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comber dans cette circonstance; car déja Khamco était accusée d'avoir empoisonné le fils aîné de son époux, né de l'esclave dont le second enfant végétait dans un état d'imbécillité qu'on lui attribuait. Mais, par une de ces fatalités qui s'expliquent, l'état d'une jeune femme, intéressante par son courage, inspira de la pitié. Ses jours furent respectés; on négocia son rachat, ainsi que celui de ses enfants; et un Grec d'Argyro Castron, G. Malicovo, fournit leur rançon, qui fut fixée à vingt-deux mille huit cents piastres. (1)

Khamco, rendue à la liberté, ne s'immisça plus dans les guerres civiles de l'Épire. Occupée du soin de rétablir sa fortune, sans réformer les dérèglements de sa vie, elle élevait le jeune Ali comme devant être son vengeur; et elle l'entretenait de ces maximes funestes, qui ont fait le destin de sa vie mon fils, lui disait-elle sans cesse, сеlui qui ne défend pas son patrimoine mérite qu'on le lui ravisse. Souvenez-vous que le bien des autres n'est à eux que parce qu'ils sont forts; et si vous l'emportez, il vous appartiendra. Par ces conseils pernicieux, elle formait son élève au brigandage, en lui répétant que le succès légitime tout. Enfin, elle favorisait ses plus coupables désirs, en insistant sur cet adage que Spartien met dans la bouche de

(1) Environ soixante-quinze mille francs. Ce négociant, auquel Khamco et sa famille durent la liberté, a été empoisonné en 1807, à Élevthéro-Chori, près Salonique, par ordre d'Ali pacha.

l'incestueuse Julie, en parlant à son beau-fils: cuncta licet principi (i).

Ali, qui se plaisait à raconter les particularités de sa vie, s'animait en parlant de cette sorte d'éducation première « Je dois tout à ma mère, me disait-il un « jour; car mon père ne m'avait laissé, en mou<«<rant, qu'une tanière (2) et quelques champs. Mon <«< imagination enflammée par les conseils de celle « qui m'a donné deux fois la vie, puisqu'elle m'a << fait homme et visir, me révéla le secret de ma « destinée. Dès lors je ne vis plus dans la bourgade << de Tébélen que l'aire natale de laquelle je devais << m'élancer pour fondre sur la proie que je dévorais « en idée. Je ne rêvais que puissance, trésors, pa<«<lais, enfin ce que le temps a réalisé et me promet << encore; car le point où je suis arrivé n'est pas le << terme de mes espérances.

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De quelles espérances se repaissait donc Ali, élevé au plus haut point des grandeurs auxquelles un sujet puisse aspirer? Cette réflexion me conduit à retracer sa position au moment où il prit son essor, pour se précipiter dans la carrière du crime.

L'Épire était alors gouvernée par trois pachas, qui étaient ceux de Janina, de Delvino, et de Paramythia. On regardait comme cantons et villes libres, sous leur patronage, la Chimère, Cardiki,

(1) El. Spart. in vita Antonin. Caracall.

(2) Tanière; l'expression du visir est trypa, rúra, un trou, pour désigner sa maison paternelle.

Zoulati, Argyro Castron et Souli. Courd pacha (1), visir puissant et redouté, gouvernait la moyenne et la basse Albanie; et tous les Schypetars étaient à ses ordres. Il n'y avait donc aucune apparence d'innovation; le temps semblait même avoir cimenté la liberté anarchique de l'Épire; car lorsqu'un canton était menacé par quelque voisin ambitieux, les autres venaient à son secours et rétablissaient l'équilibre. Il y avait de cette manière, au sein de la barbarie, une espèce de balance politique, composée de ligues cimentées par le hasard, réglées par l'habitude, et dirigées par une politique d'instinct.

