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guerre de Cent ans, ni ceux que les rois d'Angleterre attirèrent en Normandie et en Calaisis à la même époque, ni les fonctionnaires que les Espagnols envoyèrent en Franche-Comté et en Artois ne laissèrent ethniquement de traces profondes et durables. Mais il en est autrement de certains groupements établis pacifiquement en France. Témoins les Écossais qui depuis le XIV jusqu'au XVII siècle, à diverses reprises, s'implantèren tà la faveur des liens étroits d'une politique commune contre l'Angleterre. Nombre d'entre eux servirent pendant la guerre de Cent ans dans les armées françaises; sous Charles VII, sous Louis XI de véritables colonies écossaises s'établirent dans le centre de la France, sur les bords de la Loire; au xvi° siècle les mariages lorrains, l'union éphémère de François II et de Marie Stuart entretinrent cette infiltration; mais ce fut sur tout au moment où les Stuarts chassés d'Angleterre cherchèrent un refuge à la cour de Louis XIV que l'émigration devint abondante. Plus de 20,000 familles irlando-écossaises se fixèrent en France, et souches de nombreuses familles encore existantes, apportèrent un élément ethnique appréciable à notre race.

A côté de cette immigration écossaise, il convient de donner une place aux Espagnols et aux Portugais; l'alliance franco-castillane qui dura du xII° à la fin du xv siècle, détermina un mouvement continu encouragé par les facilités que les rois de France, fidèles à leur politique, ne cessèrent d'accorder aux habitants de la péninsule qui se fixèrent dans le royaume. Nombreux furent les Castillans qui, tout le long des côtes de l'Océan et de la Manche, fondèrent des colonies; Bordeaux, la Rochelle, Nantes, la Bretagne entière, Caen, Rouen et Dieppe les virent, pilotes, armateurs, négociants en fer, en laines, en blés, en toiles, trafiquants de denrées coloniales, accaparer le commerce de ces régions, entrer dans la bourgeoisie, et médecins, avocats, officiers de justice, fonctionnaires municipaux, parlementaires, y pénétrer profondément dans la vie sociale. Ce qui se passait à l'ouest se retrouvait à Marseille, à Lyon, à Montpellier, à Arles, à Avignon, à Toulouse. Les Espagnols aux xv et xvr° siècles avaient pacifiquement entrepris la conquête économique de la France. Si les guerres du xvI° siècle ralentirent ce mouvement, si une manifestation de nationalisme se produisit à leur détriment, cependant les Espagnols ne cessèrent

pas d'affluer; l'Inquisition établie en 1492 fit partir d'Espagne les juifs et les néo-chrétiens; l'expulsion des moresques en 1609 valut au midi de la France bien des milliers des 900,000 personnes ainsi chassées; de même que la révolution qui unit le Portugal à la monarchie de Philippe II avait fait émigrer en France de nombreux partisans d'Antonio de Crato. Ces néo-chrétiens, ces maranes, ces morisques peuplèrent les villes du Midi, et c'est à eux que l'on doit l'origine de ces colonies si importantes dans l'histoire économique et bancaire de cette partie de la France au xvII° siècle. LEON MIROT.

(La fin à un prochain cahier.)

NÉCROLOGIE.

ROBERT DE LASTEYRIE.

Si le comte de Lasteyrie, membre de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, mort le 29 janvier dernier, n'a collaboré que tardivement, à partir de 1908, au Journal des Savants, du moins l'a-t-il fait avec cette vigueur d'esprit dont il a témoigné dans toute sa carrière et jusqu'à ses derniers jours. Rien ne sortait de sa plume qui ne fût achevé. Aussi, toutes les qualités de son talent apparaissent-elles dans les articles qu'il a écrits pour le Journal des Savants: solidité de la documentation, raisonnement d'une logique serrée, netteté de la pensée, vues larges, clarté et élégance naturelle de la langue et surtout ce sens critique qui était l'un des traits caractéristiques de son esprit et qui convenait particulièrement au genre littéraire d'une revue dont l'objet est de rendre compte d'ouvrages récemment parus. Non content d'analyser les livres, il reprenait les questions traitées par les auteurs et proposait des solutions fondées sur ses propres observations, élargissait le sujet ou formulait des règles de méthode.

