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les seuils des temples étaient considérés comme les limites de l'enceinte sacrée. On lit des formules d'imprécations analogues sur une stèle de Šilhac In Šušinak (Scheil, XI, 56), sur une pierre d'axe de porte (ibid., 68), sur une brique de Huteluduš In Šušinak (ibid., 73), sur une statue en pierre calcaire d'Untaš-Gal (ibid., 13).

Mais ce sont les rois Kassites qui, les premiers à notre connaissance, ont appliqué cet usage babylonien à perpétuer le souvenir d'un acte juridique, à commémorer sur une pierre de bornage l'acquisition d'une propriété foncière. Le plus ancien koudourrou qui nous soit parvenu est du règne de Kurigalzu, environ 1400 ans avant notre ère (King, 2). Ce sont aussi sans doute les Kassites qui ont importé des districts montagneux de la Perse occidentale, leur pays d'origine, l'usage de ces galets pour marquer les limites des propriétés. Quant aux symboles divins figurés sur les koudourrous, L. W. King conjecture qu'il s'agit également d'une coutume Kassite, car si, dans bien des cas, les dieux dont on reproduit les symboles sont ceux dont les noms sont mentionnés dans l'acte Scheil, II, 89, 114; Hinke, 153, 193; King, 4, 6-9), il n'y a pas toujours concordance entre les divinités figurées et celles qui sont indiquées dans les imprécations.

Les koudourrous du British Museum sont au nombre de vingt-trois, sur lesquels douze sont des fragments plus ou moins mutilés. La plupart sont datés des III, IV, VIII et IX dynasties babyloniennes; quatre sont de la période néo-babylonienne; six sont de date incertaine.

En dehors des koudourrous, la collection du British Museum comprend deux sortes de monuments qui présentent des analogies avec les pierres de bornage soit par leur objet, soit par leur forme. Ce sont d'abord douze tablettes de pierre où sont gravés des actes semblables à ceux qu'on lit sur les koudourrous, mais qui ne sont pas destinées à être exposées en public ni dans un temple; elles n'ont ni symboles divins ni imprécations, ou elles ont des symboles sans imprécations. Ce sont ensuite deux cippes commémoratifs de bienfaits reçus ils ont la forme des koudourrous, mais leur objet n'a aucun rapport avec le bornage des propriétés foncières. Il y a là au total trente-sept documents, dont vingt-sept étaient inédits et peu près inaccessibles au public.

à

La publication par le P. Scheil des koudourrous découverts à Suse par la Délégation française en Perse a décidé l'administration du British Museum à publier à son tour sa collection. Elle a confié cette tâche à L. W. King, qui s'en est acquitté avec le soin et la compétence que l'on pouvait attendre d'un des savants qui connaissent le mieux les antiquités de l'Assyrie et de la Chaldée. En rapprochant la collection de Londres de celle du Louvre et de quelques unités conservées à Paris au Cabinet des Médailles, à Berlin et à Philadelphie, en y joignant encore un koudourrou acquis par le Louvre en 1914, on peut aujourd'hui déterminer les cas où l'on faisait usage de ces galets, et les différences qui les séparent des tablettes de pierre et des cippes commémoratifs.

J'ai fait connaître, il y a quelques années, les résultats auxquels m'avait conduit l'étude des koudourrous du Musée du Louvre et de ceux du British Museum qu'on avait alors publiés ou que j'avais pu entrevoir dans les salles du Musée". J'ai constaté avec plaisir que mon étude a servi de base à la publication de M. King, et qu'elle est confirmée dans son ensemble par les inscriptions qu'il a éditées pour la première fois ou dont il a donné un texte plus correct que ses prédécesseurs. King accepte la distinction que j'ai proposée entre deux classes de monuments qu'on avait antérieurement confondus: les koudourrous et les tablettes de pierre commémoratives. Cette distinction ne suffit plus aujourd'hui. Parmi les monuments du British Museum, il en est quatre que King a classés sous la rubrique Miscellaneous Texts; en réalité, les n° 35 et 36 rentrent dans la catégorie des tablettes de pierre, les n° 34 et 37 ont un caractère entièrement différent de celui des tablettes et des pierres de bornage.. Les koudourrous ont pour objet principal de placer sous la protection des dieux la constitution d'une propriété privée faite par le roi aux dépens d'une tribu. Le roi acquiert à titre onéreux ou gratuit une terre, propriété collective d'une tribu, et la donne à titre de propriété privée à un particulier ou à un temple. La donation royale est parfois accompagnée d'un acte de franchise ou, lorsqu'elle est

