Annuaire de l'Institut catalan (1910, p. 514 et 1912, p. 130) et deux articles sur l'art catalan: L'architecture catalane (1913, p. 193 et 260), L'architecture romane en Catalogne (1919, p. 113 et 225).

Enfin et en troisième lieu nous lui sommes redevables de morceaux d'un caractère plus général, tels que La sculpture polychrome (1904, p. 328 et 373), Vitruve (1910, p. 333 et 390), Le Congrès international d'histoire de l'art moderne à Rome (1913, p. 210).

La vie scientifique de Marcel Diculafoy fut dominée par une idée maîtresse les rapports entre l'art oriental et l'art occidental et l'influence que le premier a eue sur le second. Elle apparaît dans tous ses articles. Si variés que fussent les sujets qu'il traitait, elle en constitue l'unité,

LIVRES NOUVEAUX.

MME DENYSE LE LASSEUR, Les Déesses armées dans l'art classique grec et leurs origines orientales. vol. in-8. Paris, Hachette, 1919.

Un

Dans cette thèse, soutenue en juillet 1918 à l'École du Louvre, l'auteur s'est attaqué aux questions difficiles des origines. Le caractère guerrier donné à la femme paraît au premier abord paradoxal. Comment l'expliquer? Telle est la question initiale qui se pose. La déesse Athéna est le centre de ces recherches et elle occupe une bonne moitié du volume. D'où vient la déesse guerrière, protectrice d'Athènes? Mme Le Lasseur a voulu aller du connu à l'inconnu. Elle a considéré l'image de la divinité à l'époque classique; elle l'étudie dans ses diverses représentations, elle analyse ses attributs; puis elle remonte le cours des âges et, par delà l'époque de Pisistrate et de Solon, elle rencontre une Athéna pacifique, déjà reconnaissable dans quelques-uns de ses aspects classiques; elle est ainsi remontée jusqu'aux temps lointains où la personnalité de la déesse se fond avec le culte des phénomènes météoriques, avec l'adoration des bétyles et des Palladia. Même méthode pour l'étude d'Artémis, d'Aphrodite, d'Héra, etc., envisagées comme guerrières, en partant du ve siècle et des types réalisés par le grand art pour revenir aux sources.

Naturellement le préhellénisme, et surtout la Crète, ne pouvait manquer de s'ouvrir devant cette enquête : le bouclier bilobé, l'olivier, la double

hache, apparaissent là comme des éléments précurseurs de la mythologie des âges classiques; en bien des cas les femmes s'y présentent aussi en

armes.

Enfin, comment ne pas faire entrer l'Orient lui-même, avec ses civilisations séculaires, dans le cycle rayonnant autour de la Grèce? Mme Le Lasseur, sans se laisser rebuter par l'étendue toujours croissante de son sujet, a pénétré dans le vaste Orient et lui a consacré la seconde partie de son ouvrage. C'est là aussi, à mon avis, qu'elle a fait les découvertes les plus intéressantes, comme dans son chapitre sur les divinités syriennes où elle a publié une stèle encore inédite et importante du musée de Turin, représentant une déesse guerrière, assise en amazone sur son cheval et tirant de l'arc. Dans le chapitre qui clôt l'Orient et dans sa Conclusion elle a exprimé une idée originale: c'est que le matriarcat, souvent en usage dans les sociétés primitives, pourrait avoir donné naissance à la conception de la femme guerrière, car la femme a dû d'abord songer à se défendre, elle et ses enfants, quand elle a été abandonnée sans compagnon mâle. De même, chez les animaux, c'est la femelle qui reste l'élément actif et belliqueux durant la maternité. Le type de la déesse armée serait la divinisation de la mère dans son rôle tutélaire.

Malgré quelques défauts de jeunesse et d'inexpérience, qui se marquent dans des compilations trop étendues de livres lus et de leçons

T

entendues, ce volume, dû à un effort laborieux et persévérant de plusieurs années, avec son utile répertoire de 157 figures, comptera parmi les livres utiles de mythologie antique et apportera une aide efficace aux travailleurs. E. POTTIER.

J. E. SANDYS. Latin Epigraphy, an introduction to the study of latin inscriptions. Un vol. in-8 de 324 pages et de 50 fig. Cambridge, 1919.

Il y a beaucoup de choses, et de bonnes choses, dans le livre de M. Sandys; d'aucuns seraient presque tentés de penser qu'il y en a trop et que par exemple faire place, dans un livre sur l'épigraphie latine, aux inscriptions qu'on rencontre chez les auteurs classiques, c'est écrire sans doute un chapitre assez piquant et donner un recueil assez nouveau, mais c'est servir bien indirectement la cause de l'épigraphie, puisque ces textes de pure fantaisie n'ont rien de commun avec ceux qui ont été réellement gravés sur la pierre.