Les ouvrages archéologiques anglais, tels que ceux de M. Francis Bond sur l'architecture gothique en Angleterre (février 1908), sur l'architecture religieuse (juillet 1915) et sur les monuments du sanctuaire, dans le même pays (décembre 1916) lui fournirent l'occasion de faire ressortir l'importance des travaux consacrés par les archéologues d'outre-Manche aux monuments du moyen âge, et bien longtemps avant que les nôtres eussent

SAVANTS,

commencé à y appliquer leur attention. Mais quelle que fût l'autorité d'un savant, elle ne lui en imposait pas, et jamais il ne se ralliait à une thèse nouvelle sans avoir examiné lui-même les arguments sur lesquels on l'appuyait. C'est ainsi que, MM. Bilson et Bond ayant prétendu reporter aux premières années du XIIe siècle les voûtes sur croisée d'ogives de la cathédrale de Durham, il examina les détails de la construction de cette église, et par des rapprochements avec deux églises normandes, SaintNicolas de Caen et Saint-Georges de Boscherville, établit que ces voûtes refaites avaient remplacé des voûtes d'arêtes. Ainsi encore il montra que la cathédrale de Wells n'a été construite que dans le premier quart du x siècle et non pas entre 1174 et 1191. Il fit aussi des réserves sur l'importation du style flamboyant d'Angleterre en France.

Les archéologues anglais ont étendu leurs recherches aux monuments français, ceux du moyen âge et ceux de la Renaissance et des temps modernes. M. de Lasteyrie n'hésitait pas, en juillet 1912, à proclamer les deux volumes dans lesquels M. W.-H. Ward a suivi le développement de l'architecture en France depuis la Renaissance jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, l'ouvrage le plus complet sur la matière. Les études spéciales de M. de Lasteyrie sur l'architecture du moyen âge et l'admiration qu'elle lui inspirait, n'avaient pas donné à son goût un caractère exclusif, pas plus que l'habitude de disséquer les monuments n'avait oblitéré chez lui le sentiment esthétique, de telle sorte qu'il ne demeurait pas « insensible aux exquises fantaisies décoratives de nos châteaux du xvi° siècle, à la majesté des palais bâtis par Louis XIV, ou à la grâce charmante de tous ces hôtels particuliers qui furent élevés aux XVIIe et XVIIIe siècles » dans toutes les villes de la France. Un autre livre anglais, sorti de la collaboration de cinq archéologues, et intitulé The church of the Nativity at Bethlehem, trouva en M. de Lasteyrie un censeur sévère. A son avis, la composition en était défectueuse dans son ensemble et dans ses parties. En quelques mots il indiquait la méthode à suivre dans la monographie d'un édifice : « Diviser l'ouvrage en deux parties, la première consacrée à l'histoire du monument et comprenant, à leur ordre chronologique, tous les textes sur lesquels cette histoire est établie; la seconde consacrée à sa description, et dans laquelle l'auteur, s'aidant des renseignements historiques qu'il a rassemblés plus haut, des éléments de comparaison fournis par les monuments similaires, et de toutes les observations qu'a pu lui suggérer une analyse approfondie de l'édifice, s'attache à en dater les diverses parties. >>

Le dernier article donné par M. de Lasteyrie au Journal des Savants,

en mars 1917, traitait de la cathédrale de Reims, à propos du livre de M. L. Bréhier, livre d'un savant « qui sait écrire et qui a le souci de la composition », par quoi il devait plaire à notre confrère, toujours et justement préoccupé de présenter ses idées sous la forme la plus parfaite. Il n'y avait pas de sujet qui lui fût plus familier que cette cathédrale de Reims, expression la plus complète de l'art gothique français. L'examen des propositions de M. Bréhier sur la statuaire de cette église est un morceau dont les historiens de la sculpture française devront désormais tenir compte. En ce qui concerne le sens de cette décoration, il a repris la question, controversée, de savoir si les figures des rois qui s'alignent sur la façade, et non pas de la seule cathédrale de Reims, mais aussi des cathédrales de Chartres, de Paris et d'Amiens, toutes dédiées à la Vierge, représentent les rois de Juda ou les rois de France. Au point de vue de la technique, M. de Lasteyrie examina la répartition des statues entre divers maîtres et conclut qu'il serait plus prudent et plus scientifique de parler d'ateliers.

En résumé, tous les comptes rendus du maître ont le caractère d'articles originaux. La critique des livres n'était pour lui qu'un point de départ, une occasion d'énoncer ses propres idées sur le sujet.

MAURICE PROU.

LIVRES NOUVEAUX.

Carl Maria KAUFMANN. Handbuch der altchristlichen Epigraphik. Un vol. in-8. Fribourg en Brisgau, Herder, 1917.

