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rencontre un groupe qui est désigné par une appellation générale, læti gentiles, et dont le préfet romain, au lieu d'avoir une résidence unique, comme celui des læti acti à Ivoy ou celui des læti lagenses à Tongres, résidait alternativement à Reims et à Senlis. Longnon a trouvé, dans l'examen des noms de lieu, l'explication de cette anomalie. La banlieue nord-ouest de Reims est traversée par une voie antique connue sous le nom de chemin de Barbarie dont Hincmar justifiait déjà la dénomination par le souvenir du passage ou de la présence des barbares. Or ce chemin touche des localités telles Sermiers que (Sarmedus) et Gueux (Gothi) dont le nom rappelle celui des Sarmates et des Goths. De plus, dans toute la région desservie par cette voie, on relève des noms de lieu empruntés à ceux de diverses autres nations barbares, les Bourguignons (Burgundia, aujourd'hui Bourgogne), les Alamans (Alamannorum curtis, Auménancourt), les Francs (Villare Francorum, Villers-Franqueux), etc.; enfin chemin rejoint la voie de Soissons d'où partait, on le sait, un prolongement vers Senlis de sorte qu'il faisait communiquer les deux résidences du préfet des læti gentiles. Que conclure de cet ensemble de faits sinon que les origines si variées des barbares occupant cette région n'avaient pas permis de désigner le groupe qu'ils formaient par un ethnique spécial et que la double résidence du préfet était nécessitée par l'étendue du territoire sur lequel étaient établis les lètes placés sous ses ordres?

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Est-il besoin de citer d'autres exemples pour montrer de quelles ressources l'historien serait resté privé si des disciples aussi dévoués,

aussi rompus aux travaux d'érudition que MM. Marichal et Mirot ne s'étaient efforcés de réparer le tort que l'abnégation de leur maître avait risqué de porter à notre patrimoine scientifique le jour où il avait fait passer ce qu'il considérait comme son devoir académique avant la publication des trésors qu'il avait accumulés et qu'une mort prématurée devait l'empêcher d'entreprendre lui

même.

H.-François Delaborde.

H. DELEHAYE. Les Passions des Martyrs et les genres littéraires. Un vol. in-8. Bruxelles, 1921.

« Ce livre, dit l'auteur dans sa préface, n'est ni une histoire des persécutions ni un aperçu complet des sources historiques où elle est racontée. Notre seul but a été de faire valoir, en formulant les réserves et les distinctions nécessaires, la branche spéciale de la littérature chrétienne constituée par les actes des martyrs. Cette classe de documents est, comme on le sait, fort mélangée.... Nous croirions avoir rendu un utile service aux lecteurs moins familiarisés avec les méthodes de la critique hagiographique si nous avions réussi à leur donner le moyen de discerner entre des textes vénérables et ces amplifications prétentieuses qui, mérite littéraire à part, pourraient être mises sur la même ligne que les Martyrs de Chateaubriand. »

Comment l'auteur s'y est-il pris pour accomplir son dessein? Tout d'abord il divise les Passions des martyrs en trois catégories, qui sont celles sur lesquelles tout le monde est d'accord: les passions historiques, les

panégyriques et les passions artificielles.

Les premières sont représentées, par exemple, par l'hagiographie de Smyrne (passion de saint Polycarpe) par celle de Carthage (martyrs scillitains, actes de Perpétue et de Félicité, passion de Montanus, passion de Marien et de Jacob, actes de saint Cyprien, etc.) et par quelques autres textes de moindre importance. On y rencontre soit des actes officiels, soit des récits de contemporains écrits sans recherche de l'effet et sans exagération de zèle religieux.

Après Constantin, l'Église pouvant sans crainte de persécutions glorifier ses martyrs et proclamer leur courage à la face du monde, le récit fait place au panégyrique; un nouveau genre littéraire se constitue. Il est représenté brillamment par les grands orateurs cappadociens saint Grégoire de Naziance, saint Jean Chrysostome, saint Grégoire de Nysse et en Occident par quelques-uns des Pères de l'Église latine. C'est un genre bien tranché, intermédiaire entre l'histoire et l'invention pure, la poésie si l'on veut, où les morceaux sont rédigés surtout dans une intention d'édification et où l'orateur est tenu par l'exigence de son auditoire à sacrifier aux modes littéraires du temps et aux procédés de la rhétorique. Cela, bien entendu, aux dépens de la vérité sèche.