Dans la partie proprement épigraphique du volume, l'auteur semble de même s'être plus préoccupé de présenter des réflexions sur les inscriptions latines que de codifier les règles qui ont présidé à leur rédaction, les principes qui doivent présider à leur interprétation. Quand dans son chapitre vui: Inscriptions on public works, il passe en revue suivant l'ordre chronologique un certain nombre d'arcs de triomphe dont il énumère les dédicaces (p. 123 et suiv.), le lecteur peut être intéressé par ces cas particuliers et l'étudiant peut avoir avantage à les trouver rassemblés, mais y gagne-t-on beaucoup pour l'intelligence des inscriptions qu'on viendrait à découvrir sur le terrain ou qu'on

aurait soi-même à commenter? La même observation s'appliquerait à des notions sur les divinités celtiques identifiées aux dieux ou déesses du panthéon romain (p. 90-91) et il serait facile de citer d'autres digressions analogues. D'une façon générale, M. Sandys aime à appeler l'attention. sur des textes sortant de la banalité; on pourrait soutenir, en forçant la note, qu'il s'adresse plus aux esprits cultivés, curieux de l'antiquité, qu'aux travailleurs à la recherche d'un exposé dogmatique qui leur livre les secrets d'une discipline spéciale. Avec lui, on se promène à travers une galerie d'inscriptions bien classées, devant lesquelles un cicerone ingénieux apporte des explications attrayantes, puisées aux meilleures sources, s'attardant à certains documents, en passant d'autres sous silence sans qu'on voie très bien la raison du choix ou de l'exclusion, semblant attacher autant de prix à un texte exceptionnel, comme le monument d'Ancyre, qu'aux lois du cursus sénatorial ou équestre; je ne nie point qu'on l'écoute avec plaisir et non sans un réel profit; je me demande seulement si l'on sort de cette promenade aussi fortement armé qu'il le faut pour s'attaquer aux délicats problèmes qu'offrent la lecture, l'interprétation et la restitution des inscriptions latines.

Ce manque de caractère pratique, ou pour être plus exact cette insuffisance de caractère pratique, apparaît d'une facon frappante dans l'appendice III, consacré aux names and titles of roman emperors (p. 230 et suiv.). Tous ceux qui ont eu à s'occuper d'épigraphie savent quels services rendent ces tableaux qui permettent de fixer la date des divers titres impériaux et par là celle d'un texte. Encore

est-il indispensable que la consultation s'en fasse rapidement, qu'elle soit aussi simplifiée et aussi prémunie contre les chances d'erreurs que possible. Ici les tableaux sont compliqués les salutations impériales, les titres de victoires, les consulats s'enchevêtrent les uns dans les autres, suivant la succession des années, sans que les diverses mentions de même ordre soient groupées ensemble et isolées des autres, sans qu'on soit à même de se reporter immédiatement à la catégorie qui est en cause; de plus, les indications relatives à la tribunicia potestas sont rejetées en petits caractères hors tableau et les dates initiales de la supputation sont seules signalées, en sorte que pour chaque cas on doit se livrer à un calcul qui est forcément lent et dans lequel on se trompera certes plus d'une fois.

Il serait injuste d'exagérer la valeur de ces remarques; ces imperfections mises à part, le livre contient beaucoup de renseignements qu'on sera heureux d'avoir sous la main; l'érudition y est d'un excellent aloi et je suis convaincu qu'on aura bénéfice à le consulter. Ce n'est pas à proprement parler un manuel d'épigraphie; pour l'étude même des inscriptions latines, nous avons sans conteste beaucoup mieux en France. Mais si l'on considère l'ouvrage de M. Sandys de plus haut, - et son sous-titre y invite, comme ་་ une introduction à l'étude des inscriptions latines », il est bien fait, avec tout ce qu'il renferme, pour montrer l'intérêt d'une science à laquelle notre connaissance de l'antiquité est redevable d'un si précieux accroissement.

A. MERLIN.

J.-M. TOURNEUR-AUMONT. Études de

cartographie historique sur l'Alemanie. Un vol. in-8, 322 p. Paris, A. Colin, 1918.