(1) Édouard Cuq, La propriété foncière en Chaldée, d'après les pierreslimites du Musée du Louvre (Nouvelle

Revue historique de droit français et étranger, 1906, XXX, 701-738. Cf. XXXII, 1908, p. 463-478).

faite à un prêtre, de l'attribution d'une part des revenus du temple auquel il est attaché. L'usage des koudourrous a été étendu, dans certains cas, à la protection de la propriété privée, acquise par achat, donation, constitution de dot, échange ou partage.

I

LES PIERRES DE BORNAGE ET LA PROPRIÉTÉ DE TRIBU.

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Tandis qu'à l'époque de Hammourabi, le régime de la propriété foncière est celui de la propriété individuelle avec des survivances du régime de la propriété familiale, la propriété collective de la tribu apparaît, à l'époque des rois Kassites et de leurs successeurs, dans certaines régions frontières, habitées par des populations d'une civilisation moins avancée que celle des Babyloniens. Elle s'étend à de vastes superficies formant un ou plusieurs districts, suivant l'importance de la tribu. Les terres de chaque district étaient divisées en plusieurs cantons et subdivisées en parcelles réparties entre un certain nombre de membres de la tribu, établis dans des villes ou villages et qui, en fait, étaient les maîtres de la terre (King 5, col. 3, 15).

Quelles étaient ces tribus et comment s'étaient-elles fixées en Babylonie? Les Kassites ou Kosséens apparaissent dans l'histoire au temps de Samsu-iluna, fils et successeur de Hammourabi. La neuvième année de son règne tire son nom de la victoire qu'il a remportée sur leur armée. Un siècle et demi plus tard, les Kassites, victorieux à leur tour, imposèrent leur domination. Le premier roi de la dynastie Kassite, Gandaš, s'intitule roi des quatre parties du monde, roi de Sumer et d'Akkad, roi de Babylone. Un de ses successeurs Kastiliaš, le troisième de la dynastie, agrandit son royaume en s'emparant du pays de la Mer, qui formait un état séparé au sud de la Babylonie.

Dans la période intermédiaire, au cours de la lutte qui se poursuivit avec des alternatives de succès et de revers, il se pourrait que les rois Babyloniens, pour protéger les terres données à leurs servi

teurs dans une région naguère occupée par l'ennemi et en prévision d'un retour offensif, aient jugé utile de les placer sous la sauvegarde des dieux en empruntant aux Kassites l'usage des pierres de bornage; mais jusqu'ici on n'en a pas d'exemple.

Après la conquête, les terres dont les occupants avaient été expulsés, particulièrement dans les régions frontières, furent réparties entre le roi et les tribus Kassites descendues de leurs montagnes dans la plaine du Tigre, à la suite de l'armée victorieuse. Les premières étaient la propriété du roi. De temps à autre il en cédait des parcelles plus ou moins étendues soit à un temple pour les besoins du culte, soit à un particulier pour récompenser des services rendus. La propriété changeait de maître, mais son caractère n'était pas modifié : c'était une propriété privée.

En pareil cas, la donation royale était gravée sur une tablette de pierre. Une de ces tablettes, trouvée à Suse et publiée par le P. Scheil (II, 95), est au Musée du Louvre. Le donateur est le roi Kastilias; le donataire, Agabtaha, un réfugié du pays d'Haligalbat, qui avait quitté sa patrie située à l'Ouest de l'Assyrie pour s'établir à Padan, , entre le Turnat et le mont Yabnan. La donation a pour objet dix gurs de terre arable dans la ville de Padan. La formule d'imprécation très brève invoque la malédiction des dieux du roi contre quiconque ravirait le champ.