Enfin vient l'époque des Passions épiques il faut travailler sur des souvenirs lointains, sur des traditions déformées, sur des bruits sans précision; on se tire d'affaire en recourant aux lieux communs. Le martyr n'est plus un portrait; ce n'est plus « un homme sujet à toutes les faiblesses, qui souffre lamentablement dans sa chair, tandis que son âme reste iné

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branlablement attachée à la foi. C'est un être surhumain qui dispose à son gré de la force et de la faveur divine... c'est, dans des proportions grandies, le héros d'épopée. »

Telles sont les idées que l'auteur a développées dans le cours de son travail, avec une érudition, une finesse et une critique très remarquables.

Rien, d'ailleurs, de trop entier dans ces théories.

Il admet que les relations dites historiques sont moins absolument fidèles qu'on ne pourrait le penser. il faut tenir compte pour en juger la valeur documentaire du milieu auquel elles étaient destinées et de l'état d'esprit des auditeurs; dé plus un témoin oculaire peut se tromper, ou même, sans le vouloir, présenter les choses sous un jour qui fausse quelque peu pour nous la vérité. On doit donc garder sa liberté d'interprétation le culte exagéré du document écrit est, d'après l'auteur, un travers qu'une érudition étroite partage avec le vulgaire et que l'historien doit éviter — conception qui nous paraît très dangereuse, liberté qui peut aisément ouvrir la porte, surtout en matière religieuse, aux imaginations les moins fondées.

D'autre part, il ne convient pas de repousser absolument les compositions artificielles et de les reléguer dans le domaine de la littérature pure. Il peut y avoir dans ces morceaux des parcelles de vérités, provenant de sources écrites aujourd'hui perdues ou de traditions orales.

Pour saisir ces nuances il est besoin d'une critique subtile et très méthodique. L'auteur a posé à cet égard certaines règles que feront bien de méditer ceux qui s'attachent à l'étude des textes hagiographiques.

R. C.

Catalogue of the Morgan Collection of Chinese Porcelains. Privately printed by order of Mr. J. Pierpont Morgan. 2 vol. in-8 en 3 parties, XVII195 p., 77 pl.; LXX111-145, pl. 78 à 157. New-York, 1904-1911.

Depuis l'époque (1856) à laquelle Stanislas Julien traduisait les ouvrages chinois qui traitaient de l'histoire et de la fabrication de la porcelaine chinoise, Albert Jacquemart et Edmond Le Blant nous ont donné une Histoire artistique, industrielle et commerciale de la Porcelaine (1862) et Jacquemart seul une Histoire de la Céramique. A leur suite Edouard Garnier (1882), O. Du Sartel (1881) et d'autres ont étudié la porcelaine chinoise. En 1894, Ernest Grandidier, sous le titre de La Céramique chinoise donnait un beau livre qui avait pour base la superbe collection que son propriétaire devait léguer généreusement au Musée du Louvre. En Angleterre, S. W. Bushell, Cosmo Monkhouse (1901), W. G. Gulland (1898), F. Brinkley, R. L. Hobson (1915); en Allemagne, F. Hirth, ont publié d'importantes études.

Mais aucun pays n'a surpassé, ni même égalé les Etats-Unis pour la beauté de l'exécution des planches de céramique dans l'Oriental Ceramic Art paru à New-York en 1897.

Un richissime américain de Baltimore, William Thompson Walters, mort le 20 novembre 1891, fut le premier dans son pays à commencer, il y a une soixantaine d'années, une collection de céramique orientale, que, sur le conseil de Sir A. Wollaston Franks, du British Museum, il pria le Dr Stephen Wootton Bushell, de la légation britannique de Peking, bien connu par son manuel Chinese Art écrit pour le Musée de Kensington, de

décrire. L'ouvrage intitulé Oriental Ceramic Art parut à New-York chez Appleton, en 1897. Il se compose de dix albums reliés en carton jaune avec le dragon à cinq griffes en couleurs et renfermés dans cinq boîtes de soie verte. En tête du premier volume est le portrait de Walters, puis la préface de William M. Laffan, datée May 1896. Les planches en couleurs sont d'admirables lithographies exécutées par Louis Prang, de Boston; je goûte peu toutefois les reflets des vases monochromes; cette invention de Jacquemart dans son catalogue gravé des pierres précieuses du Louvre ne me paraît pas heureuse. L'ouvrage était tiré à 500 exemplaires au prix de 500 dollars!