Le manuel d'épigraphie chrétienne de Mgr Kaufmann est un livre recommandable; il est très au courant de la matière et riche de renseignements, plus peut-être que d'enseignements, j'entends par là que la première partie la première partie du volume, celle qui traite de la technique des inscriptions chrétiennes (paléographie, rédaction des inscriptions, dates) n'est point présentée d'une façon assez pratique. Ainsi, pour prendre deux exemples, elle ne contient pas de précisions sur la forme du chrisme aux différentes épo

ques, l'auteur se contentant de renvoyer à un autre de ses ouvrages (p. 40); or c'est un élément de datation capital pour les textes chrétiens. De même (p. 39) on trouve, noyée dans le texte, une petite liste d'abréviations épigraphiques, en deux pages; un bon nombre appartiennent à l'épigraphie païenne aussi bien qu'à la chrétienne, et les abréviations proprement chrétiennes ne sont pas toutes signalées; pourquoi choisir et de quel droit? Ceci posé, pour éviter aux travailleurs des déceptions, il faut leur dire qu'ils trouveront dans le reste de l'ouvrage, sinon un manuel, un traité complet des inscriptions chrétiennes, l'énumération de toutes les sortes que l'on peut rencontrer et leur classifi

cation d'après la nature des rensei- | graphique, bien divisé : Atticus y est gnements qu'elles contiennent

-

et

cela non point seulement pour Rome, mais dans les différentes provinces de l'Empire. Un chapitre (p. 132 el suiv.) est consacré aux acclamations, si fréquentes sur les marbres chrétiens, aux différentes formules rappelant la résurrection, la vie céleste, aux mentions des martyrs et de leur culte; un autre (p. 227 et suiv.) aux dignitaires de l'Église et à la hiérarchie ecclésiastiques. Une quinzaine de pages traitent des graffites, y compris celui du Palatin ou Mgr Kaufmann reconnaît, contrairement à des opinions récentes et conformément à la croyance ordinaire, une caricature du Christ. Les inscriptions damasiennes et postdamasiennes sont longuement examinées. Pour finir, l'auteur réunit dans un chapitre développé un certain nombre de types d'inscriptions de toute nature, sans oublier les marques de briques ni les textes sur mosaïques; la carte géographique de Madaba donne lieu à un développement étendu.

Le livre se termine par des tableaux: fac-similés d'alphabets païens et chrétiens, latins et grecs; calendrier julien et calendrier égyptien; liste des indictions; tableau synoptique des papes, des empereurs et des consuls de 6 à 604 après J.-C.

L'illustration est très abondante et très réussie.

R. CAGNAT.

ALICE HILL BYRNE. Titus Pomponius Atticus, chapters of a biography, dissertation pour l'obtention du grade de docteur en philosophie. Une broch. in-8, 102 p. Bryn Mawr (Pennsylvanie), 1920.

C'est un consciencieux mémoire bio

étudié successivement comme homme d'affaires, comme homme de lettres, com.ne politique. L'auteur possède bien les textes, et est au courant des travaux de ses devanciers. On regrette : seulement qu'il ne fasse pas au chapitre de Boissier dans Cicéron et ses amis la part qui convient; le reproche qu'il lui fait d'être un reflet de Drumann est singulièrement injuste: il y a vraiment bien loin du lourd monument d'érudition du savant allemand aux pages si alertes, si pénétrantes, si personnelles de l'écrivain français. Et la dissertation qui nous arrive d'Amérique n'est pas, malgré ses qualités de solidité et de méthode, pour faire oublier le chapitre de Boissier.

L.-A. CONSTANS.

La Colección cervantina de la Sociedad Hispanica de América (The hispanic Society of America). Ediciones de Don Quijote, por Homero SERÍS. Un vol. in-4, 159 p. University of Illinois, 1918.

M. Homero Seris a voulu, pour commémorer le troisième centenaire de la mort de Miguel de Cervantes Saavedra, rédiger un catalogue critique des ouvrages de Cervantes, exposés dans la salle-musée de la Société hispanique d'Amérique. Le travail est dédié à M. Archer Milton Huntington, président de la Société et érudit de valeur, non seulement par

la bibliothèque qu'il a fondée et enrichie

à ses frais, mais par son édition et sa traduction, très estimable, du Poema del Cid.

M. Serís commence par renseigner le public sur les acquisitions faites. par M. Huntington, pour réunir le plus possible d'éditions des ouvrages de

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