Du e au vie siècle les Barbares du haut Rhin et du haut Danube connus sous le nom collectif d'Alamans jouèrent un grand rôle dans le monde occidental et exercèrent une influence considérable sur son histoire et sa géographie politique : « leur activité ou leurs agitations ont été une des plus puissantes causes de transformation du tableau de l'Europe ». M. Tourneur-Aumont s'est proposé de suivre les destinées.de ces peuplades, de préciser les étapes de leur évolution, les itinéraires qu'elles ont suivis, les conditions dans lesquelles finalement elles se sont fixées. Pour tout établissement barbare trois problèmes se posent : << celui de son apparition dans l'histoire, c'est-à-dire de son avènement historique comme groupe constitué dans une région; celui de ses relations avec les régions voisines, c'est-à-dire de son extension et quelquefois de son essaimage; celui de la disparition de son nom ou de sa réduction à un canton où il s'est perpétué ». Trois cartes successives, abondamment commentées, mettent donc sous nos yeux les Champs Décumates et l'Alemanie primitive, l'expansion des Alamans dans l'Empire romain, le premier duché d'Alemanie. Elles sont précédées

d'une ample introduction dans laquelle l'auteur fait connaître ses vues sur les méthodes et les procédés de la cartographie historique, les sources où il a puisé, les questions générales ou locales que soulève l'étude de l'Alemanie et auxquelles le progrès des connaissances devra permettre un jour d'apporter une réponse satisfai

sante.

Les Alamans sont mentionnés pour la première fois par Dion Cassius (LV, 22), à propos du règne de Caracalla; ils se trouvaient alors au delà du limes, dans la région du Mein. Au IVe siècle ils sont installés dans la partie de la province romaine de Haute-Germanie que Tacite appelait Tacite appelait Champs Décumates, entre le limes, le Rhin moyen et le Haut Danube. M. Tourneur-Aumont propose une interprétation nouvelle de l'expression énigmatique et discutée de Champs Décumates. Au chapitre XXIX de la Germanie, il lit decumatos agros, au lieu de decumates, ce qu'il traduit par « lotissements publics ». Les mots ager et decumatio étaient usuels dans le langage des agronomes et des lois agraires; ils font allusion à un mode spécial d'appropriation du sol; les agri decumati, c'est le territoire arpenté et délimité dans lequel le gouvernement romain, aux frontières de l'Empire, établit toute une population de colons, de vétérans, d'indigènes, chargés de défricher les forêts et de mettre les terres en valeur. Les Alamans habitaient d'abord au delà de cette zone, dans une sorte de « marche », bien commun (allmende) de tribus errantes dont nous connaissons quelques noms (Lentienses, Suevi, Bucinobantes, etc.). « Les Champs Décumates et l'Alemanie s'opposaient comme les degrés distincts d'occupation des clairières hercyniennes. » Au Ive siècle, grâce à l'affaiblissement du pouvoir central, à la retraite des garnisons romaines, à l'absorption des petites propriétés par les grands domaines, les Alamans s'infiltrèrent dans les Champs Décumates, dont les anciens habitants furent, selon les cas, massacrés, asservis ou respectés; ils s'attachèrent à ce pays et essayèrent

SAVANTS.

à leur tour de le défendre contre les Burgondes, auxquels ils voulaient imposer comme frontière l'ancien limes romain. « Il n'y eut pas de révolution brusque. Les invasions furent une colonisation, une histoire de partage de biens. L'Alemanie fut une région bordière dont Rome avait fait une zone d'attraction et qui crût, évolua aux dépens de l'Empire romain disloqué. >>

De là ensuite les Alamans rayonnèrent en tous sens. Quelquefois ils étaient appelés par les Romains euxmêmes, qui les prenaient à leur solde et leur assignaient des garnisons: << des noms de lieux de la France moderne rappellent la présence d'une gendarmerie alamane au service d'anciennes cités gallo-romaines ». D'autres fois, pressés par de nouveaux bans d'occupants dans les clairières hercyniennes, ils partaient à l'aventure, suivant les voies romaines qui conduisaient dans l'intérieur de l'Empire, où le désordre grandissait. Ils n'avaient pas d'unité politique et formaient une masse mouvante de pagi et de gentes dont la principale activité était la guerre. Il faut remarquer que << seuls parmi les grands groupements barbares, ils ne fondèrent pas d'Etat colonial qui propageât leur nom.... A la différence des Cimbres et des Teutons, des Suèves d'Arioviste, des Helvètes au temps de César et, plus tard, des Francs, des Burgondes, des Vandales, etc., les Alamans n'apparurent jamais comme un peuple en marche; ils ne firent que des incursions. » Les textes des auteurs et les survivances toponymiques permettent de retrouver les traces de leur passage, à travers la Gaule, jusqu'en Bretagne, en Espagne et en Narbonnaise, dans les régions danubiennes, en Italie, en

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