Un collectionneur avec une immense fortune aussi avisé que l'était le regretté J. Pierpont Morgan, ne pouvait manquer de comprendre parmi ses trésors de toute nature une série de beaux spécimens de porcelaine chinoise; il n'y a pas manqué et dès 1904, il en faisait imprimer le catalogue à NewYork avec, en tête, des notes de William M. Laffan, le même qui avait écrit la préface du catalogue Walters. Morgan fit appel à la plume expérimentée du Dr S. W. Bushell qui en donna une nouvelle édition en 1907 pour le Metropolitan Museum of Art de New-York.

Enfin en 1911 paraissait un second volume avec une introduction historique de Bushell tirée de son ouvrage Chinese Art édité par le Musée de South Kensington. Les planches sont sur une plus petite échelle que celles de Walters, mais elles ont l'avantage, à mon avis, de ne pas reproduire les reflets des vases monochromes. Ce catalogue est une superbe publication malheureusement peu accessible au

grand public. Grâce à la générosité des héritiers de Morgan, la Bibliothèque de l'Institut en possède un exemplaire.

H. C.

S. FLURY. Islamische Schriftbänder, Amida-Diarbekr, XI. Jahrhundert. Anhang Kairuan, Mayyâfâriqin, Tirmidh. 1 vol. in-4, 52 p. et 20 pl. hors texte. Basel, Frobenius; Paris, P. Geuthner, 1920.

D'importantes publications parues en ces dernières années et les travaux épigraphiques de feu Max van Berchem, associé étranger de l'Académie des Inscriptions, ont mis à la portée des chercheurs des points de comparaison qui n'étaient guère accessibles, il y a peu de temps encore, qu'à de rares voyageurs munis de ressources variées. Il s'agit de l'histoire des arts de l'Islam, et surtout de l'architecture, le seul qui se soit développé d'une manière originale, à côté des arts industriels qui ont, eux aussi, produit de belles œuvres, dignes d'attirer l'attention des connaisseurs, comme elles le font depuis quelque temps. M. Samuel Flury, professeur à Bâle, a entrepris des recherches sur un domaine restreint, celui des bandeaux en écriture koufique qui contribuent à la décoration des surfaces, soit dans les mosquées, soit même sur des constructions militaires telles que les murailles des villes. L'écriture koufique, par elle-même, est assez raide et sèche; on s'est plu bien vite à l'enjoliver; on a contourné de diverses façons les traits qui la composent, et le fond sur lequel elle s'enlève a fini par être décoré d'arabesques variées. Cela n'en facilite pas la lecture, mais c'est très joli à l'œil, M. Flury, en

décomposant les traits de l'écriture et en les étudiant séparément au moyen de monuments datés, est parvenu à en écrire l'histoire et a ainsi posé des jalons très sûrs pour des recherches ultérieures.

L'auteur, s'est borné à étudier les monuments du XIe siècle de Diyarbékir, publiés par MM. van Berchem et J. Strzygowski dans leur ouvrage capital sur Amida (nom antique de cette ville, conservé dans le turc Qara-Amid), que Nâçir-i Khosrau, en 1046, déclarait hors de comparaison avec les autres cités qu'il avait visitées. L'épigraphie arabe de cette époque remonte aux dynasties des Merwanides et des Seldjouqides. Le plus ancien monument sur pierre de ce genre, à l'époque musulmane, est l'inscription du Nilomètre de l'île de Rauda, près du Caire, vers 199 (797); mais l'auteur laisse délibérément de côté ceux qui sont antérieurs à l'an 1000 de notre ère, comme en dehors de son sujet. Au point de vue de l'histoire de l'art, les bandeaux d'écriture ornementale sont les plus originales créations de l'art musulman, et leur point culminant est précisément le xie siècle où l'on constate une richesse inépuisable des formes. L'auteur entreprend l'analyse détaillée des éléments, d'un côté les lettres de l'alphabet, avec l'étude de leurs formes variées, de l'autre les fioritures empruntées au règne végétal et stylisées. A titre de curiosité, signalons, p. 18, un oiseau posé sur la lettre 'aïn; si c'est un oiseau de proie, ce pourrait être les armes parlantes d'une tribu turque; mais il est invraisemblable que l'artiste fût de cette origine, et cette figure pourra difficilement passer pour une signature déguisée au moyen d'un rébus; il n'en serait pas de même

