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DISCOURS

O U

DIVINATΙΟΝ,

Sur la manière dont on peut apprendre à parler aux muets.

MESSIEU

ESSIEURS,

LE R. P. Cafeaux, fçavant Bénédictin, & l'un des plus dignes Membres de votre Académie, nous procura le 22 Novembre 1746 un

(

fpectacle des plus extraordinaires.Un fourd & muet de naiffance, âgé de 16 ans, qui parle, qui articule des mots, qui prononce des phrases entières, & qui fçait y attacher les idées correfpondantes. Quoique j'y fuffe préparé, je vous avoue, Mesfieurs, que j'en fus furpris. Nous voyons des muets avec qui nous lions un commerce de penfées par des fignes extérieurs. Nous parlons à leurs yeux, ne pouvant nous faire entendre à leurs oreilles. C'eft le le premier langage que l'on parle aux enfans; & en effet il y a des pensées ou du moins des fentimens de l'ame, qui femblent avoir une liaison naturelle avec certains fignes du corps je veux dire, par exemple, avec certains regards, comme l'amitié ou la colere; avec certains airs du vifage, comme la joie & la

trifteffe; avec certains geftes de la main, comme l'averfion & le defir; avec certains mouvemens de la tête, comme le oui & le non. C'est une espèce de langue univerfelle, que l'Auteur de la Nature nous a laiffée après la difperfion des peuples, pour nous faire entendre par toute la terre, malgré la différence des idiomes qui nous diftinguent. Il ne faut donc pas douter que les fourds & muets de naiffance n'entendent comme les autres, ce langage naturel. J'en ai vu même plufieurs qui ont appris à lire & à écrire. Le fçavant muet de Saint-Jean d'Amiens, Abbaye de Prémontré, fçavoit encore plus: il fçavoit l'arithmétique, les élémens d'Euclide, la méchanique, le deffein, l'architecture, l'Hif toire Sainte & Profane, furtout celle de France. Je ne vous en parle

pas, Meffieurs, par oui-dire; comme j'ai longtemps demeuré en ce pays-là, où l'on me vantoit à toute heure fon efprit & fes talens, je voulus m'en affurer par moi-même. Je l'allai voir dans fa bibliothèque : je lui fis entendre, par fon interprete qui étoit un Religieux de la Maifon , que je venois à son école : & à l'ouverture du livre il me rendoit un compte fidelle des matières contenues dans les ouvrages de fcience & de piété que je trouvai dans fa bibliothéque en affez grand nombre. Mais après tout il ne me donna que des fcènes muettes. Le muet de Beaumont, quoique moins fçavant, nous en a donné une parlante. Nous ignorons la manière dont on l'a instruit. M. Pereire (a), qui a été fon

(a) M. Jacob Rodriguez Pereire, Portu tugais, Penfionnaire & Interprete du Roi,

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