Trois siècles plus tard, la portion disponible des terres du roi est sans doute en majeure partie épuisée. Les donations royales ont souvent pour objet des terres de tribus. Le roi demandait à un chef de tribu de lui céder les terres dont il avait besoin. La propriété collective était transformée en propriété privée; l'acte était

(4) Dans ce texte et les suivants, la superficie des terres est indiquée en gur, mesure de capacité, et non en gan. Le gur exprime ici la quantité de grains nécessaire pour ensemencer un gan de terre arable. En général, on compte 3 sat ou 30 qa par gan mesuré avec la grande coudée. Le gan des koudourrous est à l'ancien gan, mesuré avec la coudée ordinaire de o m. 495, dans le rapport de 9 à 4. D'après les

SAVANTS.

calculs de M. Thureau-Dangin (Journal Asiatique, 1909, p. 99; Revue d'Assyriologie, 1919, XVI, 131), c'est un carré de 89 m. 10 de côté et de 7938 m2 81 de superficie. Dans l'un des koudourrous de Londres (King, 5), on a soin de préciser la quantité de grains nécessaire, par gan; cette quantité devait varier suivant la fertilité et la terre.

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gravé sur un koudourrou et placé sous la protection des dieux. C'était, pensait-on, le moyen le plus sûr de faire respecter le droit transmis au donataire, d'écarter les réclamations qu'auraient pu former les membres de la tribu en se fondant sur une possession immémoriale.

Le koudourrou était-il toujours en pierre et revêtu des symboles divins? Le British Museum en a un en argile (King, 1). Le roi, Kadašman-Ellil confirme une donation faite à un prêtre par un de ses prédécesseurs Kurigalzu, fils de Kadašman-harbè. L'acte est gravé sur un cône massif d'argile cuite, d'environ o m. 25 de haut sur o m. 16 de large à la base, et placé sous la protection de Ninib, le dieu des pierres de bornage (bêl ku-dur-ri).

Mais il est vraisemblable que c'était un cippe provisoire destiné à être remplacé par la pierre de bornage lorsqu'on aurait eu le temps de se la procurer et d'y graver les symboles et l'inscription. Ce procédé était préférable à celui qui paraît avoir été employé auparavant on utilisait un galet qui avait déjà servi. C'est le cas d'un galet ovoïde, avec symboles et imprécations, contenant une donation du roi Kurigalzu (King, 2). L'une des faces garde encore les traces de l'inscription primitive qui a été grattée; la nouvelle inscription a été gravée sur une autre face.

On ne peut d'ailleurs, pour ces deux koudourrous, affirmer qu'il s'agit d'une propriété de tribu : la première inscription est mutilée; dans la seconde, il est dit seulement que la terre est dans le district de la cité de Dêr (Dur-ilu), sur la frontière de l'Elam. Il en est autrement pour les koudourrous suivants qui montrent bien comment, dès le règne de Nazi-Maruttaš, fils et successeur de Kurigalzu, le roi obtenait la cession de la terre qu'il voulait donner.

La cession avait lieu à titre onéreux ou à titre gratuit. Le roi achetait la terre à la tribu. Le prix était payé ordinairement en argent (Scheil, II, 86, 99; VI, 32, 39), parfois en marchandises, telles que blé, huile, vêtements, harnais, chariots, bœufs et ânes (King, 7), dont la valeur pécuniaire était équivalente au prix convenu. L'indemnité remise à la tribu n'est pas mentionnée dans King, 4, 5, mais rien n'autorise à penser que la terre ait été livrée sans compensation ou sans l'assentiment des chefs de la tribu.

La cession à titre gratuit était consentie par le chef de la tribu sur

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