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si, comme c'est probable, le sculpteur ornemaniste était persan.

On suit aisément, grâce à la comparaison, la marche du développement : l'arc en demi-cercle devient petit à petit les trois quarts d'un cercle, qui se termine ensuite par un trèfle; on constate aussi les variantes individuelles créées par les lapicides. Avec les Seldjouqides, le décor devient encore plus varié, plus riche; les traits verticaux forment des tresses, surtout à la grande mosquée, dont la date est donnée par une inscription de MalakChâh (484-1091). Une preuve, toutefois, qu'il ne faut pas se fier exclusivement aux données artistiques pour établir l'âge des monuments est fournie par ce fait (p. 16) que l'inscription de la porte de Kharpout à Diyarbekir pourrait être attribuée par son style à un souverain Seldjouqide, tandis que la date montre qu'elle remonte au Merwanide Abou-Naçr Ahmed.

Un appendice étudie, à titre de renseignement complémentaire, la maqçoûra construite dans la mosquée de Sidi-'Oqba à Kairouan par AbouTémîm Mo 'izz (406-453 hég.), une inscription de Saladin sur les murailles de la ville de Mayyâfâriqîn, à 70 kilomètres à l'est d'Amida, découverte par miss G. L. Bell et non encore publiée (elle offre cette particularité d'être en koufique, alors que les inscriptions connues du grand adversaire des Croisés sont toutes en neskhî rond), et enfin la tour en briques de Tirmidh, dans le Khanat de Boukhara, où le revêtement de stuc disparu avec le temps laisse à nu le champ de briques entrelacées formant le fond.

Les recherches originales auxquelles s'est livré M. Flury sont les premières de ce genre, et on n'en saurait dissimuler l'importance, tant au point de

SAVANTS.

vue paléographique qu'à celui de l'étude des arabesques. Les données historiques qu'il a établies sont définitivement acquises à l'histoire de l'art et forment un utile complément au Manuel d'archéologie de MM. Saladin et Migeon. Il ne reste qu'à continuer l'œuvre sur les mêmes principes, tant en remontant aux origines qu'en suivant le développement de l'ornementation aux époques postérieures, et cela prouvera une fois de plus quelle fut l'influence prépondérante de la Perse sur l'art des contrées converties à l'islamisme.

CL. HUART.

C. AUTRAN. Phéniciens. Essai de contribution à l'histoire antique de la Méditerranée. In-4, xv-146 p. Paris, Geuthner, 1920.

Les vieilles légendes et l'histoire ancienne des Grecs attribuent aux Phéniciens une part notable dans les origines et le développement de la civilisation hellénique. Mais ces Phéniciens ne sont pas, comme on l'a cru, les Sémites chananéens qui, vers le XIe siècle avant notre ère, occupaient la région de Tyr et de Sidon. La Phénicie sémitique masque la vraie Phénicie, égéenne ou asianique, à laquelle elle a succédé. C'est d'un peuple d'Asie Mineure, tout différent des Sémites par la langue et par l'esprit, que la Grèce a reçu ses dieux, ses traditions, une partie de son vocabulaire, son agriculture, sa marine, et même (ce qui paraîtra peut-être le comble du paradoxe) son alphabet. Les Phéniciens étaient à l'origine des Cariens ou des Lélèges. Telle est la thèse, disons plutôt l'hypothèse, sur laquelle il faudrait, d'après l'auteur,

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