Un pareil état de choses aurait arrêté un homme capable de calculer les difficultés qu'il opposerait à ses entreprises; mais Ali était loin d'en apprécier les conséquences, parce que ses projets ne se sont développés qu'à mesure qu'il s'est agrandi. Ainsi, il faut réduire les vues qu'on lui a prêtées au terme ordinaire de celles des individus qu'on regarde comme des êtres prodigieux, parce qu'ils font des choses étonnantes, sans réfléchir que c'est par les moyens placés sous leur main qu'ils deviennent conquérants, puissants et fameux, plutôt que par leur propre génie, quoique le hasard. ne fasse rien qu'en faveur des hommes animés d'une véhémente ambition. Aidé de quelques vagabonds, Ali débuta à la manière des anciens héros de la Grèce, en volant des chèvres, des mou

(1) Dont la famille était originaire du Curdistan.

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tons; et dès l'âge de quatorze ans il avait acquis, dans ce genre d'exploits, autant de célébrité que le divin fils de Jupiter et de Maïa. Il pillait ses voisins, et il se trouva, au moyen de ses rapines, jointes aux économies de sa mère, dans le cas de solder un parti assez considérable pour former une entreprise contre la bourgade chrétienne de Cormovo, objet de ses ressentiments. Il se mit à la tête des bandes de Toxides et de Iapyges (1) qu'il avait rassemblés; mais cette première campagne ne donna pas une idée avantageuse du courage d'Ali, qui lâcha pied et se sauva à toutes jambes à Tébélen. Khamco, trompée dans ses espérances, éclata en injures en revoyant son fils; et lui présentant sa quenouille, qu'elle avait reprise depuis le temps de sa captivité: va, lui dit-elle, láche, va filer avec les femmes du harem; ce métier te convient mieux que celui des armes.

C'est à cette époque que ceux qui ont débité tant de fables sur le compte d'Ali, prétendent qu'il trouva, dans les ruines d'une église, un trésor avec lequel il releva son parti (2). Honteux et humilié,

(1) Peuplades Schypes de la haute et de la moyenne Albanie. - Voy. mon voyage dans la Grèce pour l'historique de ces hordes, tom. III, et pour la topographie en général des localités mentionnées dans le cours de cette histoire.

(2) C'est un aventurier, que j'ai vu à Janina, qui a propagé ce conte, qu'il tenait de Psallida, professeur au collège de cette ville. «J'étais, fait-il dire à Ali, retiré dans les ruines d'un vieux monastère, réfléchissant à ma situation fâcheuse. Je fouillais machinalement la terre avec la pointe de mon bâton, lorsque

le jeune brigand, voulant se dérober aux reproches de sa mère, passa à Nègrepont avec trente palicares ou braves d'élite, en qualité de leur capitaine, et se mit au service du visir de cette île. Mais il paraît qu'il ne se distingua pas plus dans l'Eubée qu'à Cormovo; et ennuyé de la vie de garnison, il entra dans la Thessalie, où il commença à guerroyer sur les grands chemins. Il remonta de là dans la chaîne du Pinde; il pilla quelques villages du Zagori; il y fit la connaissance d'un nommé Noutza Makri-Mitchys, qui devint pour lui une ressource, et il revint à Tébélen, plus riche, et par conséquent plus considéré que lorsqu'il en était parti.

«

Avec de nouveaux moyens, Ali s'occupa à remonter sa faction; et, comme il avait obtenu des succès dans le vagabondage, il recommença ses excursions, qu'il poussa à un tel point, que Courd pacha se vit dans la nécessité d'y mettre un terme. Des troupes que ce satrape mit aux trousses du hé

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<< tout à coup j'entendis résonner quelque chose qui résistait. Je <«< continuai à fouiller, et je trouvai un coffre rempli d'or, qui << me servit à enrôler deux mille hommes, avec lesquels je rentrai triomphant à Tébélen.» Je demandais un jour à Ali pacha si cette histoire était vraie. Non, me dit-il, c'est une fiction; on me la raconte maintenant à moi-même, que veux-tu ?................ Au reste, il n'y a pas de mal que cette fable s'accrédité; cela donne une physionomie miraculeuse à ma fortune. Hélas! que ne suis-je venu plus tôt au monde ! avec l'aide de quelques fous, j'aurais peut-être été prophète; mais Mahomet a fermé la porte en s'annonçant comme le Paraclet: tout est dit.

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